L'univers concentrationnaire

Le système concentrationnaire allemand a été le plus grand instrument de terreur étatique organisée de l'histoire universelle. Il a été érigé par un système totalitaire en toute légalité. Le sujet suscite encore aujourd'hui l'horreur absolue et de nombreuses recherches universitaires. L'univers concentrationnaire a été un lieu de brimades, de déshumanisation, de souffrance, de travai forcé et de l'extermination préméditée d'êtres humains dont le seul défaut a été d'être le tribut qu'ont payé les peuples vaincus et/ou qualifiés "d'indésirables". C'est une page à la fois terrible et incompréhensible de l'histoire humaine. Il aura fallu le double facteur des Purges soviétiques et le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale pour voir se développer toutes ses capacités monstrueuses. Dans le cas de l'Allemagne hitlérienne, aucune autre réalité n'illustrera mieux le caractère criminel du régime nazi que l'application de ses politiques d'extermination. Pour la première fois dans l'histoire, des gens ont été fichés, internés sans procès et ultérieurement liquidés pour ce qu'ils sont et non pas pour ce qu'ils ont faits: des Polonais, Biélorussiens, Juifs, Tziganes, et personnes dites "asociales" ont été réduits en esclavage pour satisfaire les besoins de la production de guerre allemande avant de disparaître dans les crématoires. Primo Lévy, qui a failli périr à Auschwitz, écrira ces mots terribles: c'est arrivé, et cela peut arriver de nouveau. Cela peut arriver, partout. L'exemple de la Bosnie en 1999 nous le rappelle avec une gêne certaine.

____________

Précédents historiques

Le système concentrationnaire n'est pas une création du régime nazi. Il a été pratiqué d'une manière ad hoc par les Espagnols au XVIème siècle en Amérique du Sud, où des populations étaient rassemblées dans des zones précises et dans des conditions déplorables pour effectuer des travaux forcés – surtout miniers. Les Espagnols pratiqueront également cette technique à Cuba durant la guerre d'indépendance. Ses origines dites modernes datent de la fin du XIXème siècle, lorsque les Allemands qui colonisaient le Sud-Ouest africain ont décidé de déplacer – lire ici, concentrer – des populations dans des endroits où une guérilla ne peut être ni hébergée ni protégée. Ce sera le cas de l'ethnie Herero qui s'opposait à la colonisation allemande: 70,000 d'entre eux seront déplacés et mourront de malnutrition et de maladies – sans compter ceux qui périront après avoir été soumis à des expériences médicales. L'exemple sera repris par les Britanniques qui convoitaient le territoire actuel de l'Afrique du Sud pour des raisons stratégiques et économiques. Pour éviter que la guérilla boer soit approvisionnée et informée par des sympathisants, les Britanniques ont opté pour déplacer et regrouper plus de 300,000 personnes dans des camps clôturés de barbelés et surveillés par des tours de guet. Les Boers étaient invités à vivre dans ces camps protégés avec leur bétail dans un délai d'une semaine. Passé ce délai, ceux qui se trouvaient à l'extérieur de ces lieux protégés étaient considérés comme des rebelles. Le succès de cette stratégie dite de "re-concentracion" durant la guerre du Transvaal sera repris par les Américains durant l'insurrection philippine, où des milliers de Philippins ont été "relogés" pour deux décennies. Ce type de lieu où habitent les populations déplacées portera désormais l'appellation de camp de concentration. Ces lieux sinistres avaient la particularité d'être des centres de regroupement – mais qui n'ont rien à voir avec des camps de réfugiés, une prison conventionnelle, ou un bagne. Notons que dans les exemples britanniques et américains, la stratégie du camp de concentration n'a été qu'un phénomène temporaire limité à la durée d'un conflit: la majorité des personnes déplacées a retrouvé la liberté après la cessation des hostilités. Il en a été de même pour les Allemands, Austro-Hongrois, Ukrainiens internés au Canada durant la Première Guerre mondiale; pour les Irlandais déplacés et internés sur l'île de Man durant cette même guerre; comme les réfugiés républicains espagnols internés en France; tout comme les minorités japonaises "relogées" au Canada et aux États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que les civils habitant les hameaux stratégiques durant la Guerre du Vietnam.

_

L'artiste Veber dénonce les camps du Transvaal – Le camp Jacobs

Il n'en sera pas de même dans d'autres pays. Lorsque le régime bolchevique va se consolider en Russie, le concept du camp de concentration à usages multiples va s'élargir pour évoluer en une institution durable appelée le goulag, qui deviendra le principal outil de répression et l'apanage parfait de la période soviétique. Le nombre de personnes qui ont été déplacées dans ces camps pour des raisons politiques et ethniques durant plus de 40 ans s'est chiffré en plusieurs millions – et un bon nombre d'entre elles n'en sont jamais revenues. L'Allemagne nazie développera également le camp de concentration dont les objectifs initiaux consistaient à rafler les opposants au régime et d'isoler certaines catégories de citoyens rejetés par la société allemande, puis jugés indésirables par le nazisme: syndicalistes, communistes, francs-maçons, homosexuels. Le système concentrationnaire allemand va se muter ultérieurement en une gigantesque usine de déportation et de mise à mort, suite aux lois de Nuremberg, le déclenchement d'un nouveau conflit mondial avec ses impératifs économiques, et l'application de la Shoah. Tous les exemples historiques précités exposent les particularités du système concentrationnaire:

1- Celui-ci fonctionne en-dehors d'un système judiciaire régulier.

2- Ses installations sont souvent sommaires mais s'étendent sur une grande surface

3- Ils regroupent un grand nombre de détenus dans des conditions très dures.

4- Les personnes déportées incarcérés le sont souvent pour des motifs politiques, religieux, raciaux, non seulement pour les brimer, mais aussi pour exploiter leur force de travail.

_

Prisonniers héreros – Le camp de Tanauan Batangas aux Philippines en 1902

_____________

Le prisonnier politique

Le système concentrationnaire nazi a débuté à une échelle modeste entre 1933 et 1939. Goering, en sa qualité de ministre de l'Intérieur, devient responsable des camps de concentration, et c'est sous son autorité que les deux premiers camps ouvrent leurs portes en Mars 1933 – deux mois après la prise du pouvoir d'Hitler: Le premier est situé à Oranienburg, près de Berlin. Un second est ouvert à Dachau, près de Munich. En moins d'un an, une quarantaine de petits camps seront ouverts à travers l'Allemagne, comme ceux de Bredow près de Stettin, de Bennighausen près de Lippstadt, tout comme ceux de Kislau, de Lichtenburg, de Bad Sulza et de Wuppertal. Ces camps – appelés "wildelager" – sont initialement gérés par les SA, mais leur autorité passera rapidement aux SS à partir de l'été 1934. L'archétype du détenu est le prisonnier politique qui, par la nature de son délit d'opinion, représente une menace pour le nouveau régime hitlérien: il peut être socialiste, communiste, libéral, démocrate-chrétien, déviant sexuel, pacifiste, universitaire, et même conservateur anti-nazi. Ces détenus incarnaient le mal et l'hérésie idéologique. Initialement, les premiers camps de concentration étaient des lieux de "rééducation". Le prisonnier politique devait non seulement y être interné mais aussi remodéliser son esprit. Les conditions de détention sont souvent brutales car les SA n'hésitaient non seulement à les brimer mais aussi à les frapper avec toutes sortes d'objets contondants, mais pas question de les tuer rapidement – ce qui était souvent reproché aux SA. Le système concentrationnaire nazi recherchait d'abord à dégrader l'état physique et mental du prisonnier politique avant de l'éliminer. Dès le départ, il y aura une différence entre le sort du prisonnier politique et celui du Juif. Le premier était perçu comme un mal subjectif et conscient de ses choix, tandis que le second symbolisait le mal objectif aussi dangereux qu'une plante vénéneuse. Si ladite plante devait être arrachée et détruite, tandis que le déviant idéologique devait être puni par un processus graduel d'humiliations et de tortures. Fait à noter, il arrive que plusieurs détenus politiques soient libérés, mais il sont obligés de se la fermer sous peine d'être arrêtés de nouveau. Ces libérations de "rééduqués" vont cesser dès que la guerre éclate en Europe.

__

Le camp d'Orianenburg – L'entrée du camp de Dachau – Des SA acceuillent des prisonniers politiques

Ces camps dits de "rééducation" ne seront pas les seuls à engranger des prisonniers politiques. Les SA établissent des camps de concentrations "privés" pour détenir sans motif toutes sortes de gens. Cette première période des camps de concentration est certes caractérisée par des méthodes primaires et brutales destinées à briser l'esprit d'opposition chez les détenus – mais elles ne sont pas systématiques. Rappelons que dans l'idée des nazis, un détenu doit un jour sortir du camp avec un esprit rééduqué. Avant la guerre, le camp de concentration n'est pas une fin en soi mais un endroit où des gens qui ne relèvent pas de l'autorité judiciaire étaient privés de liberté et exclues de la société. Il sert également d'épée de Damoclès pour prévenir toute tentative d'opposition, d'où la publicité entourant l'ouverture de chaque nouveau camp.

__________

Première réorganisation

Les premiers camps nazis étaient des "lieux sauvages" surtout gérés par les amateurs de brutalités gratuites qu'étaient les SA. Le premier patron de la Gestapo, Rudolf Diehls, comprend qu'il faut dissoudre tous les camps sauvages des SA qui logent environ 40,000 prisonniers politiques. Il donnera le feu vert à la nomination de Théodor Eicke, commandant du camp de Dachau, pour remodeler les bases du système concentrationnaire nazi. Celui-ci met fin à la brutalité indisciplinée de la SA et lui substitue la terreur planifiée de la SS. Ses efforts impressionnent Himmler au point où ce dernier le place au second rang de la hiérarchie de la SS. Après la Nuit des longs couteaux de Juin 1934, Himmler nomme Eicke inspecteur des camps de concentration et commandant du régiment Totenkopf. Dans le cadre de sa fonction, Eicke dépend à la fois de la Gestapo et du RSHA (ou Bureau central de la Sécurité du Reich), sous les ordres directs de Himmler. Il plaidera dès 1936 pour agrandir les camps existants et la construction de nouveaux lieux de concentration afin d'utiliser les éventuels prisonniers comme de la main-d'œuvre servile. C'est sous la gouverne de Eicke que le camp de concentration aura son allure typique telle qu'associée à notre subconscient: baraquements spécialisés, "l'infirmerie", la prison spéciale et, surtout, le four crématoire. Notons qu'il n'y avait aucun crématoire dans les premiers camps, car les prisonniers politiques détenus n'étaient pas destinés à mourir en grand nombre mais à sortir rééduqués. Himmler craignait qu'un trop grand nombre d'exécutions attire la visibilité de la communauté internationale; quoi de mieux alors que de faire disparaître les déviants les plus dangereux en les incinérant dans un crématoire. Sous l'autorité de Eicke, chaque nouveau camp sera désormais muni d'un four crématoire, tout comme celui de Dachau.

_

Théodor Eicke – Le camp de Flossenburg

Eicke va réussir sa réorganisation entre 1936 et 1939. Il ferme les premiers camps afin de regrouper leurs détenus dans quatre camps mieux gérés: Dachau, Buchenwald, Sachsenhausen, de même que Lichtenberg pour les femmes. Cependant, le nombre de camps s'accroît à partir de 1939 avec l'ouverture de Flossenburg, près de Bayreuth, qui devra loger les dissidents politiques tchèques, et celui de Mauthausen pour écrouer les dissidents autrichiens. Lorsque la guerre éclate en Septembre 1939, la SS ouvre le camp de Stutthof près de Dantzig pour engranger les suspects politiques polonais et le camp de femmes de Ravensbrück. Hitler fait également interner les étrangers occidentaux présents en Allemagne après le 1er Septembre 1939 sous l'étiquette de prisonniers politiques, de même de plusieurs milliers de pasteurs protestants, non sans oublier des simples citoyens allemands dénoncées à la Gestapo pour des raisons de vengeance personnelle sans rapport avec la politique. La population de plusieurs camps est presque multipliée par quatre, et tous les détenus ne mangeront pas à leur faim… Eicke émet aussi un règlement interne qui va demeurer célèbre: la tolérance signifie faiblesse. Il sera interdit pour les détenus de discuter politique, de se rassembler pour exprimer du mécontentement, ou de bousculer un garde: quiconque aura refusé d'obéir ou se sera révolté sous quelque forme que ce soit sera fusillé sur-le-champ ou pendu devant les autres prisonniers du camp. Eicke est non seulement apprécié par la hiérarchie nazie, mais aussi par ses hommes qui le surnomment "Papa Eicke". Il applique une politique de familiarité qui est à l'opposé de l'étiquette militaire traditionnelle. Ainsi, Eicke demande à ses hommes de le tutoyer, cause avec les hommes du rang et les protègent, sauf s'ils désobéissent au règlement.

_

Camps de Mauthausen et de Stutthof

L'expansion du système

Le 15 Mars 1939, les Allemands envahissent la Tchécoslovaquie et Hitler fait son entrée à Prague en faisant de ce pays un simple protectorat. Le patron des SS, Heinrich Himmler, nomme Hans Frank comme Protecteur de la Bohème Moravie. Le 1er Septembre, c'est au tour des Polonais d'être envahis et de subir les effets dépravateurs de l'hitlérisme. Hitler et Eicke constatent que l'entrée en guerre va désorganiser le développement ordonné du système concentrationnaire qui avait commencé en 1936. Dépassés par les événements, il leur faudra désormais improviser. Le 7 Octobre 1939, Hitler nomme Himmler à la tête du Commissariat du Reich pour le renforcement de la Grande Allemagne (RKFDV) – titre ronfleur s'il en est un... Le rôle de cette patente est de regrouper les populations polonaises dans des lieux précis et d'amener des colons allemands pour s'installer sur les territoires ainsi "vidés": de ce fait, 550,000 Juifs polonais sont évacués à l'Est de la Vistule. L'ennui en Pologne est que les Nazis se retrouvent avec un vrai problème sur les bras: que faire à la fois des prisonniers de guerre polonais, et de ce demi million de personnes déplacées? Leur regroupement pose à la fois des problèmes de surveillance et d'alimentation. Pour la première fois, la hiérarchie nazie croit qu'il faudra probablement envisager une extermination de masse.

_

Juifs polonais faits prisonniers – Prisonniers de guerre polonais

Mais, faute de moyens logistiques suffisants, la répression concentrationnaire nazie est sélective. Le 18 Octobre 1939, le général Halder a noté dans son journal une conversation qu'il a eue avec Hitler. Ce dernier lui a dit que: l'intelligentsia polonaise doit être arrêtée afin d'éviter qu'elle soulève la population contre nous. Une fois internée, les prisonniers politiques polonais doivent être dégradés au plus bas niveau de survie possible. Après un court séjour en Tchécoslovaquie occupée, Hans Frank est promu à la tête de la Pologne occupée par la Wehrmacht avec le titre de Reichsleiter (gouverneur général). Sous sa férule, le regroupement, l'incarcération et l'élimination progressive des intellectuels polonais ont été qualifiées "d'action de pacification remarquable". Il est à noter que le sort des prisonniers politiques polonais ordonné par Hitler ressemble à tout point à celui que Staline va infliger à ceux des pays baltes laissés sous sa sphère d'influence.

_

Soldats d'un Einsatzgruppe – Les premières fosses communes en Pologne

Le regroupement des prisonniers et des populations dites indésirables amène Himmler et Reinhard Heydrich à opter pour des exécutions de masse. Le moyen palliatif utilisé est la création de "commandos d'actions spéciales" appelés Einsatzgruppen sous l'autorité de la SS. Ils ont été organisés en quatre groupes appelés A, B, C, et D, chacun ayant la taille de bataillon renforcé (650 hommes). Ils sont, en fait, des groupes mobiles d'exécution dont les commandos spéciaux SS devaient suivre les unités de la Wehrmacht sur l'arrière du front et appliquer les politiques répressives hitlériennes en Pologne et ultérieurement en Russie. Là encore, la cible visée était initialement politique: rafler et exécuter les intellectuels, cadres politiques et militaires; mais elle va rapidement s'investir dans les rafles de Juifs. Mentionnons que ces tâches répressives répugnaient à l'armée de terre (Heer) et que beaucoup de généraux dégoûtés n'avaient que mépris pour les Einsatzgruppen. Ces derniers avaient deux avantages sur le terrain: ils laissaient à l'armée régulière le soin de s'occuper du volet militaire des conquêtes territoriales et ils permettaient à la SS de se doter d'un véritable noyau militaire parfaitement adapté aux volontés hitlériennes – et de ce fait, efficace. L'un de ses leaders, le SS Otto Olhendorf, se montrera fort redoutable en Ukraine au moment de l'invasion de l'URSS. Selon son témoignage à Nuremberg en 1945, Olhendorf a déclaré que son Einsatzgruppe D a regroupé et exécuté 90,000 personnes. Le Einsatzgruppe A qui va opérer en Biélorussie et les pays baltes aura une fiche encore plus macabre: 229,000 personnes raflées et exécutées dans des fosses communes – en bonne partie des Juifs déplacés. Le seul problème posé par les Einsatzgruppen était que leurs exécutions n'étaient pas discrètes (cris, bruit des mitrailleuses), qu'elles aliénaient les populations conquises dont certaines ne demandaient qu'à collaborer pour une bouchée de pain, et qu'elles n'étaient pas jugées "assez productives". L'utilisation de camions à gaz (ci-contre) bondés de détenus pour les axphyxier a été jugée tout à fait insuffisant.

__

Ces prisonniers regroupés seront fusillés – Des bourreaux d'un Einsatzgruppe – Le rôle des Einsatzgruppen

Bien que les Einsatzgruppen poursuivent leurs massacres jusqu'à la fin de la guerre, deux facteurs imprévus vont diminuer leur nombre et leur intensité à partir du printemps 1943: l'usure mentale du personnel allemand et la médiatisation du massacre de Katyn pour fins de propagande. La régularité des exécutions expose les soldats SS à la réalité de leur sale travail; bien que certains d'entre eux deviennent sadiques et indifférents au sort de leurs victimes, beaucoup d'autres flanchent: tuer régulièrement des femmes et des enfants en grand nombre, jour après jour, laisse des traces dans le subconscient... Il y a de nombreuses demandes de transfert à des unités combattantes ainsi que de l'absentéisme justifié pour raisons de "maladie nerveuse" – ce qui a pour effet d'accroître "l'improductivité" de la répression à l'Est. Ce ne sont pas seulement les fusilleurs qui flanchent mais aussi leurs généraux, y compris les plus durs comme Olhendorf. Le commandant du Einsatzgruppe A demande à être relevé de son commandement; celui du Einsatzgruppe C, Rasch, qui en a vu d'autres, est tellement affecté par les tueries qu'il prend congé en Allemagne durant plus d'un an. Cette situation inquiète beaucoup Himmler qui n'a d'autre choix que d'accroître le rôle des auxiliaires étrangers SS dans les Einsatzgruppen. Ainsi, des Ukrainiens, Lithuaniens et Estoniens deviennent les nouveaux bourreaux à la fois pour des raisons nationalistes (lire ici anti-soviétiques), anti-sémites, et même alimentaires: vaux mieux manger dans la gamelle des SS que de crever de faim dans les chaumières.

_

Des Juifs et communistes sont livrés aux Allemands – La signature des Einsatzgruppen

Lorsque le charnier de Katyn a été découvert par la Wehrmacht en 1941 et exhumé en 1943 (voir dossier résistances et répressions), le ministère de la Propagande de Goebbels y voit une occasion en or de le médiatiser afin de salir au maximum l'image internationale de la Russie stalinienne. Malgré le fait qu'il s'agissait bel et bien d'un massacre d'officiers et d'intellectuels polonais commis par les troupes du NKVD soviétique, Himmler est tourmenté et très inquiet parce qu'il craint que les victimes des Einsatzgruppen soient à leur tour découvertes dans de tels charniers. Ce serait alors un beau cas de propagande anti-nazie qui serait non seulement nuisible au régime hitlérien mais également à l'image de l'Allemagne sur la scène internationale. L'Allemagne était déjà accusée d'être un agresseur. Qu'en serait-t-il alors si on lui accolait une étiquette de génocidaire? Himmler ne veut pas qu'on lui lance ces cadavres à la figure; d'où la nécessité de les faire disparaître – effacer le maximum de preuves reliant les nombreuses fosses communes aux Einsatzgruppen. Ce ne sera pas facile, d'autant plus que le temps va manquer, surtout à l'aube de la fameuse bataille de Koursk.

_

Un massacre à Liepaja — Une autre fosse à enterrer

De l'été 1943 jusqu'à l'automne 1944, les quatre Einsatzgruppe vont faire exhumer les principaux charniers de Biélorussie et des pays baltes. Ils iront même jusqu'en Serbie pour en faire autant… La puanteur est épouvantable. Les Einsatzgruppen font faire ce travail répugnant par les prisonniers soviétiques et juifs qu'ils détiennent. Ces derniers empilent les corps sur des bûchers arrosés d'accélérants, et les brûlent. Les os carbonisés étaient ensuite broyés et souvent mélangés à la terre de surface ou de la tourbe. Par la suite, les prisonniers qui avaient fait le travail étaient ensuite liquidés et brûlés à leur tour pour éviter qu'ils s'échappent et témoignent de ces atrocités. Mais avec l'Armée rouge qui chasse la Wehrmacht de son territoire, les Einsatzgruppen n'auront pas le temps d'effacer toutes les traces de leurs crimes. Plusieurs charniers sont ainsi découverts par les Soviétiques, si bien que la Stavka émet le décret opérationnel de liquider tous les SS faits prisonniers, qu'ils soient ou non membres des Einsatzgruppen.

_

Les traces des Einsatzgruppen pullulent en Pologne et en Russie – Les bûchers n'effacent pas les crimes

Bien avant qu'Himmler ordonne de vider les fosses communes du front de l'Est, il lui apparaît clair que les carabines, les mitrailleuses et les camions à gaz étaient insuffisants pour liquider rapidement les ennemis du Reich. Privilégier la construction de nouveaux camps lui semblait une avenue plus profitable. D'autant plus qu'au fur et à mesure des conquêtes allemandes, le réseau de camps de concentration allemands va se peupler de détenus provenant de 22 nationalités différentes, mais dont la majorité ne seront déportés qu'à partir de 1943 et 1944. Dès le 2 Janvier 1941, Heydrich va classer les camps en deux catégories:

1- Camps ultérieurement transformés en lieux d'extermination: Dachau, Sachsenhausen, Treblinka et le nouveau camp d'Auschwitz.

2- Camps pour prisonniers politiques possiblement récupérables: Buchenwald, Flossenburg

Il est curieux que, un an avant l'adoption de la politique dite de la "Solution finale", la hiérarchie SS semble exprimer dans ladite note de Heydrich la volonté de camoufler la réalité du système concentrationnaire aux yeux mêmes de ceux qui en actionnent les rouages, au lieu d'établir une sorte de relation rationnelle entre le degré du crime dont on accuse les détenus, et l'importance du châtiment. En Mars 1942, la gestion des camps de concentration passe à une autre patente de la SS: le Bureau central administratif et économique, dirigé par Oswald Pohl, qui gérait déjà les sinécures économiques SS existantes. Chaque étape de l'expansion du système amènera une augmentation spectaculaire de la bureaucratie SS et l'accroissement de ses pouvoirs au sein de l'État nazi. Elle voit aussi que c'est la terreur politique qui a créé l'univers concentrationnaire qui, à son tour, accroît l'efficacité des instruments de terreur en rodant la machine répressive.

_

L'inspecteur Richard Glucks – Oswald Pohl et Richard Baer

L'organisation administrative

Der chef – le camp de concentration est dirigé par un commandant. La Kommandantur dirige toutes les activités du camp, de même que la gestion du personnel, mais en réalité ses pouvoirs sont limités par la division des responsabilités au sein de l'administration des camps. La tâche des commandants se limite à du travail de bureau, dont la rédaction d'innombrables formulaires. Durant le Troisième Reich, être "commandant" d'un camp de concentration est une profession valorisée, et les promotions et mutations peuvent être nombreuses: c'est le cas de Richard Baer qui commence sa carrière SS à Dachau, passe à Neuengamme, avant d'être muté administrateur à Auschwitz. Kurt Franz participe au programme d'euthanasie des aliénés allemands avant la guerre, avant de faire carrière à Belsen et de se retrouver le dernier patron du camp de Treblinka. Rudolf Hoess débute sa carrière SS à Dachau avant de se retrouver patron à Auschwitz, etc.

Section politique – Le responsable de la section politique est nommé par le RSHA et dépend directement de celui-ci – et non du kommandant. Elle est chargée d'assurer la continuité de la répression et de l'enregistrement des détenus, de la tenue à jour des fichiers d'interrogatoires. Notons que les tâches de secrétariat sont assurés par des détenus.

Section de détention – Dirigée par un sous-officier SS sous les ordres du kommandant et il est responsable de toutes les activités des détenus: nourriture, nettoyage, correspondance, sanctions, liste des malades. C'est elle qui est chargée de l'appel quotidien des prisonniers. Elle comprend également le gros du personnel du camp: les gardiens, tous membres du régiment Totenkopf et ils disposent d'auxiliaires serviles recrutés chez les prisonniers – les kapos.

__________

L'exploitation économique

Avant la guerre, les prisonniers des camps de concentration n'étaient pas systématiquement utilisés comme force de travail. Ironiquement, nombre d'entre eux ont été affectés à la construction de plusieurs camps, comme ceux de Mauthausen et de Ravensbrück. Déjà à partir de 1936, les détenus du camp de Dachau étaient utilisés comme main-d'œuvre servile dans les usines des alentours. Pour le reste, pas question de nuire au plein emploi en Allemagne… Mais ce sont les besoins économiques de l'industrie de guerre allemande durant la guerre à partir de 1941-42 qui donneront au système concentrationnaire allemand sa couleur particulière: une machine de production couplée à celle de l'extermination.

__

Détenus construisant le camp de Mauthausen – L'annexe souterraine du camp de Dora (Mittelbau)

En Septembre 1941, Pohl va organiser l'exploitation économique des détenus en organisant une patente bureaucratique appelée Service du travail carcéral – ou Arbeiteinsatz. Sur la base de ses directives, les détenus aptes au travail et surtout ceux qui possèdent des compétences professionnelles, sont fichés dans chaque camp et leurs noms envoyés à l'inspectorat des camps. Nous savons que le travail volontaire rémunéré des travailleurs des pays occupés ne suffit plus pour combler les besoins matériels de la Wehrmacht. En guise d'exemple datant de 1942, la firme Krupp à Essen employait 55,000 travailleurs étrangers rémunérés (Français, Hollandais, Italiens), 18,000 prisonniers de guerre provenant des stalags, et 5000 détenus de camps de concentration. Mais, comme le travail obligatoire demeure insuffisant, il ne restait qu'à puiser dans cet énorme bassin de captifs que constituent les populations regroupées, sans compter les prisonniers de guerre soviétiques considérés comme des sous-hommes – mais dont la résistance physique les rendent aptes aux corvées dans les mines et les forêts. Le nombre de détenus travaillant dans les usines du Reich s'élève à environ 2 millions. Le 30 Avril 1942, Himmler écrit à Pohl que: l'incarcération des prisonniers pour les seules raisons de sécurité ou de prévention sont insuffisantes; l'accent est à porter sur le côté économique, ce qui nécessite de transformer les camps de concentration en organisations mieux adaptées aux tâches économiques, et non seulement politiques.

La carte des camps de concentration allemands

Il n'en fallait pas plus pour que la nouvelle orientation de l'univers concentrationnaire provoque une rivalité entre Himmler, qui veut privilégier ses sinécures SS, et Albert Speer qui est ministre de l'Armement, Hermann Goering toujours responsable du Plan de quatre ans, ainsi que Fritz Sauckel qui est ministre de la Main-d'œuvre. La gestion de ces querelles internes nazies n'est pas facile, mais elle ne nuit pas à la construction de nouveaux camps qui seront des appendices industriels de nombreuses firmes allemandes déjà heureuses de se délocaliser partiellement pour limiter les dégâts causés par les premiers bombardements aériens ennemis. Ainsi, l'un des trois complexes du camp d'Auschwitz produira du caoutchouc synthétique pour le conglomérat IG Farben, ou celui de Dora construit à proximité d'une usine souterraine qui produira les fusées V1 et V2.

_

Détenus travaillant dans une annexe gérée par BMW – Détenus travaillant dans une annexe d'armements

Avec l'exploitation économique des détenus, le système concentrationnaire allemand devient un cul-de-sac. Aucune libération ne peut plus être envisagée: on y entre par la porte et on en sort par la cheminée… La nature du travail évolue vers un concept d'extermination par les travaux forcés. Les travaux accomplis sont de longue durée, pénibles et épuisants, mais sans conséquence directe pour l'économie nationale en temps de guerre – cela ressemble à des travaux forcés de bagnards. Les détenus travaillent dans les carrières pour extraire des pierres visant à édifier des monuments à la gloire du nazisme; transporter du bois ou du sable d'un point à un autre, etc. Mais tout va changer avec la proclamation de Himmler de 1942: les détenus des camps de concentration remplacent progressivement les ouvriers allemands qui, eux, deviendront des soldats afin de renforcer les effectifs de la Wehrmacht sur le front de l'Est. Himmler veut faire travailler cette main-d'œuvre jusqu'à épuisement: l'utilisation de cette force de travail doit être épuisante au sens propre du terme, afin d'obtenir le plus haut niveau de production. La durée du travail ne comportera aucune limite… Les annexes des industries de guerre sont construites directement à côté des camps pour réduire le temps de déplacement entre le camp et les lieux de travail. Cela conduira à une multiplication des camps et d'annexes dans tout le territoire du Reich. Qui plus est, la fonction des camps de concentration va changer. Ce qui était autrefois un lieu de "rééducation" deviendra un lieu de production intensif ou le travail forcé est organisé de manière à épuiser progressivement tous les détenus jusqu'à leur mort: ce sera l'extermination par le travail, tel que préconisée par le ministre de la Justice du Reich, Otto Tierack.

L'épuisement par le travail au camp de Dora

L'enfer des camps

Si la vie des prisonniers de guerre dans leurs stalags et oflags (voir dossier des prisonniers de guerre) était ennuyeuse et presque doucereuse, celle des détenus regroupés dans les camps de concentration était devenue un enfer. Depuis 1942, chaque camp reçoit un lot continuel de déportés des pays conquis, ce qui a pour effet d'entasser les détenus dans des espaces de plus en plus restreints. Tous ont l'estomac dans les talons, car la diète moyenne ne dépasse pas 1000 calories par jour: vivre dans un Lager signifie avoir toujours faim. Contairement aux stalags, la Croix Rouge internationale n'est pas autorisée à visiter les camps de concentration. Après avoir été transportés sur de grandes distances dans des wagons à bestiaux, les déportés devenus prisonniers sont accueillis à leur descente du train par les matraques des SS et les bergers allemands. L'humiliation des nouveaux détenus débute dès l'arrivée au camp dans un scénario bien établi: longues attentes debout peu importe la météo, passage à la tonte, fouilles humiliantes, abandon des effets personnels remplacés par le vêtement rayé. Chaque détenu reçoit un matricule qui remplace son nom et qu'il doit mémoriser dans son propre intérêt. Aux yeux de leurs geôliers SS, les détenus ne sont rien d'autre que des "morceaux" sans identité propre. La seule chose que l'on exige d'eux est qu'ils travaillent jusqu'à épuisement. Un geôlier a tous les droits sur un prisonnier, y compris celui de le tuer – à condition que cela ne gêne pas la production quotidienne, sous peine de sanctions.

_

La descente du train – L'attente peut être longue

Ces nouveaux camps de concentration sont une vraie aubaine pour les industriels allemands qui délocalisent une partie de leur production. Les nouvelles annexes font désormais partie de l'économie de guerre. Plusieurs dizaines de milliers de déportés travaillent pour les firmes Krupp, Heinkel, BMW, Siemens, Messerschmitt et le conglomérat Farben. Les "salaires" sont versés directement par les industriels aux chefs de camp qui peuvent disposer d'un pactole financier ponctuel pour payer leur personnel. Pour une journée de travail de 13 heures, le geôlier SS reçoit entre 3 et 6 marks par jour selon l'âge, le sexe et la qualification du déporté. A cette solde va s'ajouter le petit commerce des objets ayant appartenu aux prisonniers, que ce soit l'argent comptant, les bijoux, les bagues et même les dents en or. Une partie de cet or coulé en lingots a été déposé en Suisse alors que le gouvernement de Berne connaissait la réalité des camps de concentration allemands. Lorsque le détenu devient trop affaibli pour continuer à travailler, il retourne au camp soit pour y être roué de coups ou être tué à l'infirmerie par une balle dans la nuque ou injection mortelle avant d'être envoyé au four. Le décédé était aussitôt remplacé car la main-d'œuvre servile semble inépuisable. De ce fait, un grand nombre va mourir après avoir été usé à la corde dans les mines de sel polonaises, ou tué durant des corvées dangereuses – comme celle de récupérer et déminer à la main les bombes aériennes alliées non explosées.

__

Trop faibles pour travailler – Le petit crématoire de Struthof – Une chambre à gaz

Les problèmes du système

L'économie de guerre allemande aidée par son système concentrationnaire permet à l'Allemagne de produire une grande quantité d'armements. Malgré le fait que les villes sont en ruines et que les principaux sites industriels sont atteints, l'année 1944 sera celle où la production de guerre sera la plus élevée. Le système fonctionne bien, malgré quelques sabotages. Cependant, dès que les Soviétiques chassent les Allemands de leur territoire en Août 1944, les difficultés économiques allemandes s'accumulent. Il ne faut pas oublier que les camps de concentration "industriels" les plus importants sont situés à l'Est, et ceux-ci doivent être évacués car l'Armée rouge approche. Les prisonniers sont contraints à une grande marche forcée pour rejoindre les autres camps situés en Allemagne – ce qui oblige les administrateurs SS à construire de nouveaux baraquements pour loger les nouveaux détenus. Ces derniers doivent partager des rations de misère et l'accroissement de la promiscuité va produire une vague d'épidémies presque impossible à contrôler car les Allemands manquent de médicaments. Le thypus est roi. En conséquence, la production hebdomadaire commence à baisser durant l'automne 1944. Au printemps 1945, rien ne va plus dans le système concentrationnaire: les camps ne reçoivent plus de nourriture, les annexes industrielles sont à leur tour bombardées et ne sont plus fonctionnelles, et l'imminence de la défaite fanatise d'avantage les geôliers SS. L'Allemagne nazie est totalement désorganisée et les camps de concentration sont les premiers à être abandonnés. Les chefs de camp brûlent leurs papiers avant de fuir, souvent vêtus de vêtements civils. Les détenus considérés les plus menaçants sont fusillés et laissés par terre sans être incinérés. Au moment de l'entrée des soldats alliés, les déportés affamés laissés àa eux-mêmes errent dans ces grands camps comme des morts-vivants.

_

La grande annexe de la firme IG Farben à Auschwitz – Corvée de pierres à Auschwitz

__________

La Shoah

Rien n'illustre mieux le caractère criminel du système concentrationnaire nazi que la décision délibérée du régime hitlérien d'exterminer les Juifs d'Europe. Nous savons que cette entreprise avait débuté modestement avec des rafles successives de Juifs polonais et biélorussiens, qui avaient abouti à des massacres de moyenne envergure par le biais des Einsatzgruppen. Ailleurs à l'Est, les Juifs étaient parqués dans des ghettos, comme celui de Varsovie, faute d'avoir créé des espaces concentrationnaires suffisants pour les interner. Comme les mesures d'assassinats de masse avaient été jugées insuffisantes, le régime nazi opta pour une politique dite de "Solution finale" pour éliminer une fois pour toutes le problème des Juifs européens. Pour ces derniers, cet épisode terrible portera un nom: la Shoah, mot hébreu qui signifie "catastrophe" et qui conduira à l'extermination de 75% de tous les Juifs de l'Europe occupée. L'horreur de ce crime de masse élaborera après la guerre les notions juridiques de "crime contre l'Humanité" et "génocide" qui enrichiront le droit humanitaire international.

La conférence de Wannsee

Le 20 Janvier 1942, quinze hauts responsables nazis se réunissent dans une villa cossue de la banlieue berlinoise pour débattre des moyens utilisés pour régler la question juive. Cette conférence est dirigée par Reinhardt Heydrich et elle ne durera qu'à peine deux heures – mais les décisions qui en découlent auront des conséquences dramatiques, tel que constatées dans la scène rejouée ci-bas. Dans un premier temps, les responsables approuvent la prise en charge de l'extermination des Juifs par la SS sous l'autorité exécutante directe de Heydrich, qui obtiendra la collaboration directe de l'appareil d'État nazi. C'est à ce moment que la Solution finale sera appliquée. Wannsee est l'aboutissement direct de tout un processus qui a amené les nazis à exclure les Juifs de la société allemande, le durcissement de cette politique jusqu'aux mauvais traitements physiques qu'ils ont subis depuis la Nuit de cristal (Novembre 1938) qui culmina dans l'institution de procédures administratives distinctes.

_

La villa Marlier à Wannsee – Heydrich ouvre la conférence

Avant le début de la guerre, les Juifs qui ont senti le danger qui les menaçaient, ont quitté le pays rapidement. Que l'on pense à des scientifiques comme Albert Einstein. Ceux qui en avaient les moyens ont pris le bateau pour l'Angleterre ou l'Amérique du Nord et se sont ainsi évités des tas d'ennuis. Hitler avait même envisagé déporter la population juive allemande à Madagascar, mais le début de la guerre va annuler ce projet. La conquête de la Pologne permet non seulement de gober deux millions de Juifs mais de les parquer provisoirement dans des ghettos ou des lieux de "regroupement". A cela s'ajoute la déportation d'une partie des Juifs allemands en Pologne et le début des tueries par balle des Einsatzgruppen. La situation s'aggrave également durant l'invasion de l'URSS qui amène 2.5 millions de Juifs supplémentaires. C'est à partir de ce moment que la Solution finale signée à Wannsee va être appliquée.

Déroulement de la conférence

Au moment où s'ouvre la conférence, Heydrich disposait déjà des pouvoirs en matière d'immigration et de déportation, puisqu'ils lui avaient été octroyés par Goering en Janvier 1939. Heydrich était déjà prêt à appliquer les préparatifs nécessaires à une telle entreprise, si bien que durant tout l'été 1941, son état-major travaille sur des projets d'évacuation de Juifs de tous les territoires occupés par le Reich vers les camps de regroupement de Pologne pour les astreindre aux travaux forcés. Dans son esprit, les déportés qui ne pourront pas travailler seront mis à mort, et les autres exterminés par le travail forcé. L'échec de l'opération Barbarossa devant Moscou change la donne, car Heydrich constate que tous les gens déportés et détenus n'auront plus assez de nourriture pour passer l'hiver 1941-42. Dès Novembre 1941, Hitler prend la décision d'expulser tous les Juifs d'Europe vers l'Est pour les tuer. Tous les participants à la conférence présidée par Heydrich ont très bien compris le sens de la nouvelle politique. Au cours de l'exécution pratique de la Solution finale, l'Europe devra être passée au peigne fin pour racler les populations dites indésirables. Tout commence dans le Protectorat de Bohême Moravie qui est d'ailleurs le fief de Heydrich. Les déportés iront grossir le nombre déjà important de gens dans les ghettos et les camps de transit. Ceux qui sont âgés de 65 ans et plus y compris les invalides et les décorés de la Première Guerre mondiale seront expédiés au camp de Theresienstadt. Les personnes dites "demi-juives" seront examinées avec attention par la bureaucratie SS, si bien qu'un certain nombre d'entre eux seront documentés et libérés, puisque les lois de Nuremberg demeurent assez nébuleuses sur le sujet. Fait à noter, les Juifs d'Europe centrale et orientale seront plus durement traités que ceux d'Europe occidentale. Ceux de France font exception pour un temps, à cause de la politique de collaboration du régime de Vichy. Ainsi, les vichystes seront autorisés à gérer temporairement leurs propres affaires juives jusqu'au moment où Berlin fera occuper tout le territoire français en Novembre 1942.

_

Heydrich prépare ses notes – Les participants s'estiment satisfaits

Durant la conférence, les panélistes craignent déjà des difficultés avec certains de ses alliés, soit la Hongrie et la Roumanie. Le gouvernement roumain ne se presse pas pour livrer les Juifs aux Allemands, mais ce ne sera pas le cas en ce qui concerne les Tziganes. Antonescu ira jusqu'à défrayer les coûts de transport à la Reichbahn pour livrer des milliers de romanichels aux SS. Le gouvernement hongrois du régent Horty n'entend pas collaborer avec Heydrich si bien qu'aucun Juif ne sera livré aux Allemands avant la chute de son gouvernement en 1944. Un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères allemand, Luther, propose d'y aller doucement avec les Scandinaves où il n'y a pas d'animosité envers les petites communautés juives. Le représentant de Goering pour le Plan de quatre ans à cette conférence, Neumann, demande à Heydrich d'exempter temporairement les Juifs qui travaillent dans les emplois spécialisés dans l'industrie de guerre, et dont le remplacement poserait problème. Heydrich lui dit que cette catégorie de travailleurs ne sera pas déportée. La conférence de Wannsee sera suivie par quelques autres rencontres complémentaires entre Janvier et Mars 1942 pour ficeler la mécanique de la Solution finale dans la totalité de l'appareil répressif nazi. Début Avril, la connaissance de la Solution finale a pénétré profondément, bien que de manière inégale, au sein de la bureaucratie allemande où cette directive suscite une volonté de collaborer – selon les termes de l'idéologue nazi Rosenberg – à la tâche historique que le destin a confié à l'Allemagne hitlérienne. Un calendrier de priorités est établi: après la Bohême Moravie, ce sera au tour du gouvernement général de la Pologne d'éliminer les Juifs sur son territoire.

Le camp modèle: Auschwitz

Cette usine de mort est le plus grand camp de concentration et d'extermination de l'Allemagne nazie. Il est situé entre les petites villes d'Oswiecim (Auschwitz) et de Brzezinka (Birkenau) en Haute-Silésie suite à la conquête de la Pologne. Ce camp a été inauguré le 27 Avril 1940 par Himmler et administré par la SS. De taille modeste, Auschwitz verra sa taille tripler en deux ans. Trois complexes distincts composent l'ensemble de cette zone d'extermination:

1- Auschwitz 1 – ouvert en Mai 1940 et qui constitue le camp principal où était détenus des opposants et prisonniers de guerre polonais et ultérieurement soviétiques. Par la suite, un grand nombre de Juifs et des résistants désarmés s’y retrouveront. Environ 70,000 personnes y trouveront la mort.

2- Auschwitz 2 – ouvert le 8 Octobre 1941 pour loger les prisonniers de guerre soviétiques. C'est un centre de mise à mort immédiate où périront 1.1 million de Juifs ainsi que des Tziganes. L'endroit est également appelé Auschwitz-Birkenau

3- Auschwitz 3 – ouvert le 31 Mai 1942. C'est une annexe industrielle du conglomérat IG Farben, c'est-à-dire un camp de travail

_

L'entrée de Auschwitz 1 avec sa devise – La double clôture électrifiée

Auschwitz 1

Le premier camp est un lieu de regroupement et de travail forcé parce qu'il se situe dans une région riche en matières premières – notamment le charbon – indispensable non seulement à l'industrie lourde mais aussi pour la production de caoutchouc synthétique (appelé buna). Le camp est situé sur les lieux d'une ancienne base délabrée de l'armée polonaise. Il est prévu d'y loger environ 10,000 détenus – des prisonniers politiques polonais d'obédience socialiste ou communiste. La SS octroie au conglomérat industriel IG Farben de financer la construction du site. Himmler donne l'ordre d'augmenter le nombre de détenus de 10,000 à 100,000 dès Mars 1941. Il veut faire d'Auschwitz le camp modèle du système concentrationnaire allemand. Outre les blocs de détention, Auschwitz 1 deviendra une petite ville pour le personnel du camp, avec un magasin général, un petit parc tranquille, un théâtre et un centre sportif. Himmler prévoit s'y faire construire un grand appartement. Le financement direct du camp par IG Farben est ralenti à cause d'un changement de priorités suite à la décision d'Hitler d'envahir l'URSS en Juin 1941, ce qui va ralentir le rythme de sa construction. Auschwitz 1 est commandé par le SS Rudolf Hoess (à ne pas confondre avec Rudolf Hess) qui fait partie du régiment Totenkopf. Il fait inscrire la devise du camp de Dachau "le travail c'est la liberté" sur le haut du portail d'entrée. Hoess est un administrateur efficace qui parvient à terminer le camp avec du matériel acheté ou volé. Le personnel est composé de 300 geôliers SS et d'un nombre équivalent de kapos recrutés chez les prisonniers, surtout des criminels allemands de droit commun. La population carcérale va évoluer rapidement: aux prisonniers politiques s'ajoutent des handicapés, des homosexuels, des témoins de Jéhovah, des prostituées, et bien sûr des Juifs. Les conditions de détention sont inconfortables et la diète est si pauvre que plus de 20,000 Polonais meurent durant la seule année 1941.

_

Rudolf Hoess devient le premier patron d'Auschwitz – Un devoir de mémoire

Les prisonniers d'Auschwitz 1 travaillent six jours par semaine. Le dimanche est réservé à la "toilette personnelle", mais l'absence d'hygiène combinée aux châtiments corporels va faire augmenter rapidement le nombre de victimes. Les douches n'offrent qu'un mince filet d'eau soit glaciale ou brûlante. Il n'y a pas de savon. Presque pas de serviettes ou de tissus pour s'éponger. Un orchestre de détenus accompagne les prisonniers qui quittent le camp pour aller travailler… Chaque détenu est identifié par un numéro matricule tatoué sur le bras gauche. Les Allemands aiment classifier leurs prisonniers. Ceux-ci sont catégorisés par un écusson triangulaire cousu sur leur tenue rayée: Un triangle rouge idenfifie un détenu politique; un triangle vert un détenu de droit commun; une étoile jaune identifie le Juif, etc. Comme il s'agit d'un camp de travaux forcés, les prisonniers valides doivent travailler; ceux qui se blessent ou tombent malades sont soit envoyés à "l'infirmerie" pour constater leur état. Ceux jugés "bénins" sont mis au repos puis renvoyés au travail. Les plus mal en point sont fusillés sur place ou transférés dans des chambres à gaz en Allemagne pour y être tués. Lorsqu’Hitler envisage l'extermination des Juifs, Hoess expérimente plusieurs méthodes, mais c'est celle de la chambre à gaz, inspirée du camp de Treblinka, qu'il préfère. Hoess en fait construire deux à l'extérieur du camp où les détenus sont exécutés par les gaz d'échappement d'un camion. Le monoxyde de carbone ne faisait pas du bon travail, car les geôliers SS s'aperçoivent que l'opération prend du temps et que de nombreux gazés se réveillaient lorsqu'on les enterrait. Ces derniers devaient être achevés au pistolet.

_

L'orchestre des détenus en répétition – L'écusson et le tatouage d'un détenu

Hoess préfère utiliser le Zyclon B, un pesticide commercial inventé par Fritz Haber (prix Nobel de chimie), utilisé par les agriculteurs pour vider les terriers de renards et de marmottes, ainsi que par les aviculteurs pour fumiger leurs bâtiments souillés. Fait à noter, le produit était utilisé par la Wehrmacht pour désinfecter les baraquements ennemis: pour les nettoyer de la vermine qui l'infestait, il fallait fermer portes et fenêtres puis répandre les cristaux du pesticide. Après 30 minutes, un soldat muni d'un masque à gaz et de gants entrait dans le baraquement pour ouvrir et le ventiler. Hoess a fait tester ce pesticide sur des prisonniers de guerre soviétiques et le produit s'avéra mortel même en petites quantités. Des chambres à gaz bétonnées munies de ventilateurs sont aménagées dans Auschwitz 1, sur lesquelles sont disposées de petites colonnes où le Zyclon B était versé directement sur les détenus entassés. Par la suite, les dépouilles sont déposées sur un bûché arrosé de diesel. Les bûchers cèdent rapidement la place à un crématoire à trois fours qui restera opérationnel jusqu'à la fin de 1942, avant d'être transformé en bunker anti-aérien renforcé. Au début de 1943, Auschwitz 1 accueillera également des femmes juives qui serviront de cobayes aux expériences de stérilisation du docteur SS Joseph Mengele, ainsi que celles menées sur des enfants jumeaux. A Auschwitz 1, il y avait, croyez-le ou non, une prison (ci-contre)… Inutile d’imaginer le genre de sévices qu’on infligeait aux prisonniers. Elle était aménagée dans le Bloc 11, isolé du reste du camp. C’est essentiellement un lieu de torture sévère, de sadisme et de punition pour ceux que les SS croyaient coupables de ne pas respecter le règlement interne. On y amenait non seulement les détenus les plus récalcitrants, mais aussi des civils polonais arrêtés par la Gestapo. Plusieurs mini-cellules briquetées n’avaient qu’un mètre carré, sans siège ni bol d’excréments; impossible de s’y asseoir. Elles sont utilisées pour faire mourir lentement les détenus déjà torturés. Une cellule conventionnelle située au sous-sol de cette prison était subdivisée en quatre mini-cellules logeant 16 détenus. Ceux-ci meurent souvent à cause du manque d’air.

_

Le Zyclon B sera utilisé comme exterminant

Auschwitz 2

Appelé aussi Auschwitz-Birkenau, ce camp sera la plus grande composante en superficie d'Auschwitz. Il s'agit essentiellement d'un lieu d'extermination. Bien que Hoess demeure le grand patron, Auschwitz 2 sera commandé par Friedrich Hartjenstein à partir de 1943, et de Josef Kramer en 1944. Le village de Birkenau a été détruit pour construire le camp. Il peut loger environ 100,000 détenus et s'étend sur 170 hectares. Le camp est composé de deux entités: le camp des hommes et celui des femmes. Bien qu'il ait été conçu dans l'idée de loger les prisonniers de guerre soviétique, Auschwitz 2 deviendra le lieu où sera appliquée la Solution finale. Le camp comprend quatre complexes de chambres à gaz et de crématoires, dont la capacité totale de massacre est de 10,000 personnes par jour. Les déportés arrivent de toute l'Europe occupée, souvent après plusieurs journées passées à bord de wagons à bestiaux. La voie ferrée a été prolongée au printemps de 1944 pour amener les déportés à l'intérieur du camp. Lors de leur arrivée, les détenus sont soumis à un processus de sélection. D'un côté, les personnes âgées, les faibles, les malades, les femmes enceintes et les enfants sont envoyés directement à la chambre à gaz. De l'autre, les adultes en forme (15 ans et plus), les femmes sans enfants et les hommes considérés comme valides sont internés pour effectuer des travaux forcés jusqu'à l'épuisement. Parmi les survivants de ce tri, une autre sélection de déportés sera faite au hasard, soit pour satisfaire aux appétits sadiques du docteur Mengele, ou pour servir de main-d'œuvre aux fours crématoires: les Sonderkommandos choisis pour traîner les cadavres et les brûler seront internés séparément des autres prisonniers jusqu'à leur mort. Ce ne sont pas des volontaires, mais des détenus en sursis… Leur travail consistera également à stocker les effets personnels, raser les cheveux des femmes, et retirer les dents en or. Déshumanisés, ils vivent comme des robots. Les équipes de Sonderkommandos sont périodiquement éliminés et incinérés afin d'éviter que leurs témoignages ultérieurs soient connus par la Grande Alliance.

_

L'entrée de Auschwitz 2 – L'arrivée des déportés

Là encore, les détenus étaient mis à nu, tatoués, tondus, et dépossédés de leurs biens qui sont stockés dans une aire d'entrepôts appelée curieusement "Kanada". A cet endroit, chaque vêtement était minutieusement fouillé et l'argent ainsi que les objets de valeurs étaient remis aux geôliers. Les devises et effets monétaires étaient déposés à l'administration SS et transférés en Allemagne; mais les sommes amassées sur place étaient si importantes qu'une partie de ce pactole a été empochée directement par les geôliers pour grossir leurs épargnes personnelles et améliorer les conditions de vie de leurs familles. Le gros des vêtements en bon état sera nettoyé et envoyé en Allemagne. Les vêtements en moin bon état étaient nettoyés et "recyclés" par les infirmeries afin d'être "offerts" aux prisonniers, en échange de corvées supplémentaires. Dans ces entrepôts "Kanada", de nombreuses femmes juives travaillent également à fouiller et classer les vêtements des déportés. Elles avaient de meilleures conditions de détention car elles n'étaient pas battues et pouvaient même se laisser pousser les cheveux.

_

En deux heures, tout est terminé – Femmes inspectant des vêtements

Les chambres à gaz d'Auschwitz 2 pouvaient recevoir de 700 à 1400 personnes, selon leur taille. Les détenus étaient invités à prendre une "douche". En effet, au-dessus de l'entrée de ladite douche, il y avait un écriteau sur lequel était inscrit "bad und disenfektion". Derrière cette porte: la chambre à gaz... Les gens s'y entassaient presque d'épaule à épaule. Les gens y voyaient les petites trappes sur le toit d'où le Zyclon B était jeté par les geôliers SS. Lorsque les gens comprennent qu'ils allaient mourir, des cris brefs, stridents, très intenses éclatent avant le calme mortel. Les murs de ces chambres à gaz étaient griffés par les traces des ongles des suppliciés. Malgré le fait que les fours crématoires fonctionnaient à plein régime en 1944, l'extermination sera encore accélérée par des fusillades et des bûchers, tout comme en 1941. Lorsque les Allemands renversent le régime hongrois de l'amiral Horty, 440,000 Juifs hongrois naguère protégés sont déportés à Auschwitz-Birkenau: 250,000 d'entre eux furent tués, et les autres astreints aux travaux forcés.

_

Le complexe d'Auschwitz-Birkenau

La résistance semblait inutile. Pour preuve, la révolte de 250 prisonniers Sonderkommandos qui éclata le 7 Octobre 1944. Ces derniers s'étaient procuré des explosifs auprès de femmes juives qui travaillaient dans l'usine d'armement Union Werke. Les prisonniers placent des charges dans le crématoire No.4 et l'endommagent sérieusement, tout en tuant quelques geôliers SS. Puis, c'est au tour du crématoire No.2 d'être endommagé. Après les explosions, ils coupent les fils barbelés électrifiés avec des pinces d'électriciens improvisées, pour ensuite s'échapper dans les boisés avoisinants. L'évasion échoua et une grande partie du groupe a été repris et exécuté. Les autres se sont joints aux partisans soviétiques. Les SS se vengent sur les autres détenus qui n'ont pas participé à la révolte. L'autre particularité d'Auschwitz 2 a été de loger et d'exécuter beaucoup de Tziganes germanophones (ci-contre) en provenance d'Autriche et du ghetto de Lodz. Une sous-section du camp avait été aménagée pour eux; il était appelé le "camp des Roms" par les autres détenus. Les nazis méprisent le mode de vie des tziganes qu'ils considèrent comme des asociaux dangereux pour la pureté de la race aryenne. Le premier lot de déportés arriva de Linz et le second de Bialystok à la fin Mars 1943. Sur 2900 Tziganes provenant uniquement de ces deux endroits, trois survécurent à Auschwitz. En 1944, un grand nombre de Tziganes méridionaux seront raflés en Hongrie, ou livrés aux Allemands par le gouvernement roumain d'Antonescu. Les Tziganes hébétés par cette brutalité ne savaient pas pourquoi on leur en voulait; mais ils ont compris que c'était pour ce qu'ils sont: 21,000 d'entre eux mourront gazés et incinérés au crématoire No.5.

_

Une des quatre chambre à gaz d'Auschwitz 2 – Femmes épargnées pour les travaux forcés

Ce camp de travail a été établi près du village de Monowitz, et consistait en une annexe industrielle du groupe IG Farben. Celle-ci comprenait une usine de caoutchouc synthétique et une autre manufacturant des produits pharmaceutiques, dont les échantillons sont testés sur des prisonniers. Auschwitz 3 loge 12,000 prisonniers qualifiés – en majorité juifs – sous-alimentés et maltraités avant de mourir au travail. Parfois, les plus faibles étaient sélectionnés pour des expériences médicales. La firme Siemens ainsi que Krupp y établissent des annexes industrielles pour leur production de guerre respective. La SS perçoit 3 marks de l'heure à IG Farben pour chaque prisonnier au travail, 4 marks s'il s'agit d'un spécialiste, et 1 mark par enfant gazé. L'espérance moyenne de vie de ces esclaves était de trois mois, contrairement à un mois pour ceux qui travaillent à l'extérieur – dans les mines ou les forêts. Auschwitz 3 aura également des petits camps secondaires, comme celui de Bobrek dont l'annexe industrielle de Messerschmitt fabrique des pièces d'avions (ci-bas). Ces petits camps sont situés entre 3 et 10 km d’Auschwitz 3, pour limiter d'éventuels raids aériens sur la production. Entre 50 et 3000 détenus y travaillent. Cependant, l'usine de caoutchouc synthétique appelée "Buna" connaîtra de nombreux délais dans sa construction et sera bombardé à quelques reprises. Elle ne recevera ses produits chimiques de synthèse que tardivement, si bien qu'elle ne produira aucun kilo de caoutchouc synthétique pour le Reich...

_

Richard Baer (au centre) dirige Auschwitz 3 – Détenus dans le camp secondaire de Bobrek

Auschwitz 3 est commandé par le major SS Richard Baer, le second adjoint de Hoess. Cet ancien adjoint d'Oswald Pohl a été promu à l'inspectorat général des camps de concentration. Il a succédé à Arthur Liebehenshel comme commandant d'Auschwitz 3 parce que ce dernier était considéré comme "trop mou" avec les prisonniers. Il administra le camp jusqu'en Mai 1944 et sera promu grand commandant du complexe d'Auschwitz. En sa qualité de nouveau commandant, Baer – tout comme Hoess avant lui – doit composer avec la myriade de responsables nazis qui empiètent parfois dans sa sphère de compétence. Baer doit répondre de ses actes à l'Inspectorat des camps autrefois dirigé par Theodor Eicke avant sa mort sur le front de l'Est, ainsi qu'à la Gestapo vêtue elle aussi de l'uniforme noir et qui a des bureaux à Auschwitz 1. Qui plus est, Baer peut recevoir des ordres des fonctionnaires du parti à Berlin et de Haute-Silésie – comme les gauleiters, sans oublier bien sûr Himmler. A l'automne 1944, Baer dispose de 7000 geôliers SS pour les trois complexes, de même qu'un bataillon de surveillance extérieur.

__

Les banquettes d'un baraquement à Auschwitz – Un geôlier a tous les droits – Un kapo juif

Une vie infernale

Peut-on vraiment parler d'Auschwitz comme un milieu de vie? Presque. Les prisonniers astreints aux travaux forcés et amaigris par la diète pauvre se considèrent ridicules et répugnants. Leur tête rasé se couvre d'une suie jaunâtre en quelques jours. Ils ont le visage jaune et bouffi, des joues écorchées par le rasoir du barbier et leurs pieds chaussés de douloureuses sandales en bois souvnt couvertes de boue à demi-séchée. Les tenues rayées sont très sales, dont les pantalons trop courts qui exposent les jambes au froid et aux labeurs. Les poux sont omniprésents et causent des démangeaisons constantes. L'odeur corporelle est écoeurante et celle des latrines l'est encore plus... Les banquettes des baraquements sont incorfortables et le couloir central d'une baraque est si étroit qu'il ne permet pas à plus d'une personne de déambuler. Une baraque peut contenir le double de prisonniers, ce qui complique le confort des banquettes. Jour après jour, le travail, la faim et le froid constituent l'essentiel des préoccupations existentielles des prisonniers. A Auschwitz, c'est chacun pour soi. Cela se traduit par une devise très simple: mange ton pain quotidien, et si possible celui de ton voisin... Un prisonnier doit faire preuve à la fois d'une bonne constitution physique, de résilience mentale, d'une grande débrouillardise et d'un brin d'humour cynique, ne serait-ce que pour rester en vie dans cet asile d'aliénés. Etre plus débrouillard que son voisin d'infortune devient suspect quand il s'agit de la nouriture: qui t'a donné ce cube de pain? Ou as-tu trouvé ça? Dans Auschwitz 1 et 3, les SS sont peu nombreux et ils ne sont aperçus qu'épisodiquement. Ceux qui supervisent la vie des prisonniers juifs et tziganes à coups de pied au cul sont surtout d'autres détenus: les "triangles verts". C'est dans cette catégorie que sont nommé les Kapos. Ces geôliers reçoivent une meilleure "ration" que les autres prisonniers – souvent perçue sur ces derniers. Les kapos sont la preuve qu'il existe à Auschwitz une hiérarchie, même chez les "sous-hommes"...

_

Soudeurs juifs à Monowitz – Colonne de prisonniers allant à l'usine Buna

Pour la plupart des prisonniers, une journée typique débute à 03H00 par un réveil musclé: les geôliers vident les banquettes des détenus à coups de gourdin de caoutchouc. Ces derniers reçoivent l'ordre de se mettre en rangs de cinq colonnes les mains en l'air, souvent tous nus, pour être appelés et comptés – peu importe la saison et la météo. Les détenus pouvaient rester alignés en rang durant une heure ou plus, sans aucune raison que de plaire aux caprices de leurs geôliers. A 7H00, un officier SS vient de nouveau compter les détenus et vérifie s'il y a des personnes décédées dans les baraquements. Les prisonniers de la journée qui doivent être mis de côté pour le docteur Mengele sont sortis du rang. Ensuite, les autres se rhabillent et vont "déjeuner". Le repas servi consiste en du pain de camp en forme cubique fait de noix grillées et mélangées avec du bran de scie, ainsi que de la saucisse de cheval, le tout devant totaliser 1000 calories ou moins. En guise de breuvage, il y avait soit de l'eau de pluie ou une "soupe" faite à partir de nouilles, du choux, du navet et de racines sans farine ni sel. L'hygiène est quasi-inexistante, sauf pour les femmes et les enfants jumeaux sélectionnés pour les expériences de Mengele. L'eau du camp n'est pas potable et ceux qui la consomment (car les prisonniers ont toujours soif) contractent des diarrhées sévères. Les prisonniers doivent bouillir l'eau impure ou faire fondre de la neige. Dans de pareilles conditions de vie, il est rare qu'un prisonnier reste en vie plus que trois mois. Les plus malchanceux ont été usés par le travail forcé s'affaiblissent et deviennent "sélectionnés" pour la chambre à gaz. Les plus coriaces, comme les Ruthènes et les juifs grecs, parviennent à se gagner les bonnes grâces des kapos et même des SS, et à rester plus longtemps en vie.

_

Les souliers des détenus sont récupérés – Tous les bijoux sont récupérés

Après l'appel et le déjeuner, les détenus vêtus de tenues rayées sans sous-vêtements déambulent en rang pour aller travailler. Ils marchent nu-pieds dans des sandales en bois très douloureuses à endurer en passant devant l'orchestre composé de prisonniers. Au chantier ou en usine, les prisonniers travaillent sans arrêt durant 12 heures avant d'être ramenés au camp. Un court séjour aux latrines est autorisé, et un prisonnier est chargé de mesurer l'épaisseur des excréments pour déterminer le temps qu'un détenu se soulage. Durant la journée de travail, le kapo est responsable de la discipline des détenus qu'il doit superviser, et lui-même est surveillé par quelques SS. De retour au camp, il y a un nouvel appel des prisonniers. S'il y en a un qui manque sans raison valable, tous les autres restent alignés en rangées de cinq colonnes, toujours les mains en l'air. Des punitions corporelles sont infligées à quelques détenus devant leurs camarades, puis c'est l'extinction des feux jusqu'à tard durant la nuit. Les prisonniers dorment dans leurs tenues rayées pour éviter de se les faire voler par d'autres détenus. Le lendemain, c'est le même cirque infernal qui recommence. Le prisonnier Primo Levi aura cette phrase terrible à l'égard de ce camp: Aujourd'hui, je pense que le seul fait qu'un Auschwitz ait pu exister devrait interdire à quiconque, de nos jours, de prononcer le mot de Providence...

Le protocole d'Auschwitz

Grâce aux témoignages d'évadés occasionnels qui ont joint les rangs de la résistance polonaise, les services de renseignements alliés ont été avisés de la nature réelle et monstrueuse de l'entreprise d'extermination à ces trois complexes d'extermination. Un rapport est préparé sous le nom de Protocole d'Auschwitz. Il comprend des dessins et schémas qui décrivent la réalité carcérale, l'utilisation des chambres à gaz et des fours crématoires de Birkenau, l'attitude des SS, etc. Les organisations juives mondiales demandent aux Alliés de bombarder les chambres à gaz ainsi que le réseau de chemin de fer conduisant au camp et qui acheminent les déportés, tout en ramenant le matériel de guerre produit par la main-d'œuvre servile. Une requête officielle est envoyée à l'administration Roosevelt quelques jours après le débarquement de Normandie, mais elle est rejetée par le secrétaire d'État adjoint John McCloy qui affirme qu'un tel bombardement mobiliserait des effectifs considérables qui seraient mieux employées pour consolider l'ouverture du second front à l'Ouest. Notons également que les camps d'extermination d'Auschwitz et de Treblinka étaient situés à l'Est, et obligeraient les bombardiers anglo-américains à se poser sur des terrains tenus par l'Armée rouge, pour autant qu'ils soient en état de porter ses bombardiers – et selon l'humeur du commandement soviétique de cette région. En Angleterre, des voix s'élèvent aussi pour que le Bomber Command bombarde Auschwitz; mais ces requêtes resteront lettre morte. Pourtant, un groupe de bombardiers américains B-17 portant un chargement minimal de bombes, parvient à endommager le camp d'Auschwitz 3 situé à Monowitz, situé seulement à 3 milles de l'usine de mort d'Auschwitz 2 (Birkenau)…

Le 25 Août 1944, alors que les Alliés sont aux portes de Paris, un avion de reconnaissance américain photographie en détail le complexe d'Auschwitz-Birkenau, et les images montrent avec netteté les chambres à gaz. Pourquoi alors ne pas les bombarder pour empêcher les nazis de continuer leur extermination de masse? Faute de documents suffisants, aucune réponse ne peut expliquer ce choix aujourd'hui.

Les expériences médicales

L’univers concentrationnaire allemand a été le lieu d’expériences médicales menées par plusieurs médecins nazis. La documentation historique ne nous permet pas d’établir le bien-fondé rationnel derrière ces recherches, puisque celles-ci n’ont donné aucun résultat scientifique. Il faut distinguer deux catégories d’expériences : la première est dérivée de la recherche médicale normale sur des sujets non consentants – lire ici les détenus des camps de concentration – tandis que la seconde est menée par des moyens extraordinaires pour des raisons idéologiques, et non pas à des fins ordinaires légitimes. Les deux catégories d’expériences relèvent d’un seul appareil administratif.

Dans cette conjoncture, il ne faut pas oublier que la dimension raciale est omniprésente dans la conduite de ces expériences. Tous les médecins et administrateurs médicaux nazis ont été influencés durant leur formation académique par l’enseignement médical européen dont l’approche clinique date de la fin du XIXème siècle. L’esprit médical baigne dans le mythe véhiculé par les promoteurs du racisme biologique d’Arthur de Gobineau et Houston Stewart Chamberlain qui affirme la supériorité des races pures (blanches) sur celles qui sont métissées. En 1939, 60% des médecins allemands sont membres du Parti nazi et travailleront en ayant pour toile de fond un raisonnement basé sur l’imaginaire médical de la souillure et de l’hygiène raciale allemande développé par le médecin Alfred Ploetz et le pharmacien Freidrich Ratzel. En guise de cerise sur ce sundae au goût douteux se superpose le mythe de la race aryenne prôné par Hitler.

_

Le docteur Rascher – Le docteur Mengele

Dans un premier temps, l’industrie pharmaceutique allemande envoie les échantillons de ses produits à Auschwitz pour qu’ils soient testés sur les détenus. Par la suite, d’autres tests seront effectués sur des prisonniers au Bloc 10 de ce camp qui sert de laboratoire. Ces tests ne seront, en fait, que de nouvelles formes de tortures infligées au bénéfice de l’idéologie nazie. Fait à noter, ces expériences médicales pseudo-scientifiques ne seront pas menées uniquement à Auschwitz, mais dans plusieurs camps. A Dachau, un médecin SS, Sigmund Rascher, et le directeur de l’Institut médical de la Luftwaffe, Siegfried Ruff, vont mener plusieurs tests médicaux qui se solderont par la mort de 170 détenus. Les expériences menées portaient sur la résistance du corps humain par des expositions aux températures basses. Elles consistaient à placer les détenus soit dans des chambres réfrigérées ou dans des bacs d’eau glacée. Le comportement physique était évalué, de même que psychologique. Les détenus qui survivaient aux expériences individuelles de réfrigération étaient placés par paires dans d’autres caissons glacés où on répétait l’expérience avec des femmes jusqu’à ce qu’ils aient des relations sexuelles avec celles-ci. D’autres expériences menées par le duo Rascher et Ruff pour le compte de la Luftwaffe consistaient à vérifier la résistance humaine à la pression atmosphérique. Ils enfermaient des détenus dans des caissons de décompression dans lesquels on simule des altitudes allant jusqu’à 45,000 pieds. Des données sont notées, mais sans que l’on se préoccupe du sort des détenus servant de cobayes.

_

Un cobaye est immergé dans l’eau glacée – Un caisson de décompression

A Ravensbruck (camp de femmes) et Auschwitz, le médecin-chef de la clinique de gynécologie de Koenigshutte, Carl Clauberg, expérimente sur ordre de Himmler une série de procédés de stérilisation très risqués sur les femmes juives et gitanes. Beaucoup d’entre elles meurent suite à des infections. Le caractère criminel des expériences nazies est bel et bien illustré par celles menées par l’Institut Kaiser Wilhelm d’anthropologie qui accepte de collaborer avec la SS afin de préserver la pureté de la race. En 1942, le professeur Otmar Von Verschuer débute une série de recherches sur les jumeaux, et celles-ci sont poursuivies un an plus tard par son assistant, Josef Mengele, lorsque ce dernier devient le médecin-chef du complexe d’Auschwitz. Il injecte le typhus à des jumeaux pour vérifier la résistance de leur métabolisme, et les fait tuer. Une fois ses données écrites, il envoie les résultats à son directeur de thèse, Verschuer. En 1945, ce dernier fera disparaître toutes ses notes et photos qui pourraient éventuellement l’accuser, ce qui lui permet de poursuivre sa carrière à l’Université de Munster. Mengele était derrière le projet délirant de multiplier la race germanique en vérifiant la résistance métabolique et génétique via une éventuelle politique de jumeaux… D’autres médecins SS font également des expériences de résistance métabolique sur des détenus : on leur injecte la malaria, la tuberculose et la gangrène gazeuse. Ils vérifient également la réaction épidermique aux brûlures au phosphore, ainsi que des prélèvements osseux et nerveux sans anesthésie. Ces expériences se rapprochent beaucoup plus de la torture que de la recherche conventionnelle.

_

Amaigris suite aux expériences de Mengele – Après un prélèvement d’os et de nerfs

De telles expériences dépassent tout entendement et peuvent apparaître comme des signes de folie chez ceux qui les ont pratiquées. Pourtant, leur nature et l'ensemble du projet hitlérien, en particulier le projet racial, montrent que ces expériences ne sont pas le fruit du hasard: tout comme l'extermination massive, elles sont inscrites au cœur même de l'idéologie nazie, au même titre que la politique d’extermination par le travail forcé. Comme les cobayes sont choisis selon des critères raciaux, les médecins tortionnaires n’ont pas à se soucier de leur santé ni de leurs états d’âme. Aux yeux des nazis, les Tziganes, Juifs, nains, et malades mentaux ne sont pas dignes de vivre, d’où le lien à établir entre les expériences de stérilisation et l’élimination progressive des peuples jugés inférieurs. La SS croit qu'il est préférable de garder sous la main une partie de la population concentrationnaire, préalablement stérilisée, afin de la mettre en esclavage le temps que durerait l'effort de guerre – avant de l’éliminer. Dans cette dynamique, expériences médicales et travaux forcés ne font qu’un… C’est pour cette raison que le traitement de certaines maladies comme le cancer, les recherches sur la fécondité, ou des tests de survie de type militaire doivent bénéficier uniquement aux Allemands, afin assurer la pérennité de la race aryenne appelée à dominer l’Europe et le monde.

_

Cobaye tzigane – Ces jumelles naines ont survécu à Auschwitz

Les nazis sont obsédés par les tests de résistance métabolique car ils servent de prétextes pour infliger des tortures sur des inférieurs. Ainsi, des expériences menées au camp de Natziller par le docteur August Hirt vont exposer les détenus au gaz moutarde, utilisé durant la Première Guerre mondiale. Des expositions mesurées au phosgène (aussi nommé dichlorure de méthanoyle, oxychlorure de carbone ou dichlorure de carbonyle est un gaz très toxique à température ambiante) seront faites sur d’autres détenus par le docteur SS Otto Bickenbach. A Buchenwald, des tortures suivies de traitements hormonaux ont été infligés sur des homosexuels, de même que des expériences sur la malaria. A Dachau, Rascher récupère à son profit un médicament anticoagulant mis au point par un demi-juif, Robert Feix. Il le commercialise sous le nom de Polygal, non sans l’avoir fait tester sur des détenus. Notons que Rascher – un nom qui ne sonne pas du tout aryen – est prêt à tout pour plaire à Himmler et satisfaire ses ambitions. Mais comme il a du sang juif et qu’il a menti sur sa descendance, Himmler le fait arrêter, dégrader, et exécuter en 1944. Toujours à Dachau, un autre médecin SS fêlé, Munch, se livre à des expériences bucco-dentaires ponctuées de brutalités gratuites. Dans ses notes, il prétendait que l’origine des douleurs rhumatismales provenait des granulomes dentaires et qu’en faisant des injections de streptocoques à des malades souffrant de rhumatisme, cela augmenterait leurs chances de guérison. L’ennui c’est que les détenus qui ont subi ces tests ont non seulement perdus toutes leurs dents, mais qu’ils sont morts de septicémie… Et que dire de ces gratuités sadiques faites par les SS de Buchenwald, consistant à recueillir des têtes fraîchement décapitées pour les réduire chimiquement, comme celles des indiens Jivaros? Ou de traiter la peau humaine écorchée pour en faire des sandales, des abat-jour, ou des gants?

_

Une tête de détenu soviétique réduite – Abat-jour fait en peau humaine traitée

L’Action Reinhardt

Il s’agit du nom de code qui sera l’application pratique de la Solution finale telle que signée durant la conférence de Wannsee. C’est l’opération (aktion) qui va exterminer tous les Juifs vivant dans la Pologne occupée. Initialement, cette opération se référait au secrétaire d'Etat aux Finances Fritz Reinhardt. Cependant, lorsque Reinhardt Heydrich, le chef de l'Office central de sécurité du Reich, fut assassiné à Prague par des partisans tchèques, en Juin 1942, l'opération en cours prit son nom. Rappelons qu’un an plus tôt, Heydrich avait été chargé par Hitler de résoudre la question juive en Pologne, même si les modalités de cette opération n'étaient pas précisées, et sans vraiment savoir s’il y aurait une extermination systématique. Bien qu’Heydrich ait été l’architecte de la Solution finale, c’est à un autre général SS, Odilo Globocnik, qui aura pour mission de l’appliquer sur le terrain. Globocnik établit deux organismes distincts chargés de l'assassinat. Le premier, sous la direction du commandant SS Hermann Hoefle, était chargé de la coordination des déportations des Juifs depuis les ghettos jusqu'aux lieux de leur assassinat. Le second organisme, avec à sa tête le commissaire de police Christian Wirth, fut chargé de l'extermination proprement dite, et de la construction de trois nouveaux camps de petite dimension qui serviront uniquement de centres de mise à mort : Belzec, Sobibor et Treblinka. Ces endroits n’étaient pas de véritables camps de concentration ; tous les déportés qui y arrivaient devaient mourir.

_

Heydrich, Himmler, Hitler et Bormann – Trois nouveaux camps seront construits

Notons que la grande majorité des victimes de l'Action Reinhardt furent des Juifs des ghettos urbains polonais. Il y eut cependant aussi des Polonais, des Tsiganes et des prisonniers de guerre soviétiques parmi les victimes.

Belzec

Le second camp d’extermination construit dans la Pologne occupée a été celui de Belzec, situé au nord-ouest de Lvov (Lemberg). Il a été conçu par un adjoint de Himmler, Christian Wirth. Il s’agit d’un camp beaucoup moins étendu que celui d’Auschwitz, mais destiné uniquement à tuer des gens. Mesurant quelques centaines de mètres en longueur et en largeur et comprenant un quai de chemin de fer, le camp est entouré d'une clôture de barbelés entrelacés avec des branches d'arbres de 3 mètres de haut ; les baraquements des SS sont situés à l'entrée du camp, à l'extérieur du périmètre de celui-ci. Le camp proprement dit est divisé en trois secteurs : le Camp I où se trouvent les logements et ateliers d'une partie des déportés affectés au sale travail des sonderkommandos, le Camp 2, possède des hangars pour l'entreposage des bagages et objets de valeur, des salles de déshabillage où l'on coupe les cheveux des femmes, et est relié au "boyau" qui mène aux chambres à gaz du site. Le Camp 3 comprend aussi des chambres à gaz, un autre baraquement pour les membres du Sonderkommando et les fosses communes. Les travaux débutent en Octobre 1941 et sont terminés deux mois plus tard. Quelques 70 prisonniers de guerre soviétiques sont libérés de captivité pour participer aux activités du camp ; ils posent une voie ferrée à écartement étroit et une clôture barbelée de 20 pieds de hauteur; après le renvoi des travailleurs polonais, le site est ceinturé par des miradors en Janvier-Février 1942.

_

La gare de Belzec – Christian Wirth

Le camp de Belzec possède trois chambres à gaz construites en bois, pourvues de canalisations au sol et dont les portes d'entrée et de sortie sont munies de joints en caoutchouc. Ces chambres à gaz avaient l’apparence de baraquements ordinaires pour ne pas éveiller la méfiance quant à leur nature véritable. Durant l'été 1942, les anciennes installations sont remplacées par un bâtiment contenant six chambres à gaz en pierre. Sa capacité de massacre est de 3000 par jour. Le premier commandant du camp est nul autre que son architecte, Wirth, qui s’était déjà fait la main contre les aliénés mentaux en Allemagne. Il reçoit ses directives de plusieurs fonctionnaires nazis : Boulher à la Chancellerie du Reich, et Globotnik, ancien gauleiter de Vienne devenu chef de police à Lublin. Wirth dispose d’une trentaine de geôliers SS et 200 auxiliaires ukrainiens. Lorsque les premiers convois de déportés arrivent, la routine sera la même qu’à Auschwitz : les prisonniers considérés valides sont affectés au sonderkommando ; certains d’entre eux sont chargés de couper les cheveux des femmes avant leur assassinat, d'autres d'évacuer les cadavres des chambres à gaz, d'arracher les dents en or ou d'enterrer les corps dans des fosses communes. Ils sont tués à intervalles réguliers. Les gens malades et âgés sont séparés des autres déportés et immédiatement conduits aux fosses communes du camp III où ils sont abattus. Après un discours rassurant, les hommes, puis dans un second temps, les femmes et les enfants, sont forcés de se déshabiller et de remettre leurs vêtements et objets de valeur aux détenus du sonderkommando, avant d’être conduits le plus rapidement possible aux chambres à gaz.

_

Déportés tziganes en attente d’être gazés – Le SS Kuntz et ses tueurs

Les premières exécutions ont été effectuées avec du monoxyde de carbone embouteillé en cylindres. Par la suite, Wirth alterne ce procédé avec l'utilisation des gaz d'échappement d'un moteur de char russe T-34. Cette dernière méthode est finalement retenue et est également utilisée à Sobibor et Treblinka. Les gazages à grande échelle débutent le 16 Mars 1942 avec les Juifs de Galicie suivis le lendemain, 17 Mars 1942, avec l'arrivée de convois provenant du ghetto et du district de Lublin et de Lvov. A la fin Mai, 80,000 Juifs ont été exterminés dans les trois chambres à gaz du camp, au rythme de 150 à 200 victimes par chambre à gaz et par séance. Curieusement, l’utilisation du Zyklon B n’a pas été couronnée de succès à Belzec car le lot distribué est défectueux. Wirth fait part de l’incident à Himmler et obtient la permission de poursuivre ses basses œuvres avec le monoxyde de carbone.

Fait à noter, les opérations d’extermination dans ce camp se terminent en Janvier 1943, peu avant la visite de Himmler un mois plus tard. Lorsque Wirth meurt, il est remplacé par Gottleib Hering qui accepte les services de quelques membres des Einsatzgruppen dans son personnel. Fait à noter, c’est la régularité des convois arrivant à Belzec qui a rendu possible l’extermination d’un grand nombre de déportés, plutôt que l’efficacité des chambres à gaz. Les mécanismes et joints d’étanchéité des chambres à gaz ne fonctionnaient pas très bien, d’où les nombreuses pannes. Initialement, les victimes étaient déposées sur les rails d’un bûcher et brûlées ; elles étaient enterrées à la hâte dans des fosses peu profondes qui se boursouflaient sous la chaleur estivale et laissant échapper une forte odeur de putréfaction. Les premiers crématoires installés eux-aussi à la hâte étaient jugés insuffisants. Un nouvel édifice contenant six chambres à gaz de 8 x 8 mètres est construit, et les vieux crématoires sont démantelés. La capacité de massacre des nouvelles chambres à gaz sera de 4000 personnes par jour.

_

Effets personnels de déportés – Les bûchers brûlent mal les corps

Dès que Himmler s’aperçoit que la bataille de Koursk va changer la donne sur le front de l’Est, il ordonne la fermeture de Belzec durant l’été 1943. D’abord, il redoute que les répercussions criminelles de la Shoah servent d’outil de propagande alliée contre l’Allemagne. Ensuite, il constate que les installations d’Auschwitz peuvent massacrer plus rapidement les populations indésirables que celles de Belzec. Dans un premier temps, Himmler ordonne à Wirth de transférer ses 300 derniers déportés au camp de Sobibor ; les corps des fosses sont déterrés, incinérés, et les parties osseuses sont broyées. Les geôliers SS et ukrainiens démantèlent les baraquements et font exploser les chambres à gaz. Les crématoires démantelés sont expédiés au camp de Majdanek. Par la suite, le site sera reboisé avec des arbrisseaux. La maison de Wirth située à proximité n’est pas démolie et est occupée par un SS ukrainien qui aura la mission de surveiller le site. Cependant, les efforts de dissimulation de l’ancien camp sont inutiles, car les paysans polonais des alentours creusent le sol sur les fosses pour récupérer des dents en or. Les fouilles ont été si intenses qu’elles exposaient de nombreux os. Les SS ont reconverti le lieu en une ferme bovine sous leur supervision.

_

Juifs de Lublin déportés à Belzec – Sonderkommando au travail

Il demeure difficile de chiffrer définitivement le nombre de gens qui ont péri à Belzec. Les historiens britanniques, allemands et israéliens se chamaillent sur la manière d’interpréter le peu de données statistiques étudiées. Ils cherchent plutôt à établir un consensus que de s’en tenir aux faits, mêmes provisoires. Ainsi, l’historien Raul Hilber, un spécialiste de la Shoah, établit le nombre de victimes à 550,000, tandis que l’historien britannique Robin O’Neil affirme porter ce nombre à 800,000. L’historien israélien Arad parle de 600,000 victimes. En Pologne, la Commission nationale d’Enquête sur les crimes allemands estime également que Belzec a coûté la vie à presque 600,000 personnes. De l’autre côté de la barricade, les historiens allemands Dieter Pohl et Michael Tregenza estiment les pertes humaines entre 460,000 et 540,000 – ce qui semble un bilan provisoire crédible, compte tenu de la taille du camp, sa durée d’opération, et la capacité du transport ferroviaire – jusqu’à preuve de nouveaux documents. En 2001, l’historien allemand Peter Witte ravive le débat en produisant une note statistique écrite par le fonctionnaire SS Hermann Hoefle qui indiquait que 434,508 Juifs avaient été liquidés en date du 31 Décembre 1942. Il rappelle que le camp a fermé ses portes durant l’été 1943, et que très peu de gens ont été gazés à cet endroit durant le premier trimestre de 1943, d’où la quasi-certitude que son bilan devrait être considéré, selon lui, comme exact. Affaire à suivre…

__

Un tas d’os broyés – Le site de Belzec aujourd’hui – D'innombrables corps

Sobibor

Il s’agit du troisième camp d’extermination nazi pour l’application de la Solution finale. Il est construit au sud-est de la Pologne dans le district de Wlodowa près du village du même nom. Là encore, le camp a une superficie très inférieure à celui d’Auschwitz car il s’étend sur 58 hectares, et est entouré d’une forêt de pins. Sa construction débute en Mars 1942 sous la direction du général Richard Thomalla, qui est le patron de la SS à Lublin. Son premier commandant est Thomalla lui-même, mais il est remplacé par le major Franz Stangl qui s’était familiarisé avec le processus administratif concentrationnaire comme patron du camp de Belzec. Le pourtour du camp est truffé de mines anti personnelles et possède une double clôture de barbelés ayant 16 pieds de haut. Le camp lui-même a trois composantes: le Camp 1, qui abrite l'administration SS, le Camp 2, où arrivent les déportés et qui contient les baraques dans lesquelles les victimes doivent se dévêtir et déposer leurs objets de valeur, et le Camp 3 dans lequel se déroule l'extermination. Les deux premiers camps sont situés juste à côté de la gare, tandis que le Camp 3 se situe au nord-est dans un endroit éloigné, totalement isolé du reste du camp. À la différence de Belzec, tous les geôliers SS logent dans l'enceinte du camp.

_

La gare de Sobibor – Le lieu du camp de Sobibor

Le Camp 3 est relié au Camp 2 par un chemin large de trois mètres, long de 150 mètres, clôturé par des barbelés avec des branches d'arbres entrelacées, le "boyau" qui mène directement aux chambres à gaz ; à mi-chemin se trouve la "boutique du coiffeur", baraque dans laquelle des détenus juifs coupent les cheveux des femmes. Au cœur du processus d'extermination, le Camp 3 contient les chambres à gaz, les fosses communes, un baraquement pour les membres du Sonderkommando et un autre pour les auxiliaires ukrainiens. Les fosses communes, longues de 150 pieds, larges de 50 pieds et profondes de 17 pieds, avec des parois pentues, sont directement reliées à la gare du camp par une voie ferrée étroite pouvant amener les cadavres des déportés morts pendant le transport. Il est ceinturé par des tours de garde et une double barrière de barbelés. Les premières chambres à gaz se trouvent dans un bâtiment en briques, divisé en trois salles identiques, de 15 pieds sur 15, qui peuvent chacune contenir de 150 à 200 personnes. Elles sont camouflées en douches avec une installation sanitaire fictive. Les six portes (trois pour faire entrer les victimes, trois pour retirer les cadavres) sont dotées d'une forte garniture de caoutchouc et s'ouvrent toutes vers l'extérieur. Accolé au bâtiment se trouve un socle sur lequel est installé un moteur diesel de char russe T-34 destiné à produire les gaz asphyxiants à travers une conduite spéciale traversant les salles de part en part.

__

Richard Thomalla – Le kommandant Reichleitner – Les artisans étaient souvent épargnés

En Août 1942, Stangl passe son commandement à Franz Reichleitner. Les adjoints de ce dernier sont l’adjudant Karl Frenzel. Le personnel du camp ne compte qu’une trentaine de geôliers SS et 80 auxiliaires ukrainiens sous l’autorité d’Erich Lachman, un ancien policier qui avait entraîné des gardes ukrainiens au camp de recrutement SS de Trawniki. Le pattern que suivait les condamnés n’était que trop familier: Les auxiliaires ukrainiens entourent le train de déportés à son arrivée; les déportés étaient sommés de se départir de leurs effets personnels; le tri distinguant les hommes et femmes valides des femmes avec enfants; les vieillards et les invalides sont conduits à l’infirmerie pour les soigner – en fait, ils étaient amenés au Camp 3 et liquidés. Les déportés ayant des qualifications particulières étaient sélectionnés, ce qui allongeait leur espérance de vie (ci-contre). Une fois le tri fait, les victimes devaient se déshabiller en plein air et amenées dans un grand baraquement où il était inscrit bains. L’entrée dans le couloir appelé boyau se déroule de la façon suivante: un SS ouvrait la marche, cinq à six auxiliaires poussaient les déportés juifs par derrière ; dès qu'un groupe de Juifs avait pénétré dans le boyau, les vêtements laissés par eux étaient enlevés de la place du Camp 2 par sonderkommando de douze hommes et mis dans des baraques de tri; ils ne pouvaient pas les voir car elles étaient cachées par des palissades. Lorsque des convois arrivent de nuit, les Juifs étaient gardés au Camp 2 jusqu’au lever du jour; puis ils se déshabillaient pour être conduits directement aux chambres à gaz.

La marche vers la mort

Les évadés de Sobibor sont unanimes à décrire la brutalité des auxiliaires ukrainiens. Ces gardes accueillaient les déportés avec des chiens dressés pour mordre les victimes une fois nues, sans compter les coups de fouet et les tirs de pistolet pour terroriser les victimes et les faire courir plus vite jusqu'au bout du chemin de la mort. La première phase d'activité de Sobibor alla de Mai à Juillet 1942; en général, il y avait un convoi d'environ vingt wagons par jour avec en moyenne 2500 déportés. Durant cette période, environ 100,000 Juifs ont été gazés. Il y eut un petit temps d’arrêt dans les exécutions afin de permettre d’entretenir et de réparer les voies ferrées menant à Sobibor. C’est durant cette accalmie que Himmler émet son ordre de vider tous les ghettos juifs des villes d’Europe de l’Est, ce qui pousse les fonctionnaires de la Solution finale à faire construire à Sobibor un nouveau bâtiment de gazage presque identique à celui de Belzec: il contenait six chambres à gaz avec un corridor central et l’ensemble pouvait entasser 1200 personnes. La capacité de massacre quotidienne passait à 4000 personnes. Cela signifie concrètement que durant la période s’étalant d’Août 1942 à Avril 1943, 80,000 Juifs galiciens, 150,000 autres Juifs polonais et 25,000 Juifs slovaques ont été gazés. Toujours le même pattern: Les hommes sont gazés en premier. Le processus d'extermination prend environ vingt à trente minutes. L’extermination d’un convoi de 20 wagons prenait de deux à trois heures.

_

Geôliers SS du camp de Sobibor – Ces détenus choisis au hasard seront exécutés

Les nouvelles fournées de déportés comprennent rapidement que le camp de Sobibor est un cul-de-sac. Avec l’ordre de Himmler de vider les ghettos, les chances de survie des détenus juifs sont nulles. Il était évident pour eux qu'étant témoins de l'extermination de dizaines de milliers d'innocents, les SS ne permettraient pas à un seul d'entre eux de rester en vie. Les prisonniers juifs décidèrent donc d'organiser un mouvement de résistance sous les ordres de Léon Feldhendler. Inspiré par la révolte du camp de Treblinka survenue en Août, Feldhendler organise une tentative d’évasion avec l’aide d’un prisonnier soviétique juif, Alexandr Pechersky. La révolte éclate le 14 Octobre 1943, lorsque deux officiers SS sont leurrés dans un baraquement et tués à la hache. Ensuite, l'adjoint du commandant est tué au couteau dans son bureau. Les détenus prennent leurs armes et mettent en joue plusieurs gardiens qu’ils désarment également. Les détenus armés tirent sur les auxiliaires ukrainiens et sur les tours de guet. Durant les échanges de tir, d’autres détenus coupent les barbelés. Au cours du combat qui s'ensuivit, 11 SS ainsi qu'un certain nombre de gardes ukrainiens sont tués. Près de 300 prisonniers juifs s'évadèrent, mais des dizaines d'entre eux meurent dans le champ de mines entourant le camp et des dizaines d'autres furent repris dans les jours qui suivirent la révolte. En guise de représailles, les SS tuent presque tous les prisonniers du camp qui n'avaient pas pu s'enfuir, même qui n'avaient en rien participé à la résistance – soit plusieurs centaines de personnes. Seuls quelques-uns sont conduits dans d'autres camps. En tout et pour tout, seul 50 prisonniers ont survécu à la guerre. Le camp fut fermé en Octobre 1943 et camouflé en ferme.

_

L’évasion armée du camp – Quelques survivants de l’évasion

Les victimes du camp de Sobibor étaient presque essentiellement juives; mais il y avait aussi un certain nombre de Polonais non juifs et des Tziganes. Environ 150,000 Juifs de Galicie et de Lublin ont été gazés, de même que 31,000 Juifs slovaques, 10,000 Juifs germano-autrichiens, environ 14,000 de Lituanie, et 2000 de France. Soit plus de 200,000 personnes.

Majdanek

Le quatrième camp d’extermination nazi a été construit tout près de Lublin. Son concept était le même que celui d’Auschwitz: regrouper des déportés et les exterminer par les travaux forcés. Contrairement à de nombreux camps nazis, Majdanek n'était pas enfoncé dans une forêt éloignée, caché à la vue par des barrières naturelles ni entouré par une zone tampon dite de sécurité. Il a été construit en Octobre 1941 par ordre de Himmler. Il fut tout d’abord un lieu de détention, au même titre qu’Auschwitz 1 ou Treblinka 1. Les détenus étaient majoritairement des prisonniers politiques polonais ainsi que des prisonniers de guerre soviétiques gobés durant l’opération Barbarossa. Tous étaient déjà morts lorsqu' arrivèrent les premiers déportés juifs en provenance de Slovaquie, de la Pologne occupée, de Hollande, Belgique, France et Grèce. Contrairement à d’autres camps, Majdanek était localisé près d’une ville et ses installations étaient clairement visibles. On avait prévu y loger 25,000 détenus. Sauf qu’après la bataille de Kiev, le camp s’agrandit pour en loger le double, puis le nombre passa à 150,000 détenus. Inutile de dire que le camp de Majdanek aura été un véritable chantier de construction durant tout l’automne 1941.

_

Le lieu du camp – Quelques baraquements

Le camp original a été construit par des prisonniers de guerre juifs, et le reste des travaux a été effectué par les prisonniers soviétiques. A son apogée, Majdanek comprenait 144 baraques et était divisé en cinq sections dont un camp spécial pour enfants et un centre d'extermination. La surface totale du camp faisait 2,7 kilomètres carré. Comme dans tous les camps, Majdanek était entouré d'une enceinte de fil de fer barbelé électrifiée ainsi que de nombreux miradors. De nombreuses annexes industrielles étaient situées à proximité immédiate du camp. Majdanek était connu pour l'incroyable sadisme de ses geôliers SS et sa réputation servait à terroriser les populations des territoires occupés, y compris celles de la Biélorussie et de l'Ukraine. Le premier commandant du camp, et sans doute le plus sinistrement connu, fut Karl Koch.

_

Le sinistre kommandant Koch – Les déportés arrivent

Le camp avait trois annexes industrielles utilisées respectivement par les firmes Steyr, Daimler et Puch pour manufacturer des armes et des parties d’armes. Bien que la production ait été jugée satisfaisante, la vocation du camp va rapidement changer avec la visite de Himmler en Pologne et avec son ordre de vider tous les ghettos urbains polonais. Il ne sera plus question d’extermination par le travail mais d’extermination tout court… A partir d’Octobre 1942, la population carcérale de Majdanek approchait les 300,000 détenus, si bien qu’Himmler ordonne une augmentation de la cadence d’extermination, puisque l’épuisement par les travaux forcés ne produisait pas assez de morts. Initialement, de nombreuses exécutions de Juifs et de prisonniers de guerre soviétiques se firent par fusillades. C'est de cette manière qu'en avril 1942, plus de 2800 Juifs furent tués. Le plus grand massacre par balles a eu lieu le 3 Novembre 1943: ce jour-là, plus de 18,400 juifs furent mitraillés par les SS. Ce massacre fut appelé la Erntefest Aktion – Opération Fête des Moissons... Le camp disposait de chambres à gaz et de petits crématoires aménagés dans des baraquements en bois. Elles utilisaient les cristaux de Zyclon B ou les fumées de moteur diesel pour tuer les détenus. Leur capacité de massacre ayant été jugée insuffisante, d’où l’utilisation fréquente de mitraillages. Il était difficile de disposer de ces nombreux corps qui pouvaient traîner en tas durant plus d’une semaine avant qu’ils ne soient enterrés ou incinérés. Koch fit construire un grand crématoire à haute température. Les cendres et les débris de corps sont disposés dans de grandes fosses communes.

_

Soviétiques devant les fours de Majdanek – Le crématoire reconstruit (2006)

Majdanek était divisé en six composantes. A l’automne 1943, le Camp 1 était un camp de femmes. Le Camp 2 un hôpital de camp pour les collaborateurs russes attachés à l’armée allemande. Le Camp 3 un camp destiné aux prisonniers politiques polonais de sexe masculin ainsi qu’aux Juifs de Varsovie et de Bialystok. Le Camp 4 un camp pour hommes, principalement des prisonniers de guerre soviétiques, des otages civils et des prisonniers politiques. Le Camp 5 servait de camp hôpital réservé aux hommes et le Camp 6, encore inachevé, devait accueillir des baraquements supplémentaires, des fours crématoires, des chambres à gaz et des usines. Les Allemands n’eurent pas le temps d’achever la construction de ce quartier avant d’être obligés d’évacuer le camp. En effet, les geôliers SS évacuèrent en hâte Majdanek lorsque les troupes soviétiques parvinrent à proximité de Lublin, en juillet 1944. Les Soviétiques entrèrent dans la ville et libérèrent le camp le 24 Juillet. Les Allemands n’eurent pas le temps de le démanteler entièrement. Capturé presque intact, Majdanek a été le premier camp de concentration important à être libéré. Dès la fin de l’été, les autorités soviétiques invitèrent des journalistes à visiter le camp et à constater les horreurs qui y avaient eu lieu.

_

Il y a trop de déportés – Détenus mitraillés

Les SS avaient détruit quelques installations et évacué les prisonniers restants vers Auschwitz 2 (Birkenau), mais sans emporter leurs archives saisies par l’Armée rouge. Quoiqu’incomplètes, les données ont permis de chiffrer provisoirement le bilan des morts à environ 235,000 personnes, dont 80,000 Juifs. Une bonne partie de ces détenus sont décédés d’épuisement et de malnutrition. Néanmoins, le nombre de gens morts gazés n’est pas connu avec exactitude.

_

Prisonniers affaiblis par les travaux forcés – Un des nombreux tumulus d’ossements

Treblinka

Le cinquième camp d’extermination nazi est situé près du village du même nom, en Pologne occupée. Il a été construit après les camps de Sobibor et Belzec et veut incarner le modèle d’une installation aussi rationnelle que possible pour appliquer la Solution finale. L’endroit choisi répond aux critères de l’Inspectorat des camps de concentration: lieu peu peuplé, la proximité d’un chemin de fer, et un terrain impropre à l’agriculture. Le site est aménagé durant l’été 1941 et comprend deux composantes: Treblinka 1 qui loge surtout des prisonniers de guerre polonais et une poignée de civils canadiens préalablement internés lors de l’entrée en guerre. Il s’agit surtout d’un lieu de détention. Celui appelé Treblinka 2 sera construit en 1942 comme un lieu d’extermination. Les deux camps sont séparés de 1 mille et demi. Ils sont situés entre un chemin de fer reliant Varsovie à Bialystok et parallèle à une grande carrière de sable. L’ensemble était beaucoup moins imposant en superficie et infrastructures que le complexe d’Auschwitz – soit 13.5 hectares versus 170 – mais il n’en sera pas moins meurtrier.

Vue aérienne du camp de Treblinka

L’aménagement de Treblinka 1 ressemble beaucoup, aux dires du récit de Vassili Grossman, à celui du camp de Majdanek et, dans une moindre mesure, à Auschwitz 1. Sur le plan architectural, il est très semblable à celui de Sobibor. Il y avait des baraquements fonctionnels pour le personnel allemand, avec un magasin, un four à pain, des jardins, service de buanderie, une infirmerie et même un salon de coiffure. Les auxiliaires ukrainiens avaient leurs propres baraquements. Les Polonais, eux, étaient détenus dans des baraquements insalubres pour une période n’excédant pas six mois – avant d’être envoyés à Treblinka 2. Les prisonniers polonais les plus récalcitrants, notamment ceux qui avaient désobéi aux règlements du Gouvernement général étaient mis à mort dans un délai très bref. Environ 50,000 ont été internés dans ce camp avant sa fermeture. On y retrouve la même routine journalière de camp qu’à Auschwitz, avec brimades et privations tels que racontés dans les témoignages de plusieurs évadés. Il a été établi que les détenus ne travaillant pas assez fort dans la carrière étaient précipités au fond de celle-ci; que la diète quotidienne était aussi pauvre que celle d’Auschwitz; que des bastonnades et des viols étaient commis la plupart du temps par du personnel ivre qui pratique du tir à la cible, souvent à courte portée. Plusieurs geôliers SS y commettent des atrocités, comme Schwarz, Ledecke et un tueur au marteau nommé Swiderski – un psychopathe qui défonçait la tête de détenus à exécuter. Treblinka 1, surnommé le camp des Polonais, restera en opération jusqu’à la fin de Juillet 1944 car l’Armée rouge approche. Peu avant l’arrivée des Soviétiques, les geôliers SS et ukrainiens massacrent les derniers détenus du camp et fuient vers l’Ouest; mais ces derniers sont rattrapés par des partisans polonais et exécutés.

Treblinka 2 ouvre ses portes le 23 Juillet 1942 et va loger les occupants du ghetto de Varsovie. Son premier commandant est le colonel Irmfried Eberl, et il souhaite rivaliser d’efficacité avec les autres camps dans l’application de la Solution finale. Cependant, Eberl n’est pas un bon administrateur car il est dépassé par le nombre des convois de déportés qui sont acheminés vers son nouveau camp. Eberl n’a pas prévu le personnel SS requis pour gérer l’encadrement des prisonniers et les opérations des nouvelles chambres à gaz. Il est démis de ses fonctions de commandant de camp et remplacé par le major Franz Stangl. Après seulement deux mois de construction et de réorganisation, Treblinka 2 devient un camp d’extermination presque aussi efficace que celui d’Auschwitz. La raison étant qu’il n’y a aucun baraquement pour loger les prisonniers. Ici, pas question d’extermination par le travail : les déportés sont exécutés dès leur arrivée. Le camp n’a qu’une vingtaine de geôliers SS du régiment Totenkopf (image ci-contre), aidés de 150 auxiliaires ukrainiens brutaux et cupides – antisémites de surcroît. Comme dans les trois autres camps précités, les corvées sont effectuées par les prisonniers polonais et les déportés juifs jugés valides ou choisis pour leurs compétences (menuisiers, tailleurs, artisans). Tous savent le sort qui les attend. En Septembre 1942, les 245,000 Juifs du ghetto de Varsovie et 112,000 autres Juifs de la région périphérique de Varsovie ont été gazés et incinérés. Leurs cendres sont enterrées dans des fosses linéaires à côté du camp. Au début de 1943, d’autres trains de déportés juifs arrivent de Radom, de Lublin et de Bialystok, groupés en rangs et gazés – soit 484,000 personnes. C’est presque tous les Juifs de la Pologne centrale qui ont été exterminés dans ce camp.

_

Wagon chargé vers Treblinka – Le quai de la gare de Treblinka

Un train de déportés en direction de Treblinka regroupait environ 60 wagons qui amènent les déportés à la gare. Il y avait sur chaque wagon une inscription à la craie indiquant le nombre de déportés entassés. Chaque train représentait en moyenne 4000 personnes. Ils arrivaient de tous les coins de la Pologne (carte ci-bas), mais aussi d’Allemagne, de Biélorussie, d’Autriche, de Tchécoslovaquie et de Bulgarie. Dès l’arrivée, les déportés doivent abandonner leurs effets personnels qui, souvent, s’étalent sur une superficie de 780 mètres sur 600. Le train qui a débarqué son lot de déportés fait quelques kilomètres avant de ramasser du sable à la carrière, puis repart. Comme à Auschwitz, les déportés sont accueillis par un orchestre de prisonniers. La majorité des déportés croyait que la gare de Treblinka n’était qu’une étape vers une autre destination de relogement. Lors de l’arrivée à Treblinka 2, les caporaux SS demandaient aux gens de se dévêtir en n’emportant que leurs papiers, les objets de valeur et le strict nécessaire pour se laver. Les femmes et les enfants d’abord. Des dizaines de questions se pressaient sur leurs lèvres : fallait-il prendre du linge? Les hommes, eux, se déshabillaient dans la cour. On en désignait, dans le premier contingent de la journée, de cent cinquante à trois cents parmi les plus robustes pour servir de sonderkommandos, chargés d’enterrer les cadavres et que, d’ordinaire, on tuait le lendemain.

Les gens passaient devant les "hérissons" antichars, devant des barbelés trois fois hauts comme un homme, le long d’un fossé antichar de trois mètres de large, puis de nouveau devant un fil d’acier mince roulé, tortillé en buissons, et encore le long du mur qui faisaient des mètres et des mètres de barbelés. Un sentiment affreux – celui d’être perdu irrévocablement – s’emparait des condamnés : impossible de fuir, de revenir en arrière, et même de se battre, car sur les tours de bois, basses et trapues, des mitrailleuses étaient braquées. Appeler à l’aide? Qui viendrait à leur secours? Seuls les geôliers SS avec leurs armes les entouraient… Entretemps, les biens personnels des déportés étaient chargés sur des camions pour être triés et les objets de valeur confisqués et portés au dépôt. Les vêtements étaient fumigés et envoyés en Allemagne, de même que les chaussures dont le cuir récupéré servirait aux besoins de la Wehrmacht.

_

Les chaussures sont récupérées – Corps de 150 Juifs dans une chambre à gaz

Les dix chambres à gaz de Treblinka 2 ont été construites par la firme Stholer et Fils. La priorité du kommandant Stangl était d’obtenir la meilleure capacité de rendement. Ces chambres étaient aménagées dans un édifice de gazage au milieu duquel il y avait un corridor que les geôliers ukrainiens surnommaient le chemin du ciel. Au tout début, l’intoxication des détenus se faisait au monoxyde de carbone produit par des moteurs diesel. Mais ce gaz est ensuite remplacé par les cristaux volatils de Zyclon B. Dans son récit, Grossmann ne peut que témoigner son mépris envers un geôlier ukrainien – un anthropoïde nommé Soukhomil se trémoussait et criait les mots allemands : schneller, schizeller, mes petits ! L’eau du bain va être froide. Les hommes aux bras levés marchaient en silence entre deux haies de gardiens, sous les coups de crosse et de matraque, et les enfants couraient car ils avaient peine à suivre les adultes. Chaque chambre était scellée par une porte individuelle, de même qu’une porte centrale pour l’édifice lui-même. Les auxiliaires ukrainiens poussaient brutalement les victimes à l’intérieur des chambres et on obligeait celles-ci à garder les bras en l’air pour occuper le moins d’espace possible. La mort au Zyclon B survenait après une quinzaine de minutes et les gardes SS pouvaient observer la scène à travers un judas plastifié. La ventilation des chambres durait 20 minutes. Les sonderkommandos récupéraient les corps sur des chariots et les amenaient aux crématoires. Puis, c’était au tour du groupe suivant… Les prisonniers encore en vie après un gazage étaient achevés au pistolet.

Schéma de l'édifice de gazage

Le nouveau commandant de Treblinka, Kurt Franz, se faisait un devoir d’assister à chaque gazage avec son chien berger en laisse. Parfois, il le lâchait pour arracher les organes génitaux de certains déportés en route vers le sinistre édifice. Cet adjoint de Stangl s’était fait remarquer pour ses talents d’organisateur et de logisticien avant d’hériter du sceptre de son maître. Franz était très craint et cordialement détesté des détenus, comme en témoigne le dernier survivant de Treblinka (ci-contre). Sauf que des déportés, il y en avait trop pour les capacités des crématoires. Durant l’été 1943, de grands bûchers furent étalés sur les côtés du camp pour y incinérer les victimes, tout comme en 1941. Lorsque Himmler inspecta le camp, il demanda à Franz d’aménager un four géant à forte capacité calorique. Pour l’aménager, un excavateur de grande taille creusa une fosse longue de 650 à 900 pieds, large de 150 pieds, profonde de 20 pieds. Trois rangées de petites colonnes équidistantes en béton armé, hautes de 13 pouces, furent construites au fond et servirent d’appui aux poutres d’acier que l’on disposa tout le long de la fosse. Sur ces poutres, et transversalement, on installa des rails, à 3 pouces l’un de l’autre. On eut ainsi les grilles géantes d’un four cyclopéen. Une nouvelle ligne à voie étroite conduisait des fosses communes à ce premier four, auquel il s’en ajouta bientôt un deuxième, puis un troisième de mêmes dimensions. Chacun d’eux pouvait recevoir à la fois de trois mille cinq cents à quatre mille cadavres.

__

Franz Stangl en 1942 – Kurt Franz en 1943 – Commentaire sur Franz

La température interne de combustion dépassait les 4000 degrés. On y travaillait nuit et jour. Ceux qui étaient occupés à l’incinération des cadavres racontent que les fours faisaient songer à de prodigieux volcans; la chaleur terrible qu’ils dégageaient brûlait les visages; la flamme qu’ils vomissaient atteignait 30 pieds; des colonnes de fumée noire, dense et grasse, montaient dans le ciel et se déployaient en un lourd rideau immobile. A 20 ou 30 milles à la ronde, les habitants des villages voyaient cette flamme s’élever, la nuit, au-dessus de la sapinière qui entourait le camp. Une odeur de chair brûlée était partout. Quand le vent soufflait en direction du camp polonais, situé à trois kilomètres de là, l’air y devenait irrespirable. L’incinération des cadavres occupait 800 détenus sonderkommandos, nombre supérieur à celui des ouvriers employés aux hauts fourneaux ou aux fours Bessemer de n’importe quelle grosse usine métallurgique. Pendant huit mois, cette monstrueuse entreprise fonctionna nuit et jour, mais sans arriver à faire disparaître tous les cadavres enterrés là. Il est vrai que de nouveaux contingents de déportés continuaient d’arriver. D’où, pour les fours, un surcroît de travail, d’autant plus que l’été 1943 est très chaud. L'incinération des cadavres se poursuivait; depuis six mois déjà les fours et les bûchers fonctionnaient le jour et la nuit, mais seulement un peu plus de la moitié des morts avaient été brûlés. Les détenus qui travaillaient à l'incinération des cadavres ne résistaient pas longtemps aux horribles tourments moraux et corporels qu'ils enduraient; on enregistrait de 15 à 20 suicides par jour, et, beaucoup trouvaient la mort en enfreignant délibérément les règlements disciplinaires. Selon les dires de plusieurs détenus qui se sont évadés, vivre à Treblinka était mille fois plus horrible que d’y mourir.

_

Un chariot pour transporter les gazés – Pelle mécanique creusant des fosses

Dans Treblinka 1, l’infirmerie va non seulement servir à soigner le personnel du camp, mais à infliger des sévices aux détenus. Après avoir été accueillis par un faux médecin, ils étaient tués, et leurs cadavres placés sur des civières étaient emportés à la fosse commune. Par la suite on creusa une grande fosse circulaire. Tout autour, des sièges très bas étaient disposés, mais si près du bord qu'en s'y asseyant on se trouvait au-dessus de la fosse où brûlaient des cadavres. On conduisait à l' "hôpital" les malades et les vieillards décrépits; des "infirmiers" les faisaient asseoir sur les sièges d'où ils voyaient les cadavres se tordre dans le feu. Ensuite, ces maudits sadiques tiraient à bout portant dans les nuques grises et les dos voûtés tout en mangeant des sucreries, et les pauvres corps s'abattaient dans les flammes. A Treblinka 2, pendant que les condamnés faisaient la queue devant l’édifice de gazage, les SS organisaient des matches de football entre les condamnés à mort. Ils les obligeaient à jouer à cache-cache; ils organisaient des chœurs et des danses auxquels ces infortunés devaient prendre part. Près des baraques allemandes, il y avait une ménagerie: des fauves relativement inoffensifs, des loups et des renards, étaient enfermés dans des cages, alors que les bêtes sauvages les plus hideuses et les plus dangereuses que la terre ait jamais portées circulaient librement avec leur chemise noire à collet droit orné d’une tête de mort; ils écoutaient nonchalamment la musique assis sur des bancs faits de bouleau. Les seuls détenus qui ont survécu quelques mois à Treblinka étaient des travailleurs spécialisés

_

Des Juifs raflés en route pour Treblinka – Ces femmes seront gazées

Les cendres des crématoires étaient sorties du camp par les paysans polonais du village de Wolka qui, encadrés par des SS, les déposaient dans des tombereaux pour les répandre le long de la route reliant Treblinka 2 à Treblinka 1 – le camp des Polonais. Les enfants des détenus étendaient les cendres avec leur pelle. On les surnommait les enfants de la route noire, en parlant d’eux. Ce ruban noir qui relie les deux camps était le symbole même de la Solution finale appliquée aux peuples dits inférieurs. Mais tout comme à Auschwitz et à Sobibor, des déportés détenus se révoltent. Partout en Pologne occupée, la population conquise apprend la dure réalité de Treblinka et un médecin de Varsovie ramasse des fonds pour aider d’éventuels évadés. Le médecin est arrêté et interrogé par Franz, mais il se suicida sans révéler la révolte qui gronde. Le plan de base était de tuer Franz et quelques officiers et de créer une tumulte pour faire évader le plus grand nombre de prisonniers possibles. La révolte éclate le 2 Août 1943. Des geôliers SS sont tués au couteau et à la hache, ce qui permet aux prisonniers de s’emparer de leurs armes – tout comme à Sobibor (ci-contre). Une flamme nouvelle monta dans l'air : non plus la flamme lourde, grasse et pleine de fumée des cadavres brûlés, mais le feu clair, vif et ardent de l'incendie. Les constructions du camp flambèrent. Et il semblait aux révoltés que c'était le soleil qui, sorti de son orbe, brûlait au-dessus de Treblinka, célébrant la rude volonté de vivre. Des coups de feu claquaient; les mitrailleuses crépitaient sur les tours prises par les révoltés. Les explosions des grenades neutralisent d’autres SS. Les détenus mettent le feu aux constructions du camp et tuent plusieurs auxiliaires ukrainiens. Les barbelés sont coupés à quelques endroits et la fourmilière se vida rapidement. Mais cette révolte n’est qu’un sursaut illusoire de dignité. A peine les révoltés, après un adieu muet aux cendres des morts, eurent-ils franchi les barbelés et quitté Treblinka 2 en flammes, que de tous côtés des troupes de S.S. et de policiers les poursuivaient. Des centaines de chiens furent lancés à leurs trousses. Des avions sont lancés à leur poursuite. Les détenus se battent dans les bois, dans les marais, et peu nombreux furent les révoltés qui en réchappèrent. C’est ainsi que le camp de Treblinka 2 a cessé d’exister. Les Allemands incinérèrent les cadavres qui restaient encore, démolirent les bâtiments de brique, enlevèrent les barbelés, brûlèrent ce qui subsistait des baraques de bois. Ils firent sauter ou emportèrent les installations, firent disparaître les fours, retirèrent les excavateurs, comblèrent les innombrables fossés. Rien ne resta du bâtiment de la gare. Enfin ils démontèrent les voies, enlevèrent les traverses. On sema du lupin sur l'emplacement du camp, et un certain Streben s'y construisit une petite maisonnette. Aujourd'hui, elle n'existe plus: elle a été brûlée elle aussi. Quel était donc le but des Allemands ? Faire disparaître les traces des milliers d'assassinats perpétrés dans l'enfer de Treblinka? La chose paraît impossible. Bien que les excavatrices démolissent les crématoires, de même que l’édifice de gazage. Cependant, les traces des massacres perpétrés sont indélébiles. Quant à Treblinka 1, il accueillera un nombre de moins en moins élevé de prisonniers politiques et il sera fermé, à son tour, un an plus tard.

_

Dessin du détenu Willenberg représentant la démolition de Treblinka 2 – Le monument commémoratif

Contrairement à Auschwitz et Dachau, le camp de Treblinka ne sera pas reconstruit comme lieu de mémoire. Il ne reste que l’empreinte physique des deux camps, le lieu des fosses, ainsi qu’un monument commémorant le passage des exterminés. Treblinka a coûté la vie à 480,000 Juifs polonais, 12,000 Juifs grecs et environ 10,000 Tziganes. Ce nombre demeure approximatif, faute de documents, si l’on se fie aux témoignages de villageois polonais et les bordereaux ferroviaires, ainsi que par les populations des ghettos juifs vidés.

Buchenwald

Après les camps d’extermination importants, tous situés à l’Est – hors des frontières allemandes, plusieurs camps établis en Allemagne resteront notoires dans la mémoire historique. Celui de Buchenwald en est un bel exemple. Il a été construit en 1937 près de Weimar par Fritz Sauckel, qui était à cette époque représentant du Reich dans le Thuringe, et par Theodor Eicke. Le site se voulait initialement un grand camp de concentration nouveau genre qui répondrait parfaitement aux exigences de la SS en matière de détention des cas de sécurité nationale. Le site s’étend sur 190 hectares et les baraquements sont construits par des prisonniers du camp de Sachenhausen. Les conditions de travail, l'encadrement par les triangles verts et le manque d'équipements appropriés causent de nombreuses victimes. Le périmètre du camp est entourée d’une clôture électrifiée et la porte d’entrée porte une inscription en fer forgé : à chacun son dû.

_

Le lieu du camp – La devise du camp

Bien qu’administré par la SS, le camp possède une annexe utilisée par la Gestapo qui porte le nom de section politique (Politische Abteilung). Elle interroge et torture les prisonniers. Jusqu’en 1942, les SS mènent personnellement les interrogatoires, bien souvent par la violence. De plus, elle surveille les activités politiques des prisonniers grâce à un réseau d’espions. Buchenwald a été dirigé par deux kommandants : Karl Koch, de 1937 à 1941 et Herman Pister de Janvier 1942 jusqu’à la fin de la guerre. Les deux officiers SS sont de caractères très différents. Bien que tous les deux soient des vétérans de la Première Guerre mondiale, Koch a toujours été une brute froide tandis que Pister est un administrateur méthodique. Buchenwald sera un camp qui évoluera au rythme de la conjoncture politique et militaire. Avant la guerre, il héberge les fortes têtes qui s’opposent au régime et une masse de prisonniers politiques de toutes allégeances qui doivent être "remodelés" – y compris 18 députés qui resteront internés jusqu’en 1942. Les SS donnent des responsabilités secondaires aux prisonniers. Certains seront responsables de groupes ayant un pouvoir de sanction : doyens de camp, doyens de bloc, kapos et contrôleurs. D’autres prisonniers supervisés travailleront dans les bureaux, cuisines et infirmeries de prisonniers. Jusqu'en 1939, les juifs sont exclus de toutes les fonctions. La nomination de doyens de blocs juifs n'est due qu'à des considérations pratiques. Les autres catégories de prisonniers spécifiques comme les Tziganes, les homosexuels et les "asociaux" sont exclus systématiquement des fonctions importantes.

_

L'entrée principale – Herman Pister

Au fur et à mesure que la guerre se rapproche, Buchenwald accueillera 700 détenus républicains espagnols et un nombre équivalent de Tchèques. A l’automne 1939, le camp reçoit 4500 prisonniers de guerre polonais dont la présence n’est utile que s’ils peuvent travailler. En 1940, ce sera au tour des otages hollandais et belges – près de 2900 – qui seront internés. En 1941, viendront les Serbes et les Croates, mais leur nombre est faible et ils restent isolés des autres prisonniers. Un transport de Flossenburg en Octobre 1943 fait passer leur effectif à 759. À la mi-Juin 1944, 575 Serbes et 327 Croates se trouvent à Buchenwald. Quant aux prisonniers russes, ils arrivent durant l’été 1942 et ils sont fort mal traités car les SS les battent souvent et les privent de nourriture Ils sont quasiment tous affectés au sonderkommando X, un groupe chargé de la construction des usines d’armement du camp ou à la carrière. La mortalité est telle que les SS renoncent à enregistrer officiellement les décès. Ils seront plus de 17,000 au total. L’occupation complète de l’Allemagne en Novembre 1942 amènera à Buchenwald un bon nombre de Français. Lorsque l'Italie capitule en Septembre 1943, plus de 3500 prisonniers politiques italiens sont transférés à Buchenwald. En Août 1944, le SD parisien évacua les prisonniers de guerre d'un stalag près de Compiègne à Buchenwald. Parmi eux, 167 pilotes abattus en Allemagne dont 82 américains, 48 Britanniques, 26 Canadiens, 9 australiens, 2 Néo-zélandais et 1 jamaïcain. Parmi les prisonniers qui arrivent le 17 Août 1944 se trouvent aussi 37 membres des services secrets, arrêtés en France, à qui la Gestapo réservera un traitement spécial. Fait à noter, des personnalités politiques y seront également internées: Léon Blum, George Mandel, Léon Jouhaux et le ministre d'État belge Janson ont été internés dans des conditions très différentes de celles des déportés du camp de concentration.

_

Himmler en tournée d'inspection – La clôture électrifiée

Sous le commandement de Koch, le travail des prisonniers est un instrument de terreur très prisé. La productivité et le zèle des prisonniers sont alors secondaires. Avec la fin de la première phase de construction, les réflexions sur l’exploitation économique du travail des prisonniers sont mises de l’avant. La vie dans le camp est réglée comme dans celle de tout autre camp de concentration, avec des tâches fixes pour les prisonniers qui doivent les effectuer dans des délais précis, sous peine de châtiments corporels. L'infirmerie ne s'occupe que de la santé du personnel allemand. Pour les détenus, l'endroit n'est rien d'autre qu'une salle de torture déguisée. Du temps de Karl Koch, les médecins du camp, qui sont responsables du suivi médical des membres de la SS et des prisonniers ainsi que de l’hygiène changent souvent. L’infirmerie des prisonniers, aussi, apparaît dans les premiers mois du camp comme lieu de soin pour les maladies simples. La construction d’une infirmerie avec plusieurs baraques et des salles d’opération résulte non pas d’un souci de la santé des prisonniers mais de la volonté des SS de ne plus être dépendants de l’hôpital de Weimar et de la clinique universitaire de Jena. La salle d’opération du Revier remplit toutes les conditions pour des opérations stériles, des stérilisations, des émasculations. L’agrandissement de l’infirmerie est favorisé par des épidémies et des arrivées de prisonniers. Du temps du commandant Koch, les prisonniers médecins n’ont pas le droit d’exercer dans l’hôpital. À la suite de la surpopulation du camp en 1938, la première épidémie de typhus se déclare et conduit à une quarantaine générale d’une semaine. Un an plus tard, alors que le camp est de nouveau surpeuplé, une épidémie de dysenterie provoque de nombreux décès parmi les prisonniers.

_

Baraquements – Le Petit camp est un mouroir

Buchenwald servira de lieu de torture pour de nombreux médecins nazis dépourvus de scrupules. Waldemar Hoven participera à presque toutes les "expériences" menées sur les détenus, aux assassinats de malades, aux sélections pour l’extermination et se laisse corrompre par le commandant Koch et par les prisonniers. Aux côtés de Hoven, la majorité des médecins SS participe aux crimes contre les prisonniers. Un autre fêlé du nom de Werner Kirchert mène des "tests d’intelligence" et fait des demandes de stérilisation devant les tribunaux chargés des maladies héréditaires pour les prisonniers ne réussissant pas avec succès ces tests. Il contraint des homosexuels à se porter volontaires pour être émasculés. Un autre médecin, Ding, fait plusieurs expériences sur la fièvre jaune, tandis que Hans Muller initie le découpage, le tannage et la réparation des peaux tatouées. Pour effectuer cette tâche horrible, Muller était assisté de l'infirmière Ilse Koch, épouse du premier commandant du camp (ci-contre). C'est elle qui sélectionnait les détenus alignés pour l'appel du matin. Les malheureux étaient exécutés à la seringue et leur épiderme écorché. La peau était récupérée dans une telle quantité que le docteur Hoven, médecin-chef du camp, interdit, après le départ de Muller en 1942 que continue la fabrication de cadeaux en peau humaine. Quant à cette infirmière inquiétante, elle sera surnommée "la chienne de Buchenwald".

_

Les émaciés du Petit camp – Les banquettes des détenus

Les conditions de détention, qui étaient déjà dures à Buchenwald, vont empirer au moment ou l'Allemagne envahit l'URSS en 1941. Nous savons que les Allemands vont interner et massacrer de nombreux prisonniers de guerre soviétiques dans ses camps à l'Est. Quant au camp de Buchenwald, une installation spéciale est prévue pour encager les prisonniers soviétiques. Celle-ci ressemble à une infirmerie. On invitait le prisonnier russe à se faire ausculter et à passer à la toise. Derrière le mur au niveau du cou, il y avait un petit orifice: le détenu était exécuté d'une balle de calibre .32 dans la nuque. Au moins 7000 Soviétiques sont ainsi exécutés, parfois 400 en une nuit. Lorsque la Solution finale est signée au début de 1942, ce sera au tour des prisonniers juifs à être éliminés. Plus de 2500 d'entre eux seront astreints aux travaux forcés et mourront d'épuisement. Buchenwald comprend plusieurs subdivisions. L'une d'entre elles est le Petit camp, désigné comme une zone spéciale pour parquer l'excédent des détenus qui nuit à la bonne marche du camp. Les SS avaient installé des écuries de la Wehrmacht de 40 mètres de long sur 10 de large, dans lesquelles se trouvent deux rangées de 3 ou 4 couches superposées. À partir de 1943, tous les déportés y subissent une période de quarantaine. Celle-ci dure de 4 à 6 semaines. De Mai à Septembre 1944, ils dressent 5 tentes militaires à l’intérieur du Petit camp. Ces cinq tentes restèrent les seuls abris possibles. Environ 200 à 300 enfants, vieillards et malades y dormaient. Les autres devaient vivre autour par n’importe quel temps. Ultérieurement, les SS font construire 17 baraques dans le Petit camp et font enlever les tentes. De 1800 à 1900 prisonniers vivent dans 500 mètres carrés. En Janvier 1945, 6000 prisonniers se trouvent dans le Petit camp. La faim, la saleté, les combats désespérés pour survivre, les maladies contagieuses règnent sur cet endroit. Une mortalité massive en résulte: 5200 personnes environ meurent en trois mois. Le Petit camp est, en fait, un mouroir où ceux qui y sont parqués deviennent des morts-vivants.

_

La salle d'exécution – Le crématorium

Buchenwald sera à la fois un camp de détention et un grand mouroir où les gens étaient usés à la corde par les travaux forcés. Il possède plusieurs annexes industrielles pour les firmes Gustloff, Mibau et DAW, de même qu'un sous-camp appelé Dora, qui est créé à proximité de la ville de Nordhausen, à 80 km au nord. D'abord rattaché à Buchenwald, il devient un camp de concentration à part entière en Octobre 1944 sous le nom de Mittelbau. Des milliers de Français y ont été déportés, dont plus de la moitié sont morts. Buchenwald n'était pas, à proprement parler, un camp d'extermination comme ceux construits en Pologne. Fait particulier, le camp ne possédait pas de chambres à gaz, mais plusieurs aires d'exécution externes et internes, dont une salle dans laquelle on pendait les suppliciés à des crocs de boucher avec des cordes de piano – une méthode qui sera utilisé en 1944 pour exécuter plusieurs conspirateurs de l'attentat contre Hitler. Cependant, il y avait deux crématoires à trois portes qui incinéraient les victimes. Celles-ci étaient acheminées sur des chariots métalliques vers une chute (dumpster) en acier inoxydable qui les jetaient au sous-sol de l'édifice d'exécution – là où se trouvent les crématoires. S'il y avait trop de corps à brûler en même temps, ceux-ci étaient souvent laissés sur les crocs muraux, comme de vulgaires quartiers de viande, avant de les amener au crématoire. Outre la balle de .32 tirée dans la nuque, d'innombrables prisonniers ont été tués par bastonnades avec des gourdins en bois franc. Des potences ont également été érigées ça et là dans l'enceinte du site (ci-contre).

_

La fausse toise – Prisonniers usés aux travaux forcés

La majorité des exécutions n’a pas lieu devant les prisonniers mais dans le stand de tir près de l'annexe industrielle DAW, quelquefois aussi dans le chenil de la kommandantur, le plus souvent dans la cour ou dans la salle d'exécution, où sont accrochés à cette fin, comme dans un abattoir, 48 crochets. Le SS Hermann Helbig reconnaîtra avoir pendu plus de 250 personnes. Le sociologue Eugen Kogon parle plutôt de 1100 hommes et femmes assassinés dans la cave. À l’automne 1944, les SS pendent 34 Français, Belges, Anglais et Canadiens, appartenant aux services secrets alliés. Sont aussi exécutés quelques officiers polonais en 1943. Enfin le député du Reichstag et chef du parti communiste allemand Thaelmann est abattu dans la nuit du 17 au 18 Août 1944 dans la salle des fours crématoires. L'administration de Buchenwald n'avait pas les capacités logistiques de tuer un grand nombre de déportés quotidiennement, et préférait envoyer ses "surplus" d'indésirables à d'autres camps munis de "l'outillage nécessaire".

Pour plusieurs détenus, fuir Buchenwald était une question de vie ou de mort. Cependant, l'infrastructure immobilière du camp fait en sorte qu'il y a peu d'angles morts par où un prisonnier peut se faufiler et espérer ramper sous la clôture. Des malheureux s'y sont risqués, et ceux qui n'ont pas été mitraillés par les gardes dans leurs miradors ont été électrifiés.

_

Fuir à tout prix – Corps empilés pour être incinérés

En Avril 1945, l'administration SS de Buchenwald en profite pour détruire quelques dossiers, éliminer des prisonniers politiques susceptibles de collaborer ultérieurement avec les Alliés, et évacuer une partie de la population carcérale vers un autre camp. Mais la plupart des détenus ne sont pas en état de marcher, et plusieurs vont mourir d'épuisement le long des routes qui partent de Buchenwald. Les autres prisonniers sont tout simplement laissés à leur sort. Une partie des fichiers de la bureaucratie SS ont permis d'établir un bilan provisoire des pertes humaines à environ 240,000 personnes. De ce nombre, 35,000 sont morts par balles, 1100 pendus, et le reste par épuisement au travail. Après la guerre, Buchenwald passera sous administration soviétique et deviendra le Camp Spécial No. 2 intégré au système du goulag. Environ 7000 Allemands y périront avant que les Soviétiques démolissent le camp en 1950.

Bergen-Belsen

Ce camp de concentration était situé entre les villes de Bergen et de Belsen. Il est souvent désigné par ce dernier nom. Belsen a connu plusieurs vocations: D'abord camp de travailleurs, camp d'entraînement de la Wehrmacht, puis dépôt de matériel et d'armes, il est transformé en stalag pour prisonniers de guerre français, bientôt agrandi lors de l'invasion de l'URSS. En Juillet 1941, il y a déjà 20,000 prisonniers de guerre soviétiques qui ne sont pas internés dans des baraquements, mais parqués en plein air. Les cinq baraques en pierre n'étaient pas encore construites. Jusqu'au début de l'année 1942, sur les 18,000 prisonniers de guerre soviétiques encore présents, 14,000 moururent de froid, de faim et de maladie. Les prisonniers soviétiques restants sont éliminés ou déportés ailleurs en Avril 1943. En 1943, Belsen devient un camp de transit où tour à tour prisonniers de guerre et déportés indésirables se croisent pour être acheminés dans d'autres camps. Ainsi, des Juifs possédant une nationalité de pays neutre comme des Turcs ou des Espagnols de Salonique, des Juifs avec des papiers sud-américains, des Polonais à double nationalité, des Juifs "palestiniens", des femmes françaises de prisonniers de guerre, et leurs enfants, venues de Drancy en Mai et Juillet 1944, qui sont au camp de l'étoile. Ce ne sera qu'au début de Décembre 1944 que Bergen-Belsen deviendra un véritable camp de concentration avec tous les attributs matériels qui s'y rattachent (crématoires, "infirmerie" et prison spéciale, etc.), sous la gouverne du SS Josef Kramer, du régiment Totenkopf (ci-contre), qui arrive tout droit d'Auschwitz avec ses détenus collaborateurs (kapos). C'est à partir de ce moment que les conditions de détention s'aggravent, surtout avec l'arrivée de nombreux prisonniers d'Auschwitz qui parviennent à s'y traîner après la marche forcée qui a suivi la fermeture du camp.

_

Lieu de camp de Bergen-Belsen – Le monument commémoratif

Avec le surpeuplement, la désorganisation et les épidémies, la mortalité est très forte. Les Juifs de transit du camp de l'étoile, du camp des Hongrois, du camp des neutres et du camp spécial, sont évacués par 3 trains pour Thierensentstadt. Le troisième train, lui, sera libéré par les Soviétiques. Selon le médecin français Frejafon, les principales causes de décès à Bergen-Belsen était l'épuisement et la famine. Il affirme que c'était un état complexe déterminé par des facteurs alimentaires dont le principal était naturellement l'insuffisance globale de la ration quotidienne. Elle avait pour résultat un amaigrissement extrême, surtout tragique chez ceux qui avaient possédé un certain embonpoint. À l'insuffisance s'ajoutait le déséquilibre. L'excès relatif d'amidon météorisait les ventres et entraînait une incoercible diarrhée ; la restriction en protéines créait les oedèmes, l'absence de fer anémiait les épidermes. Les avitaminoses ulcéraient les gencives et entraînaient des troubles de la marche... Les guérisons étaient impossibles, parce que l'hygiène du camp était volontairement horrifiante: les hommes restaient cinq, six mois sans changer leur misérable chemise, leur unique caleçon, sans être conduits aux douches, sans aller, dans certains blocs, aux lavabos dont on leur interdisait l'accès; les paillasses, imprégnées des déjections des mourants, n'étaient jamais remplacées; les couvertures que l'on se refilaient, minces loques effilochées, étaient couvertes de crachats desséchés; le parquet des baraques était noir de vermine.

Vue aérienne de Bergen-Belsen

Les détenus restaient quinze heures consécutives dans une salle aussi hermétiquement fermée qu'un tombeau, où se mêlaient les miasmes, tous les germes, car, malgré les efforts des médecins, les tuberculeux couchaient avec les érysipèles, les dysentériques avec les pneumoniques, les scarlatineux avec les blessés. Les guérisons étaient impossibles parce que les médicaments étaient donnés au compte-gouttes et n'étaient que des médicaments anodins... Les guérisons étaient impossibles parce que les gens de maîtrise ne laissaient passer aucun prétexte pour frapper ou glacer les malades; parce que entre les détenus mêmes, les plus faibles subissaient les brutalités des plus forts, comme chez les bêtes... De même que dans tous tes camps, on mourait à Belsen de mort violente, d'épuisement ou de maladie. Les morts violentes étaient moins nombreuses que dans les grands camps; les pendaisons massives et les chambres à gaz y étaient inconnues. Les barbelés n'étaient pas électrifiés. Les fusillades collectives ne se produisirent que dans les jours qui précédèrent la délivrance. Il restait les meurtres individuels, officiels ou non, les piqûres et les suicides. Ces derniers étaient nombreux et procédaient par vagues épidémiques. On choisissait toujours la pendaison qui était à la portée de tous : une ceinture, une poutre, un escabeau.

_

Les détenus souffrent de malnutrition – Le crématoire du camp

A partir d'Août 1944, une partie du camp devint un camp de femmes qui logera 9000 femmes et jeunes filles. Celles qui n'étaient pas en état de travailler ont été exécutées, et les autres envoyées progressivement vers d'autres camps qui possédaient des annexes industrielles. Les premières femmes internées étaient des Polonaises arrêtées après le soulèvement de Varsovie. Les autres étaient des Juives polonaises ou hongroises qui avaient réussi la marche forcée depuis Auschwitz au début de 1945. Parmi les femmes qui ont péri dans ce camp, il y avait une déportée hollandaise, Anne Frank. Contrairement à d'autres camps de concentration, Bergen-Belsen n'avait pas de chambres à gaz pour exécuter les détenus, à cause de l'efficacité de celles-ci dans les camps d'extermination de l'Est. Les prisonniers étaient tués dans des mitraillages devant de larges fosses communes et enterrés tels quels, surtout si l'administration du camp n'avait pas le temps de les incinérer à ciel ouvert. Le petit crématoire du camp était tout à fait insuffisant.

_

Les baraquements infects sont surpeuplés – Une des fosses de Bergen-Belsen

L'administration du camp par Kramer et ses adjoints SS a été dépassée par l'ampleur de l'encadrement à effectuer pour assurer le bon fonctionnement du site. En devenant un vrai camp de concentration, Bergen-Belsen est devenu un camp d'extermination bien malgré lui – sans disposer des installations nécessaires pour mener une entreprise génocidaire. Le camp qui avait toujours logé une population carcérale variant entre 6000 et 20,000 détenus se retrouve confronté à gérer les prisonniers évacués d'Auschwitz durant la grande marche forcée de Janvier 1945. Le nombre de détenus passe rapidement à 60,000 et la nourriture est insuffisante pour les garder en vie. Dans le climat de désorganisation qui s'installe en Allemagne, c'est à peine si les geôliers SS ont des rations convenables à se mettre sous la dent. En Mars 1945, la perturbation du système ferroviaire allemand par les avions alliés ne permet plus à Kramer de transférer une partie de cette population carcérale vers d'autres camps, comme auparavant. Les détenus sont laissés à eux-mêmes. Une épidémie de typhus se déclare. Kramer devient nerveux… Un Avril, lorsque les SS apprennent que les Britanniques sont à 50 km du camp, ils liquident les prisonniers jugés les plus défiants et évacuent le camp. Une colonne motorisée britannique arrive aux portes de Bergen-Belsen le 15 Avril 1945.

Dachau

Rappelons que Dachau, situé près de Munich en Bavière, a été le premier camp de concentration important de l'Allemagne nazie, et le second à avoir été construit après la prise du pouvoir d'Hitler en Janvier 1933. Il a tout d'abord été un camp de détention pour prisonniers politiques qui devaient être "rééduqués", avec une population carcérale de 4800 prisonniers, qui passera rapidement à environ 13,000 en 1937. Dachau fut le camp central où étaient envoyés les prisonniers chrétiens, essentiellement des catholiques bavarois et polonais. Dans ce "Bloc des prêtres" se trouvaient 2720 prêtres (dont 2579 catholiques). La majorité était polonaise (1780); 868 sont morts à Dachau. Selon les archives vaticanes, plus de 3000 de ceux-ci périrent dans le camp, surtout pendant l'année 1942 qui fut la plus dure. Sous les conseils de Theodor Eicke, le camp sera non seulement pourvu d'une chambre à gaz et de fours crématoires, mais va se muter en camp de concentration et accessoirement d'extermination. On y retrouve non seulement des prisonniers politiques, mais aussi par la suite des Juifs bavarois, des prisonniers de guerre soviétiques et des femmes ainsi que des homosexuels et des tziganes. Chacun connaîtra la souffrance, la faim et y côtoiera la mort. Dachau compta plus de 100 sonderkommandos qui, avec le camp central, regroupèrent 75000 détenus. Son existence était connue en dehors des frontières dès 1933.

__

Le lieu du camp – La porte principale du camp

Vu de l'extérieur, Dachau ressemblait à une installation militaire classique, avec des baraquements allongés, un périmètre clôturé avec des tours de guet. Les gens savaient que l'endroit avait une fonction de détention. À l'entrée, sur le portail noir (cf. image ci-dessous), on peut aujourd'hui encore, lire l'inscription "Arbert Macht Frei (le travail rend libre). Dans le camp se trouvaient en garnison un groupe de geôliers SS ainsi que des agents de la Gestapo en uniforme. Les prisonniers étaient entassés dans 34 baraques, chacune devant en principe contenir 208 prisonniers. Ces baraquements verront leur nombre de prisonniers s'accroître durant les années de guerre, si bien que chacun logera 1600 détenus en 1945. Dachau a été construit près d'une usine de munitions qui utilisera de la main-d'œuvre servile. Cependant, ladite usine étant vieillotte est démolie, et une annexe industrielle est aménagée à Dachau durant l'été 1938. La construction fut officiellement terminée à la mi-août 1938, et l'architecture du camp resta pour l'essentiel inchangée jusqu'en 1945. Dachau resta en fonction pendant toute la période de la guerre. Ce camp était également conçu comme un centre d'entraînement pour les gardes SS des autres camps, et rappelons-nous que l'organisation et la routine de Dachau servirent de modèles pour tous les camps de concentration nazis.

_

Les premiers geôliers SS de Dachau – Aperçu des baraquements

Dachau était divisé en deux sections: la zone des baraquements et celle des fours crématoires. Son administration était située dans le corps de garde à côté de l'entrée principale. La zone du camp comportait aussi des bâtiments de soutien logistique avec les cuisines, la buanderie, les douches et les ateliers, ainsi qu'un bloc prison (Bunker). La cour située entre la prison et la cuisine centrale était utilisée pour les exécutions sommaires de prisonniers. Une clôture électrifiée en fils de fer barbelés, un fossé et sept tours de guet entouraient le camp. En 1942, la zone des fours crématoires fut construite près du camp principal. Elle comprenait l'ancien four crématoire et le nouveau (Baraque X) auquel était adjointe une chambre à gaz. Il n'existe pas de preuve formelle que la chambre à gaz de la Baraque X a été utilisée. Périodiquement, les prisonniers subissaient une "sélection"; ceux qui étaient jugés trop malades ou trop faibles pour continuer à travailler étaient envoyés dans le centre d'extermination "d'euthanasie" de Hartheim, près de Linz, en Autriche. Plusieurs milliers de prisonniers de Dachau ont été assassinés à Hartheim. Par ailleurs, les SS utilisèrent le champ de tir et la potence dans la zone des fours crématoires comme sites d'extermination pour les prisonniers.

_

La vieille usine de munitions – Himmler visite Dachau

Dachau devint un camp d'extermination par le travail, parce que tous les détenus étaient soumis aux travaux forcés. Tout abord, ils étaient employés pour faire fonctionner le camp, dans divers projets de construction et dans de petites industries artisanales installées sur le site même. D'autres travaillaient dans des sonderkommandos extérieurs. Des prisonniers construisaient des routes, travaillaient dans des carrières de pierre, et drainaient des marécages. Pendant la guerre, le travail forcé utilisant les prisonniers de Dachau prit de plus en plus d'importance pour la production allemande d'armement dans cette région du pays. Quelques autres annexes industrielles ont été construites dans le voisinage du camp durant l'été et l'automne 1944. Dachau à lui seul possédait plus de 30 "sous-camps" de grandes dimensions dans lesquels travaillaient 30,000 prisonniers, surtout pour l'armement. Des milliers de prisonniers moururent d'épuisement au travail.

Vue aérienne du camp de Dachau

Dachau a également été le théâtre d'expériences "médicales" sur les détenus. Entre autres, des expériences de haute altitude dans une chambre de décompression, des expériences sur la malaria et la tuberculose, des expériences d'hypothermie et des tests expérimentaux sur de nouveaux médicaments. Les prisonniers étaient également contraints de tester des méthodes pour rendre l'eau de mer potable ou pour arrêter des hémorragies trop importantes. Des centaines de prisonniers moururent ou restèrent handicapés à vie suite à ces expériences. A partir de l'automne 1944, la vie du camp et des détenus est perturbée par la désorganisation administrative précédant la défaite de l'Allemagne: Annexes industrielles bombardées, transport routier et ferroviaire paralysé, encadrement de plus en plus inefficace des détenus, etc. Comme dans la plupart des camps nazis, les prisonniers affaiblis seront laissés à eux-mêmes pendant que leurs geôliers se font la malle. En Avril 1945, les Américains arrivent aux portes du camp.

_

Toujours des corps abandonnés

_______________

La libération des camps

De l'été 1944 jusqu'en Avril 1945, les offensives alliées réduisent l'Allemagne à une peau de chagrin. Durant leur progression vers les frontières allemandes, les Alliés vont libérer les prisonniers de guerre enfermés dans de nombreux stalags, que ce soit en Italie, en France, et même sur le front de l'Est. Les stalags sont soit fermés ou passent sous une "nouvelle administration" qui va gérer les prisonniers allemands… Cependant, rien ne les prépare à encaisser le choc de la découverte des camps de concentration et d'extermination, laissés plus ou moins à l'abandon par le tyran nazi. Le premier camp d'extermination à être libéré est celui de Majdanek en Juillet 1944. Les geôliers SS voyant que l'Armée rouge progresse rapidement vers le site l'évacuent rapidement, sans vraiment se donner la peine de nettoyer les traces de leurs crimes. Ils commencent par démolir les infrastructures d'extermination en mettant des explosifs dans le four crématoire principal mais, dans la hâte, ils n’eurent pas le temps de détruire les chambres à gaz. Certaines fosses communes ont été mal enterrées (ci-contre). Pour la première fois, un camp de concentration est libéré presque intact, et les Soviétiques y dépêchent des correspondants de guerre alliés qui mesurent l'ampleur de l'entreprise génocidaire des nazis. En Occident, les reportages du Signal Corps américain sont diffusés par le biais des actualités du grand écran (ci-bas à droite). Durant ce même été 1944, les Soviétiques parvinrent également sur les sites des camps d’extermination de Belzec, Sobibor et Treblinka. Rappelons que les SS avaient déjà démantelé ces camps en 1943, après y avoir exterminé une grande partie des Juifs de Pologne.

_

Prisonniers soviétiques à Majdanek – Les atrocités nazies à Majdanek font recette au cinéma

Le 26 Janvier 1945 par un froid glacial, les Soviétiques arrivent aux portes du camp d'Auschwitz. Il n'y avait aucun personnel SS dans le camp, seulement quelques milliers de prisonniers trop faibles pour avoir été évacués. De nombreuses preuves du meurtre de masse existaient encore à Auschwitz. Avant de fuir, les Allemands avaient détruit la plupart des entrepôts du camp mais dans ceux qui restaient les Soviétiques trouvèrent les effets personnels des victimes. Ils découvrirent, par exemple, des centaines de milliers de costumes d’homme, plus de 800,000 vêtements féminins qui n'avaient pas encore été réacheminés en Allemagne et plus de 18,000 lbs de cheveux humains. Parfois, les nazis amassaient des choses pour le simple plaisir de les amasser – comme ce monceau de lunettes inutiles. Mais les Nazis avaient fait sauter les fours crématoires et brûlé les documents administratifs.

_

Prisonniers d'Auschwitz libérés par les Soviétiques – Les enfants d'Auschwitz sont sauvés

A l'Ouest, le 11 Avril 1945, l'US Army entre dans le camp de Buchenwald en Allemagne, quelques jours après qu'il ait été évacué par les Allemands. Le jour de la libération, une organisation de résistance clandestine de prisonniers prend le contrôle de Buchenwald pour empêcher les derniers gardes du camp de commettre des atrocités. Ils en arrêtent une quarantaine qu'ils remettent aux GI's. Les troupes américaines vont ainsi libérer plus de 20,000 prisonniers à Buchenwald et dans ses annexes. Des monceaux de cadavres squelettiques traînent partout, en compagnie de morts-vivants. Le général Patton, qui n'était absolument pas préparé à la scène qu'il allait voir, fut si contrarié qu'il en vomit. Outré, il appela son supérieur Eisenhower: Ike, je sais que tu es très occupé, mais il faut absolument que tu viennes voir ça ici toi-même, et tout de suite… Quelques heures plus tard, Eisenhower entre dans Buchenwald avec le général Bradley et les photographes du Signal Corps.

_

Eisenhower n'en revient pas de ce qu'il a vu – Démonstration de la technique de bastonnade

Buchenwald a été un choc pour les GI's qui ont découvert l'état de délabrement et de déchéance humaine qui existait dans ce lieu infect. Le premier réflexe des soldats américains a été d'abreuver et de nourrir les prisonniers, mais un grand nombre d'entre eux était tout simplement trop faibles pour ingurgiter des breuvages et mâcher des aliments solides. Plusieurs sont morts en tentant de se nourrir. De nombreux détenus moururent malgré tout. Les Américains creusent des fosses pour enterrer les morts découverts le jour de la libération. Lorsque Eisenhower apprend que la population de la ville voisine de Weimar ignorait ce qui se passait vraiment dans ce camp, il ordonne aux notables et citoyens de venir constater par eux-mêmes, escortés par la prévôté américaine. Avant l'arrivée au site, les gens étaient tout sourire car ils croyaient participer à un événement médiatique qui les concernaient positivement. Une fois passé l'entrée du camp, les citoyens de Weimar se groupent autour d'une table garnie d'objets sinistres – dont une lampe faite de peau humaine pendant qu'un ex-détenu en fait la description. Il y avait également une paire de têtes réduites, et des porte-documents en peau humaine traitée et tatouée. Les sourires disparurent rapidement (ci-contre), d'autant plus que la forte odeur du lieu annonçait le pire: deux fosses communes que les geôliers, dans leur hâte de filer, n'avaient pas eu le temps de combler. La visite du crématoire, des baraquements et l'état de santé des survivants donna des nausées aux visiteurs. Les gens sortaient du camp éberlués et honteux. Il y eut des cas de dépressions nerveuses au retour en ville, y compris des suicides. Plusieurs citoyens de Weimar ont été réquisitionnés pour évacuer les corps des déportés.

_

Amaigris mais encore en vie – Des corps abandonnés

Les Américains ordonnent également à la mairie des villes de Weimar et de Langenstein d'apporter des vivres, de l'eau, des couvertures et des médicaments à Buchenwald, pendant qu'une compagnie médicale de la 80ème Division d'infanterie aménage un hôpital de campagne. Les survivants ont été désinfectés par crainte du typhus, puis lavés et rhabillés. Dans le groupe des correspondants de guerre alliés, il y avait le célèbre journaliste Edward Murrow – qui avait fait la couverture radio du blitz allemand sur Londres ainsi que la chasse au Bismarck – et qui donnera ses premières impressions radiophoniques sur CBS à un auditoire souvent incrédule: j'ai demandé à voir les baraquements. Ceux que j'ai vus logeaient des prisonniers tchécoslovaques. Lorsque je suis entré, les gens étaient si heureux qu'ils essayèrent de me mettre sur leurs épaules; mais ils étaient trop faibles. Plusieurs étaient incapables de se lever de leur banquette puante. Ils m'ont dit que leur baraque servait autrefois d'écurie pour 80 chevaux mieux traités qu'eux. La baraque, prévue pour loger 500 hommes en logeait 1200; ils couchaient à cinq sur chaque banquette. J'ai inspecté la fiche médicale de deux de ces baraquements. Il n'y avait que des noms dans un petit livre noir, rien d'autre. Aucune information sur la raison de leur internement n'avait été notée dans le livre en question. Lorsque je suis sorti de la baraque, un ex-détenu qui marchait nonchalamment meurt devant moi. Deux autres se sont traînés jusqu'aux latrines. Je suis incapable d'en faire la description

_

Le crématoire tel que découvert – Venez constater par vous-mêmes…

Lorsque les Soviétiques ont fermé Buchenwald en 1950, ils ont rasé tout le site, sauf la grande porte d'entrée – avec son horloge bloquée à l'heure de l'arrivée des Américains – son four crématoire et sa salle d'exécution. L'endroit a été préservé comme un lieu de mémoire par les autorités soviétiques, comme un "témoignage de la barbarie du système concentrationnaire nazi", tout en omettant que 20,000 Allemands y ont été internés de 1946 à 1949 et que plus de 7000 d'entre eux y ont trouvé la mort, surtout par privation de nourriture… Presque soixante ans plus tard, le site de Buchenwald a été visité par le président américain Obama, la chancelière Merkel, Elie Wiesel et des notables allemands.

_

Un ex-détenu désigne un SS – Obama et Merkel à Buchenwald en 2009

Les progressions alliées dans le nord-ouest de l'Allemagne amènent les Britanniques et les Canadiens dans la région du camp de Bergen-Belsen. Depuis Février 1945, le site est devenu un grand mouroir pour prisonniers laissés à eux-mêmes par des SS indifférents. La Wehrmacht connaissait très bien ce grand camp SS et le craignait autant que ceux qui y étaient internés mais pour une raison différente: la crainte qu'une grande épidémie de typhus infecte ses soldats et la population. Deux généraux allemands négocient une trêve avec les Britanniques comportant une zone d'exclusion autour du camp pour circonscrire toute menace d'épidémie. Fait surprenant, Himmler – qui magouillait déjà pour négocier une paix séparée avec les Anglo-Américains sans en parler à son boss – accepte de céder le camp aux Brits sans offrir de résistance. Le 11 Avril 1945, les derniers geôliers SS encore présents ordonnent aux détenus d'enterrer quelques piles de cadavres, mais le travail resta incomplet. Le canon gronde au loin et les avions alliés bourdonnent partout… Deux jours plus tard, la trêve est signée avec une zone d'exclusion de 19 milles carrés autour du camp maudit – ce qui permet aux 90 geôliers SS de fuir durant la nuit du 14 au 15 Avril. Il ne restait que le commandant Kramer et une dizaine de SS à Bergen-Belsen pour "maintenir l'ordre" avant l'arrivée de Britanniques durant l'après-midi du 15 Avril.

_

Les détenus s'empressent autour de leurs libérateurs – Kramer est fait prisonnier

Lorsque les Britanniques et les Canadiens font leur entrée dans ce camp, ils trouvent des milliers de corps qui gisaient partout, de même que 53,000 survivants tous affamés et malades. Le choc pour les Brits a été aussi grand que celui des Américains à Buchenwald. Le reporter Richard Dimberly de la BBC décrit en direct les premières minutes de la libération: Il y a des tas de gens étalés sur une superficie d'un acre; on ne sait pas s'ils sont morts ou encore vivants. Notre personnel médical court partout. Les vivants traînent à côté des morts. Ceux qui peuvent encore marcher sont émaciés et couverts de poux. On a vu des bébés naître dans ce lieu infect, mais la plupart sont morts quelques jours après leur naissance – incapables de survivre dans un pareil environnement. Leurs corps traînent encore dans des berceaux improvisés. Je viens de vivre le jour le plus horrible de ma vie à Bergen-Belsen, dit-il. Comme les Britanniques n'ont pas assez de personnel pour prendre soin des survivants, ils demandent aux auxiliaires hongrois désarmés de les aider, mais sans succès. Ces derniers sont arrêtés et évacués. Les Britanniques parviennent à rétablir l'eau courante et l'électricité; ils apportent de la nourriture et aménagent un hôpital de campagne pour soigner les plus affaiblis. La prévôté canadienne est sidérée par ce qu'elle voit (ci-contre) et elle a de la difficulté à se maîtriser dans sa fonction de garder les geôliers SS prisonniers. Fait à noter, dans le camp satellite de Dora-Mittelbau, les prisonniers astreints aux travaux forcés étaient en meilleure santé à l'arrivée des Brits, si bien qu'ils arrêtèrent eux-mêmes les prisonniers collaborateurs: 170 kapos furent tués le 15 Avril 1945.

_

Les ex-détenus sont désinfectés et lavés – Quelques louves SS sont arrêtées

Quelques jours plus tard, les 29,000 survivants sont amenés dans une ancienne base de l'armée allemande pour y être désinfectés, lavés et nourris. L'effort médical est géré par le général Glyn Hughes de la 2ème Armée. La réalimentation effectuée a été progressive. Elle a débuté par du lait écrémé plus facile à absorber par l'estomac affaibli que des aliments solides. Par la suite, les médecins servent un mélange appelé "moulée du Bengale" utilisée pour soigner les Bengalis durant la famine de 1943 (voir Commonwealth et la guerre, l'Inde). L'ennui, c'est que ce produit nourrissant n'était pas facile à assimiler par des estomacs européens et il faudra ajouter du céleri et du paprika pour que les convalescents le mangent, souvent avec appétit. Quant aux rations standard militaires, seul les métabolismes les plus résistants peuvent les digérer. Entre-temps au camp libéré, les Britanniques ne trouvent rien car les SS avaient détruit la plus grande partie de leurs archives. Les SS qu'ils ont fait prisonniers sont forcés d'amener les corps dans la grande fosse fraîchement creusée. Le nombre de corps est tel qu'il faut les pousser au bulldozer – l'image filmée restera célèbre dans les films d'archives sur la Seconde Guerre mondiale. L'épidémie tant crainte se déclenche le 18 Avril, si bien que les Britanniques doivent brûler tous les baraquements avec leurs chars lance-flammes Crocodile. Malgré tous les efforts déployés pour déplacer les ex-détenus et les soigner, 9000 d'entre eux mourront durant le mois d'Avril et 4000 autres d'ici la fin Juin 1945.

_

Les corps sont poussés au bulldozer dans une grande fosse commune

Après la guerre, plusieurs geôliers SS qui ont survécu au typhus ont été jugés par un tribunal militaire britannique dans ce qu'il est convenu d'appeler le tribunal de Belsen. Du 17 Septembre au 21 Novembre 1945, 45 SS (sur un personnel de 480) ont été inculpés: Kramer, 16 geôliers masculins, 16 geôliers féminins et 12 kapos – entre autres Irma Grese, Hertha Ehlert, Elizabeth Volkenrath et Fritz Klein. La plupart de ces gens ont non seulement été accusés de crimes commis à Bergen-Belsen mais également à Auschwitz et à Ravensbrück où ils avaient "œuvrés" auparavant comme superviseurs. Les audiences se déroulaient selon le droit criminel britannique et les fautifs furent accusés de crimes de guerre. Les journalistes occidentaux et allemands ont fait une couverture médiatique complète. En Novembre, 11 accusés ont été condamnés à mort, dont Kramer, Volkenrath et Grese. Ils ont été exécutés un mois plus tard à la prison de Hamelin en Basse-Saxe. Aujourd'hui, il ne reste plus rien de Bergen-Belsen qu'un terrain désert, tout comme à Treblinka, où est érigé un mausolée simple en pierre au-dessus de la grande fosse commune (ci-contre) et sur lequel est écrit: ici gît 5000 personnes. Avril 1945… Ultérieurement, un mémorial juif et un autre hollandais seront également érigés sur le site.

__

Ces femmes viennent d'être libérées – Les baraquements sont rasés – Le monument commémoratif

Curieusement, il faudra attendre l'an 2000 pour que le gouvernement allemand accepte d'allouer des fonds publics pour l'entretien du site de Bergen-Belsen. En 2005, il y a eu une grande cérémonie médiatisée pour commémorer le 50ème anniversaire de la libération du camp. De nombreux ex-détenus et vétérans britanniques étaient présents. Depuis 2009, le gouvernement allemand alloue une enveloppe budgétaire fixe pour entretenir le site.

_

Des SS sont exécutés par les Américains – SS tués au pied de la tour B

A l'aube du 29 Avril 1945 – un jour avant la mort d'Hitler à Berlin – un bataillon du 157ème Régiment de la 7ème Armée US du général Patch (qui arrive d'Italie via l'Autriche) reçoit l'ordre de libérer le camp de Dachau. Ce bataillon n'entendait pas à rire car il avait reçu l'ordre de ne pas faire de prisonniers SS. Les Américains arrivent au camp vers midi et sur le chemin d'accès, ils trouvent des wagons de train provenant de Buchenwald remplis de cadavres de déportés. Les GI's arrêtent quatre SS qui se rendent. Ceux-ci sont conduits au commandant d'une compagnie qui les abat au pistolet. Les Américains cernent l'infirmerie où se terrent une centaine d'Allemands. Les GI's font le tri, identifient les SS avec l'aide d'un ex-prisonnier polonais. Une cinquantaine d'entre eux sont amenés dans le dépôt de charbon voisin et fusillés. A ce moment, les GI's n'avaient pas encore atteint le camp de concentration proprement dit. Une autre compagnie arrive devant la porte frontale de Dachau et neutralise les tours de garde toujours défendues par d'autres SS. Dans celle-ci, il y avait des correspondants de guerre: le belge Paul Levy, le français Raphaël Algoet, le québécois René Lévesque et l'américaine Marguerite Higgins. Ils affirment que le combat fut bref car seule la tour B résista – ses défenseurs SS furent tués.

_

Détenus polonais heureux d'être libérés – Détenus saluant leurs libérateurs

Lorsque les détenus comprennent ce qui se passe, ils se regroupent en liesse pour saluer leurs libérateurs. Fait à noter, ce sont les quatre journalistes qui ont franchi l'enceinte du camp les premiers suivis de pelotons d'infanterie. Les détenus en meilleure forme s'en prennent aux kapos et même aux SS désarmés car ils veulent se venger. D'après les rapports consignés dans les archives de la 7ème Armée US, environ 40 personnes ont été tuées par les détenus dans les 24 heures qui ont suivi la libération de Dachau. Le 28 Avril, soit la veille de sa libération, le camp de Dachau était commandé par le major Gottfried Wiess qui sait que la fin approche. Wiess, découragé et désabusé, laisse la gestion interne du camp à un comité de prisonniers et passe son commandement au lieutenant SS Wicker avant de fuir dans la nuit du 28 au 29. Notons que Dachau avait une garnison de 63 geôliers SS et d'une cinquantaine d'auxiliaires hongrois membres de la Waffen-SS. L'ordre que Weiss a donné à Wicker est qu'il devait se rendre aux Américains dès que ces derniers entreront dans le camp. Après le bref combat précité, Wicker se rend au général américain Linden de la 42ème Division d'infanterie – surnommée la division arc-en-ciel. Wicker est accompagné d'un représentant de la Croix Rouge internationale, Victor Maurer, tout juste arrivé de Suisse cinq jours plus tôt avec un chargement de vivres. Après sa reddition, Wicker est emmené par des GI's et personne ne l'a jamais revu. Il est probablement du nombre de ceux qui ont été fusillés au dépôt de charbon.

_

Geôlier battu à coups de pelle – Reddition du commandant Wicker

Un médecin américain, Howard Buechner, a écrit dans son carnet que: presque tous les officiers et soldats SS présents durant ce grand jour ont payé de leur vie pour leurs péchés. Les seuls survivants allemands de Dachau ont été leur femme et leurs enfants, de même que quelques médecins. Plusieurs geôliers SS ont réussi à s'échapper en se déguisant en prisonniers, ils ont été reconnus et fusillés. Un rapport consigné le 8 Mai 1945 par le lt-colonel Joseph Whitaker a conclu que 50 SS ont été soit tués et/ou fusillés, incluant ceux qui ont résisté à la tour B. Aucun GI n'a été tué durant les brefs échanges de tir, puisque les SS avaient reçu l'ordre de ne pas tirer et de livrer le camp aux Américains – même si quelques uns d'entre eux ont résisté. La nouvelle de la libération du camp de Dachau a été bien accueillie par les Alliés, mais la controverse entourant le massacre des SS va irriter l'US Army comme du poil à gratter. La raison étant que le tri de prisonniers avant leur exécution sommaire est considéré comme un crime de guerre. Cependant, dans l'euphorie de la victoire en Europe, l'affaire est poussée sous le tapis par le général Patton, nouveau gouverneur de la Bavière et témoin privilégié de ce qui s'est passé à Buchenwald. Ce dernier ne portera pas de crédit au "massacre" de SS, car il affirme qu'ils ont été tués "en s'évadant"; il classe l'affaire rapidement et aucune accusation ne sera portée contre la compagnie qui a fait le "nettoyage" du camp.

_

Corps empilés devant le crématoire – Lévesque est troublé par ce qu'il a vu

D'ailleurs, Buechner prétend dans son livre Vengeur que techniquement il s'agissait peut-être d'un acte inapproprié et la mort de ces quelques centaines de sadiques pourrait difficilement constituer une compensation suffisante pour des millions de gens qui ont péri des mains de ces participants à la Solution finale. Malgré cela, dans le cas précis de Dachau, la vengeance fut complète, écrit-il. Cependant, certains journalistes sont en désaccord avec l'opinion de Buechner en soutenant qu'il s'agissait de l'exécution de combattants désarmés et faits prisonniers, ce qui constitue une violation directe de la Convention de Genève et donc, d'un crime de guerre qui déshonore l'US Army.

En toute modestie conjoncturelle, il faut se demander si la référence à la Convention de Genève était une considération dans la tête des détenus qui avaient souffert les humiliations et les privations au moment où ceux-ci se vengent dans des camps, comme celui de Stuthof en Alsace. Ce camp de concentration – le seul construit en territoire français – logeait 52,000 détenus d'une trentaine de nationalités et astreints eux aussi aux travaux forcés dans des carrières et dans une annexe industrielle de Schomberg. Certains goûtèrent aux mauvais traitements du docteur Hirth et de ses "infirmières": 12,000 détenus y périrent et ceux qui se prennent en mains le 23 Novembre 1944 n'auront aucune pitié pour leurs geôliers: plusieurs furent tués à coup de pic à glace, d'autres poignardés ou pendus sommairement. Il en est de même pour celui du Strutthof situé près de Dantzig (Gdansk) en Pologne. Il sera le dernier camp de concentration à être libéré par les Alliés, soit le 9 Mai 1945. Ce camp, majoritairement composé de détenus polonais non-juifs, était commandé par le SS Johann Pauls et les conditions de détention étaient très dures, surtout lorsqu'il accueillit des déportés juifs. Un des criminels nazis les plus sadiques, Rudolf Spanner, avait mis au point à cet endroit un procédé pour fabriquer du savon avec le gras humain – lire ici du gras de prisonniers juifs. Les détenus qui ont survécu au terrible hiver 1944-45 seront sans pitié pour certains de leurs geôliers. Inutile de dire que la Convention de Genève était le dernier de leurs soucis, ce qui n'a pas empêché un tribunal polonais de condamner à mort Pauls de même que 30 geôliers et kapos qui furent exécutés en Mai 1946.

__

Louves SS pendues à Struthof – La savonnerie du SS Spanner – Ce gardien d'Auchwitz s'en est bien tiré et sans remords

A partir de l'été 1945, le retour des déportés dans leurs pays d'origine posera de nombreux problèmes pour les Alliés. La situation chaotique existant en Europe est incroyable. Le SHAEF estime à 17 millions, le nombre de personnes déplacées durant les opérations militaires en Europe. Parmi ces gens, il y avait les gens déportés par l'Allemagne nazie dans les camps de concentration – presque une aiguille dans une botte de foin. Néanmoins, de nombreux efforts ont été entrepris par les vainqueurs afin de rapatrier les rescapés de l'univers concentrationnaire. Les déportés tchécoslovaques et polonais qui retournent chez eux sont bien heureux d'en finir avec le cauchemar concentrationnaire; leurs compatriotes juifs, qui ont survécu dans les mêmes camps, n'auront pas cette chance: ils sont victimes de discrimination au niveau des biens de subsistance et ne peuvent plus retrouver leurs anciens logements – occupés par des non-Juifs: Va te loger ailleurs, leur dira-t-on en guise de politesse. Le relogement, encore... L'exemple français et soviétique mérite d'être examiné. Le gouvernement français va tout d'abord rapatrier les 1.6 millions de prisonniers de guerre internés dans les nombreux stalags en Allemagne. Fait à noter, le retour des prisonniers avait déjà commencé en 1944 lorsque l'occupant allemand a relâché 475,000 Français pour des motifs divers. Les autres déportés ne reviennent au pays qu'en petits groupes, car on se préoccupe beaucoup plus du sort des prisonniers de guerre que de celui des Juifs et autres détenus politiques. Ainsi, la France célèbre le retour de 23,500 prisonniers de guerre en Août 1945, sans dire un mot sur les 334 déportés des camps. Les prisonniers sont acclamés à chaque arrêt de gare alors que le déporté juif est reçu presque avec indifférence. En revanche, des centres d'accueil et d'entraide sont établis pour recevoir ces "revenants". Ils sont tous dans un état de déchéance physique et de démoralisation extrême. Les déportés retournent dans une société profondément divisée politiquement et affaiblie économiquement, sans leur donner un minimum vital pour survivre. Leur réintégration sociale sera difficile. La France d'après-guerre et ses petites combines politiques choquent profondément les déportés qui viennent de passer plusieurs années dans les camps. Les Juifs français reçoivent l'aide de quelques centres d'accueil, comme celui de l'hôtel Lutetia qui deviendra un lieu de rencontre mensuel de résistants et de plusieurs survivants de la Shoah durant plus d'un demi-siècle. Il sera même le lieu d'une petite brouille en Octobre 2012 entre octogénaires résistants et des Juifs survivants des camps de concentration, à un point où la direction de l'hôtel a dû présenter des excuses écrites... Les anciens préjugés ont encore la vie dure. Aujorud'hui, il semble que la rupture est consommée entre les déportés juifs qui ont quitté le Lutetia et les autres associations de résistance.

_

Déportés de Drançy posant pour la propagande allemande – Les frondeurs de l'hôtel Lutetia en 2012

Le cas des déportés soviétiques est pathétique. Un grand nombre d'entre eux, civils et prisonniers de guerre, avait été internés dans les camps de concentration et travailler comme des forcats. Ils sont très heureux d'être libérés par leurs compatriotes, sauf qu'à Moscou, Staline entretient une crainte sans fondement sur la loyauté de gens qui ont été internés depuis plusieurs années par les Allemands. Staline voit en eux des "espions"… Les déportés civils libérés des camps retrouvent leurs familles dans l'allégresse, mais un certain nombre seront arrêtés par le NKVD quelques mois plus tard et accusés d'espionnage – une accusation sans fondement autre que celle de la paranoïa du dictateur rouge. Le retour des prisonniers de guerre soviétiques se fait avec autant d'allégresse et de reconnaissance sociale, sauf pour les soldats qui ont appartenu à des unités qui avaient auparavant reçu l'ordre de résister jusqu'au bout. Celles qui ont rendu les armes alors qu'elles étaient supposées résister jusqu'au bout ont quitté les camps allemands pour être internées en Sibérie… Il en est de même pour de nombreux déportés soviétiques suspectés d'espionnage. Tous reviendront chez eux après la mort de Staline en 1953.

_

Retour des déportés français en gare de Bourges – Déportés soviétiques libérés

Pendant que les centres d'accueil reçoivent les déportés qui retournent chez eux après plusieurs mois d'errance en Europe, d'autres convois amènent des prisonniers de guerre allemands pour travailler à la reconstruction de la France. Environ 640,000 étaient détenus par les Américains et 25,000 autres par les Britanniques, soit dans des enclos ou dans d'anciens stalags allemands "under new management". Ils contribuent surtout à des travaux agricoles, routiers et au déminage… Initialement, les prisonniers allemands étaient utilisés comme main-d'œuvre servile, puis leur statut change à celui de travailleur rémunéré. Comme ils gagnent que très peu d'argent, plusieurs mettront du temps avant de retourner chez eux. Notons également que ces prisonniers et déportés allemands resteront internés jusqu'en 1947. Lorsque le monde a connu le caractère génocidaire du système concentrationnaire nazi par le biais des actualités du grand écran ou le curriculum académique des cours d'histoire contemporaine, il a eu une prise de conscience des excès que peuvent causer la combinaison terrible de l'idéologie, de l'économie et du militarisme. Durant la guerre froide, les Allemands vivront une culpabilité sciemment entretenue pour les stigmatiser comme étant ceux qui avaient "osé" commettre de telles atrocités sur une grande échelle. Avait-on oublié pour autant le système soviétique que Soljenitsyne a décrit dans son livre L'archipel du goulag? Ou son équivalent chinois, le lao-gai, (rééducation par le travail forcé)? Ailleurs dans le monde, les intellectuels et tous les autres porteurs de bonne conscience n'en finissent plus de bégayer des "plus jamais – never again" – à qui veut les entendre. Ce qui n'a pas empêché l'Union européenne, toujours empêtrée dans ses difficultés, à ne pas intervenir militairement pour faire cesser des génocides comme celui du Rwanda ou de la Bosnie. Devoir de mémoire, hein? Qu'avons-nous vraiment retenu de l'univers concentrationnaire et de l'avertissement de Primo Levi?

_

Bosnie 1999: Plus jamais? Vraiment?

___________________________

© Sites JPA, 2020