Les plans de 1944

 L'Italie

La défaite des forces de l'Axe en Tunisie a été beaucouop plus désastreux que tous les revers subis en Afrique du Nord. Non seulement ce fut un tournant militaire, mais ce désastre éroda la machine de guerre nazie. L'invasion de la Sicile avait déjà fragilisé le gouvernement de Mussolini dont la conduite de la guerre avait été critiqué par tous les milieux dirigeants italiens, y compris dans le Parti fasciste. Du côté allié, une occasion meilleure encore fut manquée dans le domaine de la grande stratégie. Le désir des Italiens de se sortir de cette guerre avait été exprimé clairement par le renversement de Mussolini le 25 Juillet – et avec la rapidité avec laquelle les troupes italiennes en Sicile s'étaient rendues. Curieusement, les Alliés ne firent que peu d'efforts pour appuyer ce nouveau gouvernement vers la paix, et il faudra attendre le 3 Septembre pour qu'un armistice soit signé dans le dos des Allemands. La capitulation italienne est annoncée le 8 Septembre, soit la veille du débarquement allié à Salerne, au sud de Naples. Lorsque l'Italie se retira de la guerre le 8 Septembre, elle devenait un total embarras pour l'Allemagne nazie. Suite à la défection italienne, le maréchal Kesselring approuva l'Opération Axis, soit l'occupation militaire de l'Italie par les troupes allemandes. L'armée italienne serait désarmée et sa marine neutralisée. Kesselring envoya sept divisions dans le sud de l'Italie pour tenir en joue les progressions anglo-américaines. Huit autres divisions étaient déployées pour occuper la région industrielle du nord de l'Italie

Du côté allemand, le plan de Kesselring est d'une extrême simplicité: faire de l'Italie une zone-tampon destinée à endiguer progressivement toutes les attaques alliées. Il sait que le seul moyen de progresser est de suivre les côtes, et c'est à des points de passage obligés que Kesselring va bloquer le passage aux Alliés. Le seul moyen d'accélérer les opérations en Italie est de faire des opérations amphibies derrières les lignes de défense allemandes. Mais depuis Janvier, Eisenhower conserve la majeure partie des barges de débarquement et le matériel amphibie pour le débarquement en Normandie.Ceux-ci auraient souhaité que Kesselring se replie au nord de Rome, mais le patron allemand de l'Italie va étalir une ligne de défense à travers les Abruzzes de Cassino sur la Thyrrénienne jusqu'à Ortona sur l'Adriatique: ce sera la Ligne Gustav. Ayant pris connaissance des défenses de Kesselring, le général Alexander, patron allié en Méditérannée depuis Janvier 1944, met au point le plan d'attaque suivant:

  1. Il attaque en force devant le mont Cassin (ou Cassino) afin d'attirer le plus d'unités possibles de Rome vers la Ligne Gustav, et forcer les Allemands à défendre la ligne: c'est la diversion
  2. Il enverra une force amphibie débarquer devant Anzio, derrière la Ligne Gustav, et ainsi pousser rapidement vers Rome: c'est l'attaque principale.

Le général Clark est chargé de la diversion musclée sur le mont Cassin. Mais ses effectifs n'ont pas l'homogénéité de l'armée allemande. Il commande à des troupes provenant de 16 nationalités avec leurs propres procédures militaires, leurs armements non-standardisés, des langues et cultures différentes, ce qui ralentira l'efficacité opérationnelles de ses unités. Une fois le débarquement d'Anzio réalisé, et la jonction avec les troupes venant du mont Cassin effectuée, le général Alexander proposera de couper la retraite à l'armée allemande de Kesselring afin de l'encercler en Italie centrale. Le problème c'est qu'à partir de l'été 1944, le Commandement suprême allié – ou SHAEF – n'est plus intéressé à investir des ressources et se badrer de l'effort de guerre en Italie. Pour Eisenhower, l'Italie de 1944 a la même utilité pour les Alliés que l'Afrique du Nord en 1941 pour l'Allemagne: distraire et détourner des ressources militaires allemande de l'Europe sur un autre théâtre d'opération. Pour Eisenhower, ce sera l'approche directe vers le cœur de l'Allemagne, et tant pis pour le "ventre mou italien" de Churchill. En Janvier 1944, ce sont les Américains qui conditionnent tous les aspects de l'effort de guerre inter-allié. L'Europe est le théâtre d'opération principal, et les Britanniques doivent accepter leur rôle de subordonné; ils ne sont plus dans le "driving seat".

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 Le Pacifique

A partir de 1944, les théâtres d'opération politiques et militaires allant de l'Inde à la Chine perdent de l'intérêt pour les Etats-Unis. Washington préfère se concentrer sur la reconquête du Pacifique plutôt que de s'obstiner à rouvrir une route de Birmanie ou de s'embrouiller avec les Britanniques dans les questions reliées à l'Inde et à l'Asie du Sud-Est. Tel que dit antérieurement, l'amiral King, patron de l'US Navy, a confié la reconquête du Pacifique à deux rivaux: le général MacArthur et l'amiral Nimitz. Dès Mars 1942, le théâtre d'opération du Pacifique avait été scindé en deux parties pour accomoder les rivalités de ces deux personnages. Le commandement de MacArthur incluait la plupart des Indes néérlandaises, les Phillipines et une parcelle de l'archipel des Salomons. Le commandement de Nimitz incluait la majeure partie des Salomons, ainsi que le Pacifique Centre. Mais cette répartition n'était pas rigide, car chaque commandant devait formellement coopérer entre eux pour certains objectifs et mieux partager leurs ressources. Cependant, le gros des opérations amphibies dans le Pacifique serait sous la houlette de Nimitz, qu'il soit dans sa zone ou dans celle de MacArthur.

Le théâtre d'opération du Pacifique

L'arrangement entre ces deux commandants américais avait également des conséquenses et ramifications politiques entre Roosevelt et Churchill. Il devenait clair que l'initiative militaire et la conduite des opérations seraient surtout monopolisées par les Etats-Unis dans le Pacifique. En revanche, Roosevelt acceptait que l'Angleterre garde la mainmise sur les opérations militaires au Moyen-Orient et dans l'Asie du Sud-Est. Mais durant la reconquête du Pacifique, il n'était pas question d'une planification conjointe anglo-américaine. Churchill devait se satisfaire que de la seule promesse faite par Roosevelt après Pearl Harbor: vaincre l'Allemagne avant le Japon. La division du Pacifique en deux zones opérationnelles conditionne la stratégie militaire de MacArthur et Nimitz.

 MacArthur – Conquérir les Salomons, isoler la Nouvelle-Bretagne, remonter la côte Nord-Ouest de la Nouvelle-Guinée, pour atteindre les Phillipines - et peut-être Formose.

 Nimitz– Dégager la ceinture défensive insulaire japonaise par une succession de "sauts de puce" d'archipels: Les Gilberts, Marshalls, Carolines, Mariannes; pour ensuite remonter jusqu'à Iwo Jima et Okinawa

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Deux rivaux: MacArthur et Nimitz – Causerie conjointe avec Roosevelt

MacArthur ne veut rient entendre de la force brute. Il préfère plutôt s'inspirer du judo, soit débalancer ses adversaires japonais et choisissant minutieusement le lieu et l'endroit d'un combat à venir. De cette façon, il peut espérer vaincre avec une force réduite et avec des pertes minimales. Il ne veut pas appliquer la méthode utilisée initialement par l'amiral Nimitz, c'est-à-dire attaquer les places fortes japonaises unes par unes.

MacArthur = tactique d'enveloppement: Il n'attaque pas frontalement les japonais mais plutôt en s'en prenant à ses communications.

Nimitz = tactique d'attaque frontale: frapper l'ennemi à où il est. Cependant, Nimitz a modifié sa tactique et préfère de plus en plus isoler les petites îles bien défendues, surtout celles qui n'ont pas de terrain d'aviation.

Nimitz aura des fonctions essentiellement militaires dans son théâtre d'opération; il peut se concentrer pleinement sur le volet logistique et militaire de la reconquête du Pacifique. MacArthur doit ajouter des fonctions politiques à sa tâche militaire: harmoniser les rapports avec l'Australie et à Nouvelle-Zélande, et encadrer le gouvernement phillipin en exil.

Quant au premier ministre Tojo, les revers successifs qu'il va endurer dans les archipels du Pacifique Centre vont le forcer à réévaluer sa stratégie de défense périphérique insulaire. Le problème, c'est qu'il n'en aura pas le temps; car, Nimitz progresse beaucoup trop rapidement pour lui permettre d'appliquer une défense dite flexible: il a de moins en moins d'avions et de pilotes en état de combattre; le tonnage de la flotte marchande japonaise se réduit considérablement par l'action des avions et des submersibles américains; et l'aéronavale japonaise connaitra son chant du cygne durant la bataille de Saipan.

La clé de la bataille pour la reconquête du Pacifique sera la capture de l'archipel des Mariannes. Sur Tinian et Saipan, l'USAAF pourrait alors construire d'importants terrains d'aviation pour bombarder le Japon, et cela réduirait l'importance militaire de la Chine comme base avancée pour attaquer le Japon. Quant aux Japonais, l'Amirauté japonaise opta de tout miser sur une victoire navale par l'utilisation conjointe de ses flottilles de grands navires de surface et des avions de l'armée basés au sol. Le nouveau commandant de la Flotte Combinée, l'amiral Toyoda, avait conçu un plan très complexe visant à faire avorter le gros débarquement américain aux Phillipines, plus précisément dans le Golfe de Leyte. Le but n'était plus de vaincre l'US Navy dans une bataille décisive, mais de lui infliger un tel revers que l'administration américaine pourrait être réceptive à l'idée d'une paix négociée. Le problème pour Toyoda, c'est qu'il n'avait pas compris deux conclusions stratégiques importantes vérifiées durant la Seconde Guerre mondiale:

  1. Que la puissance navale sans la puissance aérienne ne rimait plus à rien.
  2. Un plan trop compliqué est destiné à échouer à cause d'un trop grand nombre d'éléments non-compris.

Les flottilles japonaises furent tour à tour repérées, interceptées et coulées. L'Amirauté japonaise perdit ainsi tous ses moyens navals.

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 Ha-Go 

C'est le nom de code donné pour l'offensive japonaise en Chine du Sud ainsi qu'en Birmanie. Elle visait trois buts:

  1. Prendre ou déloger les terrains d'aviation américains aménagés au sud de la Chine.
  2. Fermer la route de Birmanie pour affaiblir et isoler le régime de Tchang kai-Shek.
  3. Attaquer les deux aires de départ anglo-américaines en Inde occidentale.

Le gouvernement japonais espérait également que l'activité militaire japonaise dégarnirait des forces américaines dans le Pacifique et faciliterait la défense du périmètre insulaire du Japon.

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 Overlord

Overlord était le nom de code final de l'ouverture du second front européen en 1944.  En Décembre 1943, les Alliés avaient convenu de créer un commandement unifié pour toutes leurs opérations aéro-terrestres en Europe. Initialement, Churchill et Roosevelt avaient considéré la candidature du général Marshall – qui avait toujours rêvé commander une entreprise de ce genre -, mais après réflexion, Roosevelt préféra garder Marshall à Washington parce qu'il ne pouvait se passer d'un tel homme à la tête de l'État-major combiné inter-allié (JCS). Eisenhower fut choisi pour être le commandant allié pour les opérations européennes, à la tête du SHAEF (Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force). Son poste fut officialisé le 12 Février 1944. En cette qualité, il commandera à toutes les unités et généraux alliés. Eisenhower procédera aux nominations suivantes pour mener la campagne d'Europe occidentale:

Montgomery – responsable de l'exécution des opérations terrestres.

Leigh-Mallory – responsable de l'exécution des opérations aériennes.

Ramsey – responsable de l'exécution des opérations navales

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Eisenhower montre une Carbine à Montgomery: va-t'il le tirer? La structure du commandement allié

Le second d'Eisenhower dans la structure du SHAEF était le maréchal de l'air Tedder, et son adjoint américain d'État-major auprès des JCS était le général Bedell-Smith. En somme, Montgomery serait responsable de la réussite et de la consolidation du débarquement. Mais plus tard, le gros des opérations sera assumé en bonne partie par l'US Army, car celle-ci disposera de réserves que ne possèdent plus l'armée britannique. L'attaque en Europe sera menée par deux groupes d'armées: un groupe anglo-canadien, et un groupe américain. Montgomery commandera le premier, et le général Bradley le second. Cependant, Eisenhower aura toujours le dernier mot comme commandant suprême dans l'exécution des opérations. Il n'existe aucun document qui indique qu'Eisenhower avait l'intention d'enlever le commandement des opérations terrestres de Montgomery une fois les débarquements réussis. Eisenhower lui conservera son job de commandant des forces terrestres - surtout pour des raisons politiques -, mais Montgomery sait que son poids réel diminuera devant les subordonnés américains, et spécialement devant le général Marshall et l'administration Roosevelt.

 Eisenhower et les Britanniques

Le choix d'Eisenhower comme patron du SHAEF n'impressionne pas les Britanniques. Montgomery, très imbu de sa personne, aurait voulu être l'heureux choisi, mais tel que mentionné antérieurement, le gouvernement britannique n'a plus l'autorité de dicter la conduite de la guerre à son bailleur de fonds américain. De surcroit, Eisenhower avait fait preuve d'une flexibilité – lire ici "tolérance"–à l'égard des griefs politico-militaires britanniques en Méditérannée. Cependant, une appréciation assez véridique de la personnalité d'Eisenhower fut écrite par le général Brooke, suite à la présentation des plans de guerres alliés au roi George VI et à Churchill: l'impression que j'ai est qu'Eisenhower n'est ni un guide spirituel, un palificateur rationnel, ou un propagandiste de la cause inter-alliée. C'était un coordonateur de génie un "good mixer". Je crois qu'en cela nous lui devons une fière chandelle. Après la guerre, Brooke revisa légèrement l'image d'Eisenhower lorsqu'il écrit: il fut très impartial, et conséquemment tout le monde pouvait lui faire confiance, même dans les dossiers difficile. C'est une personnalité charmante, très ordinaire, et un bon "showman" tout comme ce MacArthur; mais ce n'est pas un vrai meneur d'hommes… Montgomery partage cet avis. Il a toujours considéré qu'Eisenhower n'était pas autre chose qu'un soldat amateur qui manquait d'expérience de commandement au niveau régimentaire et divisionnaire pour être digne de le commander. Montgomery aurait aimé profiter de la liberté de manœuvre qu'il avait bénéficié auparavant sous Alexander. Mais Montgomery oubliait que c'était pour cela qu'Eisenhower l'avait choisi comme responsable de l'exécution des opérations terrestres.

 Le vrai Eisenhower

Contrairement aux Brooke, Montgomery, MacArthur, Marshall et Patton, Eisenhower n'a pas combattu durant la Première Guerre mondiale. Lorsqu'il avança en promotion, il était devenu parfaitement à l'aise avec toutes les questions reliées à l'État-major, et il possère une imagination couplée à un tact que n'avaient ni Montgomery ou Bradley. Bien sûr, il avait beaucoup de facilité à assimiler et à resynthiser les idées des autres, mais une fois devenu le patron militaire allié en Europe, il appliquerait ce petit défaut au service du plan d'ensemble. Il était le lien autoritaire nécessaire pour catalyser et harmoniser pour diriger des subalternes aux egos aussi différents et explosifs comme ceux de Montgomery et Patton. Ses détracteurs disaient qu'il n'arrivait pas souvent à imposer sa volonté. Il serait plus exact de dire qu'il ne voulait pas s'imposer trop souvent. Lorsqu'il aura à le faire dans la présente campagne, ses subordonnés visés seront considérés comme des "cas en probation" en 1944 – Patton en Mai, Montgomery en Décembre. Au plus fort des ennuis de Normandie ou des Ardennes, Eisenhower gardera le calme et le sang-froid qui caractérise les commandants de théâtre d'opération. De surcroit, il arrivait à garder des rapports à peu près convenables avec les personnalités politiques alliées.

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Eisenhower causant avec De Gaulle Le général Paget (centre) cause avec le général Clark

 Le plan initial 

En Avril 1942, le général Paget, chef d'État-major de Mountbatten, planifia les premières esquisses d'un éventuel débarquement allié en France. Cette esquisse se nomme Roundup. Son patron, Mountbatten, fut le premier à réaliser le potentiel des plages de la Normandie comme le lieu d'un débarquement en force. Cependant, Paget préférait débarquer au Pas de Calais à cause que c'était la route la plus courte et la plus directe entre l'Angleterre et l'Allemagne. Les Alliés pourraient établir une couverture aérienne sur le nord de la France. Moutbatten s'y opposait car le port du Havre était trop petit pour absorber l'énorme frêt militaire allié qui approvisionnerait un tel débarquement. Si le débarquement de ces divisions ne se transforme pas en une invasion, elles ne pourront pas se maintenir contre des forces ennemies qui disposent de bonnes routes et de bonnes voies ferrées pour se concentrer rapidement. Mais, il ne s'agissait que d'esquisses. Il fallut attendre la conférence de Casablanca pour que les projets d'invasion soient réexaminés.

Le véritable plan initial d'un débarquement en force sur le littoral français a été conçu par le général britannique Morgan. Il devait choisir entre trois lieux de débarquement:

  • Pas de Calais
  • Péninsule du Cotentin
  • Le secteur de Caen
  • La troisième solution fut adoptée. Lorsque Roosevelt et Churchill se réunirent à Québec en Juillet 1943, une directive retenant l'idée d'un débarquement dans le secteur de Caen fut approuvé: il est appelé Overlord. Il rejetait le Pas de Calais comme lieu de débarquement pour priviléger la Normandie. Les plages normandes étaient peu défendues et les Alliés pourraient sécuriser leur débarquement en capturant le port de Cherbourg. Morgan prévoyait réaliser ce débarquement avec trois divisions. Cependant, le plan Morgan avait un défaut majeur: Trois divisions étaient insuffisantes pour réaliser une telle opération; elles ne pourraient se maintenir sur les plages à cause de l'absence de réserves. Ces divisions devaient tenir 70 milles de littoral entre Cherbourg et le Havre- ce qui était au-delà de leurs moyens. Le plan Morgan risquerait de rééditer l'échec de Dieppe, mais sur une plus grande échelle.

    Le plan de Morgan fut révisé durant le printemps de 1944. Au lieu d'une opération limitée menée par des moyens timides, une véritable campagne serait menée avec de gros effectifs. Montgomery, fraichement promu, arriva à Londres le 2 Janvier 1944. Il transforma une bonne partie du plan Morgan selon la directive Overlord. Il fut secondé par les deux furuts responsables des forces aériennes et navales, Leigh-Mallory et Ramsay. Entretemps, Eisenhower devait superviser l'harmonisation et la coordination des efforts avec les autres contingents alliés, tout en établissant les calendriers opérationnels pour les forces navales et aériennes. En fait le plan Overlord tel qu'il sera appliqué a été essentiellement remodelé par Montgomery. C'est sa créature; son "master plan".

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    Les généraux Bereton, Spaatz et Eisenhower Montgomery avec Dempsey, Hodges et Simpson

     Le plan final

    Les grandes lignes finales de l'Opération Overlord seraient les suivantes: débarquement sur les plages dans le secteur de Caen avec consolidation dans la région de Cherbourg. Il faudra un minimum de 5 divisions pour l'assaut initial afin de produire le choc nécessaire pour déstabiliser l'adversaire et tenir un périmètre qui sera renforcé. Montgomery insista pour que des troupes aéroportées soit lâchées dans la nuit précédant le débarquement à la fois pour baliser le périmètre à conquérir et bloquer toute tentative d'attaque sur les flancs de la zone de débarquement. Les étapes du plan se résument ainsi:

  • Envoi de troupes aéroportées parachutées ou par planeurs.
  • Pilonnages navals de la zone de débarquement.
  • Débarquement des 5 premières divisions et établissement du périmètre.
  • Prise de la ville de Caen et de son noyau routier dès le premier jour.
  • Capture des petits terrains d'aviation à proximité de Caen.
  • Progression dans la péninsule du Cotentin pour prendre le port de Cherbourg.
  • Exploitation de l'offensive vers la Seine
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    Débarquements anticipés sur deux secteurs Fortitude: pour tomper les Allemands

     Diversions - Le problème pour Eisenhower était d'empêcher les Allemands d'achemner des renforts pour faire avorter le débarquement. Il lui fallait distraire et retarder les Allemands. Deux solutions furent retenues:

    1. Plan Fortitude – une opération-bidon de concentration de fausses troupes dans l'Ouest de l'Angleterre organisée par le général Patton, installé dans son faux-QG de Knutsford. Les services de renseignement allemands étaient convaincus que Patton dirigerait l'invasion alliée par un débarquement massif sur le Pas de Calais. Eisenhower voulait à tout prix que les Allemands s'accrochent à cette crainte (image ci-bas).
    2. Sabotages de lignes téléphoniques et de voies ferrées pour perturber la montée en ligne des unités allemandes. Ils devaient être menés soit par des résistants ou des parachutistes largués avant le débarquement. Bien qu'Eisenhower se méfiait des résistants français, il reconnaissait qu'ils pouvaient rendre des services ponctuels dans les heures précédant le débarquement allié.

     Les ressources 

     Péniches Depuis l'été 1943, l'Angleterre servait à la fois d'aéroport pour les bombardements stratégiques et de dépôt militaire en prévision de l'éventuel débarquement en France.  Vingt mois avant le Jour-J, une énorme quantité d'hommes et de matériel avaient été acheminés, et les côtes du sud de l'Angleterre étaient garnies de dépôts et de camps d'entrainement pour soldats alliés. Pour débarquer, il fallait une flottille de débarquement. Le nombre de bateaux utiles dépend du nombre d'unités à débarquer dans les premièrs vagues d'assaut. les ingénieurs anglo-américains doivent concevoir et construire des barges à fond plat destinées à s'approcher du rivage pour faire patauger le moins possible les fantassins embarqués. Plusieurs firmes, dont la Higgins Boat Inc – qui construit les PT-Boats en service dans le Pacifique - produisent une variétés de péniches de débarquement de différentes jauges pour porter hommes et matériels. L'industrie américaine fabriquera 22,000 péniches de débarquement en huit jauges différentes.

    Construction d'un caisson de béton flottant d'un Mulberrie

     Mulberry En plus des chalands et des péniches, les Alliés doivent disposer d'un port, car il n'était plus question de débarquer sur une plage devenue sure, même par beau temps. La solution idéale serait de disposer de Cherbourg, mais l'endroit est facilement défendable de la mer par les Allemands. Eisenhower sait qu'il peut perdre 15 jours avant de l'investir, sans compter que les Allemands peuvent faire sauter les installations portuaires. Il faut un port artificiel. Il sera construit à partir de caissons de béton creux préfabriqués qui seront acheminés par barges jusqu'à l'endroit choisi pour les faire couler. Il y aura 146 caissons de béton. Sur cette succession linéaire de caissons s'étirerait une plateforme métallique souple sur laquelle les camions et matériels lourds peuvent circuler pour être débarqués et triés. Pour protéger cette construction des vagues de mauvais temps, une digue artificielle sera créée à partir de vieux rafiots coulés. Ce projet de port artificiel s'appele Mulberry. Il y en aura deux: le premier devant St-Laurent, l'autre devant Arromanches. Chacun de ces ports artificiels a la même superficie que le port de Douvres.

    Pluto: le pipe-line en plomb anglo-américain

     Pluto Ce nom est un acronyme anglais pour "pipeline under the ocean". C'est une idée de l'ingénieur britannique Hartley de la Anglo-Iranian Oil Inc. Hartley eut l'idée de transporter l'essence destinée aux opérations militaires dans un tube flexible en plomb entouré d'une gaine isolante. Le tube a un diamètre de 4" et il serait posé par de gros rouleaux-tambours halés par des remorqueurs et déroulant leurs cables. Trois séries de tubes seraient déroulés parallèlement: les deux premiers acheminent de l'essence à deux degrés d'octane différents; le troisième achemine le diésel. Chaque rouleau-tambour portait 100 kilomètres de cable et pesait 1600 tonnes. Sur la côte britannique, la station de pompage était camouflée en édifice anodin pour éviter les bombardements ou un coup de mains de saboteurs.

     Hommes Plus de 1.4 million d'hommes étaient concentrés sur la côte sud de l'Angleterre, de Porthsmouth à New Haven. Environ 130,000 seront utilisés durant les premiers jours de l'opération

       Le plan allemand

    Le plan allemand pour la défense de l'Europe de l'Ouest date de la déclaration de guerre d'Hitler aux Etats-Unis, le 10 Décembre 1942. Dans un discours, le furhrer annonce qu'il va créer une ceinture de points d'appuis et des fortifications gigantesques côtières entre la pointe nord de la Norvège jusqu'aux Pyrénées. Il a décidé de rendre ce front absolument impénétrable à tout ennemi. Le problème était qu'il serait impossible de défendre une telle ligne de front de 4500 km avec un réseau complet et intégré de fortifications. D'ailleurs, les bastions défensifs bien aménagés seront rares et surtout très espacés, et pourront laisser passer un envahisseur déterminé. Mais Hitler croyait sa parole créatrice. Le 14 Décembre 1941, il ordonne la construction d'une série d'ouvrages défensifs en Bretagne et en Normandie: le Mur de l'Atlantique. Les travaux furent confiés à l'Organisation Todt, mais ses ressources humaines et matérielles suffisaient à peine pour compléter partiellement certains ouvrages en France; encore moins sur 4500 km...

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    Gros bunkers renforcés en Normandie

    Certains gros ouvrages protégaient les grands ports français, comme Cherbourg et Le Havre. Mais en Normandie, les ouvrages étaient plus modestes et n'étaient de de gros bunkers renforcés, armés soit de canons, de mortiers ou de mitrailleuses (images ci-haut). Même la construction de ces bunkers éparpillés coûte cher et nécessite un fort tonnage en béton: il suffit de jeter un coup d'œil sur les abris bétonnés de submersibles de Lorient pour s'en apercevoir. Pour rendre le dispositif côtier français le plus étanche possible, l'armée fut contrainte de réaliser une défense dans tous les secteurs intermédiaires. Lorsque la crédibilité d'une invasion alliée se précisa à l'automne 1943, il paraissait évident aux Allemands qu'un débarquement aurait lieu dans un secteur restreint et seule une concentration de forces mobiles rapidement acheminée aux points chauds pourrait rejeter les Alliés à la mer.

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    Rundstedt (au centre) et les généraux allemands du front de l'Ouest Rommel en tournée d'inspection à l'Ouest

    Les généraux allemands montrèrent assez peu d'enthousiasme pour cette tâche défensive, car leurs soldats n'étaient pas préparés. Deux ans plus tôt, Hitler avait nommé le maréchal Von Rundstedt commandant des forces allemandes à l'Ouest. Hitler avait de la difficulté à le blairer mais respectait ses compétences et son leadership. A l'Ouest, il ferait du bon travail et Hitler pourrait se concentrer aux batailles sur le front de l'Est. Rundstedt avait installé son QG à St-Germain-en-Laye. Ses conceptions stratégiques ne s'accordaient pas avec la défense statique – lui qui avait commandé les unités qui ont contourné la Ligne Maginot en 1940 et pris Rostov en 1941. Théoriquement, Rundstedt était le grand patron à l'Ouest. Cependant, le front de l'Ouest vit l'arrivée d'un nouveau venu: le maréchal Rommel. Inquiet par la lenteur des travaux défensifs du Mur de l'Atlantique, Hitler le dépêcha en tournée d'inspection à l'Ouest en Novembre 1943 avec ordre de lui faire un rapport complet. Rommel fit le trajet du Danemark aux Pyrénées. Il fut atterré par la faiblesse globale du dispositif défensif allemand, et dit à Hitler qu'il serait impossible de défendre une pareille ligne de front avec des moyens et ressources aussi faibles que dispersés. Hitler fut si convaincu du rapport de Rommel qu'il le nomma commandant du Groupe d'armées B. Cependant, ce groupe d'armées dépendait de Von Rundstedt. Rommel devait, maintenant, convaincre son supérieur hiérarchique s'il voulait avoir les mains libres sur le plan opérationnel.

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    Chiens de faience: Rommel et Rundstedt Canon de marine affûté au Pas de Calais

    Rundstedt et Rommel n'ont pas fait un duo harmonieux. Qui plus est, la promotion rapide de Rommel au grade de maréchal faisait jaser dans la haute hiérarchie militaire. Pour des hauts gradés comme Manstein et Rundstedt, Rommel – bien que talentueux – n'était un parvenu gâté par le furhrer à cause de sa victoire de Tobrouk. Rundstedt ne croyait pas que Rommel méritait son bâton de maréchal, surtout à cause de sa défaite à El Alamein. Son arrivée en France comme inspecteur et comme commandant du Groupe d'armées B ne pouvait qu'embrouiller une structure de commandement déjà compliquée. Rundstedt demanda au maréchal Keitel de l'OKW: qui est ce gamin? Que veut-il? Me remplacer? Keitel l'assura que non. Néanmoins, Rommel et Rundstedt partagaient certaines vues:

    1. Ils connaissaient les faiblesses inhérentes du Mur de l'Atlantique. Ils étaient persuadés que les Alliés n'ignoraient pas ses faiblesses et pourraient l'enfoncer facilement.
    2. L'importance de garder le contrôle de l'arrière-pays grâce à des effectifs puissants et mobiles.

    Cependant, ils différaient quant au lieu probable du débarquement:

  • Rundstedt – Le débarquement allié aurait lieu dans la région du Pas de Calais.
  • Rommel – Le débarquement allié aurait lieu sur les plages de Normandie.
  • Ils différaient également dans l'application de la stratégie défensive:

  • Rundstedt veut laisser l'ennemi débarquer, déterminer sa direction et le vaincre à l'intérieur des terres.
  • Rommel veut contenir une invasion sur le lieu de son débarquement, et acheminer des réserves mobiles pour l'écraser.
  • Rundstedt, en bon militaire traditionnel, recherchait une victoire décisive sur le champ de bataille en appliquant les principes de l'encerclement et de l'anihilation. Il demeurait convaincu que la bataille décisive aurait lieu loin des côtes lorsque les réserves tactiques pourraient tenailler et saisir l'adversaire une fois engagé sur le continent, pour ensuite l'écraser ou le faire capituler. Rommel s'opposait à l'opinion de son supérieur à cause de la maîtrise du ciel par les Alliés: l'aviation ennemie empêcherait toute concentration de grosses unités, et celles-ci auraient de la difficulté à monter en ligne, vers la côte, ou à manœuvrer pour tenailler. La contre-attaque ne pourrait pas résister face à un ennemi solidement implanté sur un périmètre de débarquement; d'où la nécessité de l'empêcher de prendre pied dès le premier jour. Rommel dit à Rundstedt qu'il valait mieux avoir une disivion blindée en mains le premier jour du débarquement, que trois divisions blindées trois jours plus tard.

    Si Rommel avait connu l'existence des ports artificiels qui permirent aux Alliés de se passer d'un véritable port durant les premières semaines du débarquement, son argument aurait été encore plus pertinent; mais, les mulberries furent une surprise complète pour les Allemands. Devant les arguments de ses deux maréchaux, Hitler donna raison aux deux, afin de doubler ses chances de succès.. En fait, il les réduisait à rien. Hitler, trompé par les ruses des Alliés, ne sachant où aurait lieu le débarquement, chloroformé par sa propre propagande, croyait à la fois dans la solidité du Mur de l'Atlantique et à la réserve tactique, affaiblissant l'une et l'autre.

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    Tétradères lourds minés sur les plages

    Rommel cherchera à compliquer l'arrivée des soldats alliés en multipliant les obstacles de toutes sortes: tétradères métalliques posés sur les plages, positions de tir, et des champs de mines. Dans l'arrière immédiat des plages "à risques", il fit installer de nombreuses arêtes dans les champs pour déchiqueter les planeurs qui chercheraient à se poser: les "asperges" de Rommel. Pressé par le temps, il ne s'est pas intéressé à l'armement lourd des gros ouvrages. côtiers de Cherbourg et du Havre. L'artillerie disponible ne dépassait pas le calibre 150mm, ce qui était insuffisant pour atteindre une flotte alliée à la veille de débarquer. Il était trop tard pour y remédier: le personnel de l'armée et de la marine n'aurait pas le temps de compléter l'installation de canons lourds de marine dans ces ouvrages; même si une batterie déjà installée et casematée sous béton peut encaisser un bombardement aérien, elle est au contraire vulnérable pendant sa construction. Seule la batterie casematée de St-Marcouf, avec ses pièces de 210mm, était opérationnelle; mais elle n'est pas entrée en action le 6 Juin.

     Ressources

    Alors que toutes les forces alliées étaient placées sous les ordres d'Eisenhower, la Directive No.40 émise par Hitler fixait mal les responsabilités dans la gestion des ressources humaines et matérielles à l'Ouest:

  • L'artillerie lourde côtière est commandée par la marine et l'armée.
  • Les chars d'assaut ne peuvent être utilisés sans la permission de l'OKW à Berlin.
  • Les unités de Waffen-SS sont commandées par Himmler.
  • Les unités terrestres de la Luftwaffe (parachutistes) sont commandées par Goering.
  • La marine est commandée par Doenitz.
  • Cependant, la Luftwaffe avait transféré une grande partie de ses escadrilles en Allemagne pour se protéger des quadrimoteurs alliés. En France, elle n'avait aucun bombardier pour attaquer les navires alliés en cas d'invasion. La marine était à court de moyens pour repousser une invasion: seulement quelques vedettes rapides lance-torpilles et des submersibles. Von Rundstedt disposait de deux armées en France pour s'opposer à Eisenhower: la 15ème Armée, commandée par le général Von Salmuth, et la 7ème Armée, commandée par le général Dollman. La première était basée dans le nord-ouest de la France et couvrait la route anticipée d'une invasion alliée en direction de l'Allemagne; elle comprenait de nombreuses unités d'infanterie et blindées très valables. La deuxième était basée au sud de la Seine et couvrait la Normandie et la Bretagne; elle était surtout composée d'unités envoyées au repos en France, d'unités de second ordre destinées à être ré-entrainées, et d'unités de basse qualité provenant de volontaires d'Europe orientale combattant sous l'uniforme allemand, dont de nombreux bataillons de Russes – celles-ci étaient déployées sur de nombreux ouvrages du Mur de l'Atlantique et n'avaient aucune expérience du combat. En gros, Rundstedt avait 500,000 hommes sous son commandement.

    _C'est parti

    Le général Dollman en briefing Eisenhower: c'est parti...

     L'effet de surprise

    Les plans alliés et allemands se préparent durant tout le printemps 1944 dans une absence totale de surprise stratégique: les Alliés savent qu'ils peuvent attaquer, et les Allemands savent qu'ils vont être attaqués. Bien que l'initiative stratégique est dans le camp allié, il n'est plus possible de surprendre l'adversaire quant à l'étalage de ses moyens et de ses intentions. Le seul avantage qu'aura Eisenhower sur Rundstedt sera de le tromper quant au lieu et à la date du débarquement. Selon les rapports des services de renseignements alliés, le Plan Fortitude mettant en scène l'acteur Patton semble très bien convaincre Rundstedt quant à une menace alliée dirigée vers la région du Pas de Calais. Pour Eisenhower, il ne lui restera qu'à lancer la véritable invasion.

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     Bagration

    L'URSS avait produit et reçu une quantité suffisante de matériel de guerre pour équiper la bagatelle de 840 divisions en 1944. Staline pouvait désormais mettre son poing sur la table devant ses partenaires occidentaux et leur signaler qu'il avait les moyens concrets pour sécuriser une zone territoriale qui avait servie, à deux reprises, de tremplin militaire pour envahir son pays. Staline voulait dégager ses frontières – réelles et à revendiquer – par une offensive massive sur toute la longueur du front oriental. Elle porte le nom de Bagration, du nom d'un général russe d'origine noble qui s'était fait tuer en 1812 durant la bataille de Borodino. Durant l'été 1944, une offensive générale soviétique se déclenche sur tout le front oriental, de la Carélie jusqu'à la Mer Noire. C'est une version inversée de l'Opération Barbarossa allemande de 1941. Non seulement l'URSS a la volonté affichée d'en finir avec l'Allemagne nazie et ses partenaires, mais les dirigeants soviétiques ont des ambitions politiques pour sécuriser une zone qu'ils considèrent vitale pour la sécurité de leur pays ravagé. Moscou est en position de force à l'Est, et veut imposer les diktats suivants à ses voisins:

  • Forcer la Finlande à faire la paix. Une paix favorable à l'URSS, bien entendu.
  • Récupérer les pays baltes dans le giron soviétique.
  • Installer un gouvernement polonais favorable à l'URSS
  • Contrôler les actions gouvernementales de la Roumanie, Bulgarie, Hongrie et de la Yougoslavie
  • En ces jours de triomphe militaire, Staline reprend à son profit une citation de Clausewitz: la guerre est une réalité politique; elle est une partie d'un tout qui s'appelle la Politique. Il radote également une citation de Frunze: les questions stratégiques, économiques et politiques sont inter-reliées et font partie d'un même ensemble cohérent. Ces prises de position politico-militaires s'opposaient à la pratique occidentale. Mais, la Stavka, elle, se retrouvait dans une posture avantagée, suite aux nombreux revers allemands depuis l'été 1943.

     Finlande - Staline voulait en finir avec ce petit pays limitrophe qui lui avait opposé une résistance de qualité en 1939-40, et qui s'était laissé tiré l'oreille pour aider l'Allemagne durant le siège de Léningrad. Il comprenait bien le dilemme politico-territorial finlandais, sans perdre de vue la nécessité pour l'URSS de sécuriser sa frontière de Carélie. Grâce à la médiation offerte par le gouvernement suédois, la Finlande se désintéressa d'une proposition d'armistice qui lui était défavorable avec l'URSS. Elle n'était pas désireuse de retourner au statu-quo de Mars 1940. Aux raisons territoriales s'ajoutait une indemnité monétaire de $600 millions d'aide matérielle échelonnée sur plus de cinq ans. Mais Staline avait du muscle en 1944, et était en mesure de se faire obéir des Finlandais, sans que ceux-ci puissent compter à la fois sur leur armée et sur des commanditaires étrangers. Son armée dégagea la Carélie et accula le gouvernement finlandais à respecter la plupart des demandes soviétiques. Mannerheim a bien joué ses cartes dissuasives, et pour éviter l'occupation de son pays, il opta de signer une paix séparée avec Staline.

     Groupes d'armées Centre  L'objectif immédiat de l'Opération Bagration était de détruire le Groupe d'armées Centre, commandé par le général Busch, depuis le départ de Kluge pour le front de l'Ouest. L'effort fut dirigé pour neutraliser le secteur fort des défenses allemandes à l'Est entre Mozyr au sud et Vitebsk au nord. L'encerclement et la destruction des forces allemandes permettrait d'ouvrir la route de Minsk, Pinsk, Vilno et Kaunas, de part et d'autre des marais du Pripet.

     Vistule Pour la Stavka, ce serait l'étape suivante de l'Opération Bagration. Elle devait permettre de faire une ligne de front linéaire de la Pologne à la Roumanie. Selon les termes des nouvelles directives qui seraient en vigueur, l'Armée rouge devait:

  • Nettoyer le Golfe de Riga et les pays baltes de la présence allemande.
  • Déloger les divisions allemandes positionnées sur la rive gauche du Niémen.
  • Entrer en Prusse orientale.
  • Envahir la Pologne.
  • Pour l'Allemagne nazie, l'écroulement de cet immense front entre la Baltique jusqu'aux Carpathes sera le chant du cygne de la Wehrmarcht à l'Est. Ce désastre s'ajoute à ceux de Stalingrad, de Koursk, du Dniepr, et de la destruction du Groupe d'armées Centre. Les forces armées allemandes n'ont plus la cohésion nécessaire pour mener des contre-attaques réalistes sur un secteur déterminé, car Hitler insiste à défendre l'intégralité du front de l'Est. Tout comme à l'Ouest, les généraux allemands servant à l'Est sont privés de la liberté de manœuvre nécessaire à rétablir la situation. Le maréchal Model réussit, mais cela lui a coûté son groupe d'armées – curieusement, Hitler lui donnera une promotion! Mais après l'attentat du 20 Juillet 1944, Hitler tient à ce que ses généraux ne soient que des machines à dire oui au furhrer, sinon c'est – au mieux – le limogeage; ou – au pire – de mourir sur des crocs de boucher, pendu par une corde de piano. Tant qu'un général sera un bon pompier, aucun problème. Mais dès que le pompier allume plus de "feux" qu'il en éteint, il risque des ennuis avec le boss.

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     Luzon

    Lorsque l'aéronavale américaine a vaincu les Japonais dans la bataille des Mariannes, et repoussée les premiers kamikazes devant le Golfe de Leyte, rien ne pouvait plus empêcher un débarquement américain de grande envergure aux Phillipines, précisément sur Luzon, la principale île de l'archipel. Les belligérants comprennent que la bataille à livrer sera d'une importance considérable sur le plan stratégique. Le président Roosevelt, ainsi que Nimitz et les JCS ont été persuadés par le général MacArthur que la reconquête des Phillipines était plus importante que celle de Formose. Non seulement elle libérerait une population plus importante que cette de Formose, mais elle ferait crouler l'économie de guerre japonaise. De surcroit, elle donnerait aux Américains le tremplin militaire requis pour envahir le Japon.

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    MacArthur, Roosevelt et Nimitz au meeting d'Honolulu du 22 Juillet 1944 Aspect et topographie de Luzon et de Mindoro

    L'île de Luzon (ci-bas) avait 115 milles de long du nord au sud par entre15 et 46 milles de largeur. C'était le siège administratif de l'archipel phillipin avec sa capitale, Manille, et une partie importante de la population y résidait. Elle a un relief plutôt plat, excepté pour une chaine de montagnes le long de sa côte nord-ouest, et une plus modeste au nord-est. Le problème pour les Américains, c'est qu'elle était trop bien défendue. Le commandant japonais aux Philippines, le général Yamashita, était conscient que s'il perdait les Phillipines, le Japon perdrait la guerre. Il ne serait plus en mesure de contrôler les routes maritimes liant les Indes néérlandaises (Indonésie), la Birmanie, et la Malaisie avec le Japon. Si le Japon ne contrôlait pas l'archipel des Phillipines, il serait privé du pétrole indonésien, de l'étain et du caoutchouc de la Malaisie, et du riz indochinois. Le plan de base de Yamashita sera d'élaborer une série de défenses concentrées à l'intérieur de Luzon et de quelques grandes îles l'entourant. Il utilisera ce qui lui reste en avions dans le but de poursuivre les attaques-suicides sur les navires américains. Mais Yamashita se savait isolé à la fois du Japon et du continent asiatique, et ne pouvait espérer des ressources matérielles pour ravitailler sa force de 1/4 de million d'hommes. L'élimination quasi complète de la Flotte Combinée japonaise à Saipan et dans le Golfe de Leyte lui interdit tout secours ou renforts par mer. La présence aérienne américaine au-dessus des Phillipines fit réduire son inventaire aérien à 150 appareils.

    En gros, il cherchera à prévenir un débarquement et en cas d'échec, à faire payer le plus lourd tribut possible aux Américains pour la reconquête de son archipel. La victoire aéronavale et navale étant impossible, Yamashita espérait causer un taux de pertes suffisamment élevé pour contraindre MacArthur à signer un armistice, qui servirait d'amorce pour la signature d'une paix séparée qui avantagerait à court terme le Japon.

    La reconquête de Luzon, ainsi que de sa pérphérie insulaire immédiate absorbera les ressources militaire d'une armée complète et de deux flottes de guerre. L'enjeu était tel que les deux belligérants sont plus déterminés que jamais à en découdre sur le terrain. Pour Roosevelt, la reconquête des Phillipines revêtait également un caractère politique; car, selon lui, elle permettrait de rétablir la position des Etats-Unis comme un acteur asiatique, au même titre que l'aide à la Chine.

    Le but tactique du plan de MacArthur était de leurrer les Japonais quant aux intentions américaines. Les Japonais savaient - par le biais de leurs partenaires allemands - que les Américains aimaient l'attaque directe. Les Allemands semblaient avoir oubliés que le débarquement de Normandie a réussi à cause de l'application d'une stratégie indirecte, plus longue, moins coûteuse, mais avec de meilleures garanties de succès. Les Japonais concentrent leurs meilleures unités pour défendre Luzon. Informé des dispositions militaires japonaises par la guérrilla phillipine, MacArthur opta pour l'attaque indirecte:

  • Il fera un débarquement musclé à Leyte. But = attirer des unités japonaises hors de Luzon
  • Il mènera une progression limitée. Buts = exposer l'ennemi aux attaques aériennes et tromper Yamashita.
  • Il fera son débarquement le plus important dans le Golfe de Lingayen, à l'Ouest de Luzon

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     Market Garden

    Alors que les Alliés étaient en pleine bataille de Normandie, le général Montgomery avait trouvé le temps d'esquisser une nouvelle stratégie pour exploiter l'inévitable perçée vers la Seine. Selon lui, il fallait courir sus à l'ennemi allemand jusqu'à ce qu'il s'écroule, et cela sur un front aussi étroit que possible. Montgomery avait insisté auprès d'Eisenhower de lancer une opération audacieuse qui pourrait permettre, selon lui, de terminer la guerre avant Noel. Cette idée d'en finir une fois pour toutes "avant Noel" plaisant beaucoup aux soldats anglo-américains. Dans un entretien avec Bradley, il évoquait trois raisons pour justifier sa nouvelle stratégie:

    1. Le débouché de Normandie se produisait plus tôt que prévu. (!?)
    2. Les conditions des combats étaient différentes de celle du plan original.
    3. La résistance allemande s'épuisait rapidement.

    Montgomery voulait fusionner son groupe d'armées à celui de Bradley, une fois la Seine franchie, pour former une seule masse compacte si puissante qu'elle n'aurait rien à redouter de la part des Allemands. Selon lui, cette masse devait pousser vers le nord, traverser la Belgique à la gauche des Ardennes et entrer dans la plaine d'Allemagne du Nord afin d'occuper le bassin industriel de la Ruhr. Montgomery croyait qu'une progression compacte, puissante et rapide aurait un élan irrésistible. Une fois la Ruhr occupée, l'effort de guerre allemand serait paralysé. Cette stratégie de Montgomery aboutit au plan Market Garden.

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     Divergences

    L'idée stratégique de Montgomery resta sur le tas jusqu'au moment où les Alliés franchissent la Seine. Elle fut de nouveau soumise aux généraux Bradley et Patton. Eisenhower devait décider de son adoption ou son rejet. Montgomery était ennuyé lorsqu'il apprit qu'Eisenhower favorisait une progression générale sur un front large – de la Manche à l'Alsace. Bradley, qui n'aime pas du tout Montgomery, fit semblant d'approuver, mais préférait également progresser sur un front large, jugé moins dangereux, où il bénéficierait de toute la logistique américaine. Il favorisait une progression vers le Rhin avec la 3ème Armée de Patton. Bradley n'était pas intéressé à fusionner son groupe d'armées et à passer sous les ordres de Montgomery. Eisenhower rumina tout cela avant de convoquer une conférence le 23 Août à laquelle assistait Montgomery. Il ne fut pas facile pour Eisenhower de prendre une décision. Patton grommela son mécontentement à Bradley (ci-bas à gauche). Déjà, les lignes de ravitaillement commençaient à s'étirer. Tout le frêt ainsi que le carburant parvenaient de Cherbourg qui était à 400 milles des unités de Patton, et une partie de celui-ci était acheminé par camion sur des routes à peine carrossables, et sur lesquelles les Allemands posent quelques mines. Bien que certaines lignes ferroviaires aient été réparées grâce aux ingénieurs militaires, il apparaît évident que les unités les plus avançées ne seraient pas ravitaillées à temps pour soutenir un effort offensif. Montgomery ne croyait pas cela et insistait pour attaquer "tout de suite". Son subordonné, le général Horrocks, est du même avis, et exprime ci-bas la voix de son maître:

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    Patton: non, pas encore Monttgomery Les généraux Montgomery, Bradley et Dempsey Horrocks affirme que les Alliés auraient pu foncer vers la Ruhr

    La discussion s'envenima dans le ton et Eisenhower dut remettre Montgomery à l'ordre: Bernard, vous n'avez pas le droit de me parler ainsi. C'est moi le patron. Bernard dut s'excuser.. De surcroit, Churchill voulait qu'Eisenhower envoie des unités pour détruire les rampes de lancement des bombes volantes V-1. Eisenhower voyait sa stratégie de front élargi se strier à la fois pour des raisons opérationnelles et de coopération inter-alliée. Il finit par s'en sortir à force de compromis, en laissant entendre à ses subordonnés le plan de Montgomery serait une solution provisoire:

    Le 21ème Groupes d'armées de Montgomery attaquerait en Belgique tout en nettoyant le Pas de Calais, appuyé par la 1ère Armée US.

    Le 12ème Groupes d'armées de Bradley préparerait une offensive dans les Ardennes, et continuera ses progressions.

    Le gros du ravitaillement ira au groupe d'armées de Montgomery.

    A ce moment, Bradley et Patton comprennent que Montgomery a gagné la partie. Au SHAEF, il semblait à Eisenhower que rien ne pourrait s'opposer à l'avance alliée, sinon les carences du ravitaillement. Entretemps, ce dernier ne tiendra compte que des besoins les plus urgents à combler pour les deux groupes d'armées, tout en les encourageant à poursuivre leurs propres progressions; mais, il ne réalisait pas qu'en courant deux lièvres à la fois, Eisenhower allait perdre l'initiative des opérations à laquelle il tenait tant. Il n'y avait plus assez de ravitaillement pour alimenter les deux groupes d'armées.

     Le plan

    Le 9 Septembre, Montgomery n'avait pas encore reçu l'accord officiel d'Eisenhower, mais il avait hâte d'en finir, persuadé que chaque jour de répit laissé aux Allemands enlevait aux Alliés une chance de plus de "terminer la guerre en 1944". Son plan avait deux volets:

    1. Market – Prendre et conserver les ponts sur les canaux et cours d'eau se trouvant dans l'axe de la 2ème Armée de Dempsey depuis la frontière hollandaise jusqu'à Arnhem.
    2. Garden – Progression du 30ème Corps britannique de la Meuse à l'Escaut sur les routes et ponts pris et tenus, jusqu'à Arnhem. Ce corps d'armées serait protégé sur sa gauche par une formation britannique, et sur sa droite par une formation américaine. Regroupement des forces et, de là, une avancée rapide vers le Rhin.

    Les deux étapes du plan seraient exécutées successivement:

  • Le volet dit Market serait accompli par des parachutistes.
  • Le volet dit Garden par une formation motorisée et blindée.
  • Montgomery revint sur la question des ponts. Il s'agissait, pour lui, de dérouler un tapis de parachutistes sur lequel passerait les chars et véhicules du 30ème Corps. Ce "tapis" devait être long, et nécessairement étroit. Les ponts devait être tenus durant deux ou trois jours, le temps que les blindés du 30ème Corps relèvent les parachutistes. Lorsque les forces alliées auraient sécurisé tout le corridor conquis avec la prise d'Arnhem, le gros des unités de la 2ème Armée devait prendre la suite de la progression. L'opération fut acceptée le soir du 9 Septembre.

     Unités

    L'Opération Market Garden se distingue des autres plans alliés par l'utilisation massive des troupes aéroportées dans la réalisation de l'un de ses objectifs. En Août 1944, le général Brereton, patron de la 9ème USAAF depuis la Normandie, a été choisi par Eisenhower pour mettre sur pieds une grande unité d'un type nouveau: une armée aéroportée. Cette armée comprendrait à la fois des unités larguées par parachutes et d'autres transportées en planeurs; elle comprendrait également des escadrilles de chasse dont la mission serait exclusivement d'escorter les avions transportant et/ou remorquant ces parachutistes.

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    La tenue de combat des parachutistes britanniques et américains en 1944

    La 1ère Armée aéroportée alliée venait de naitre. Elle était composée d'unités parachutistes britanniques et américaines partiellement décimées par les combats de Sicile et de Normandie, mais qui avaient dûment rempli les missions qui leur avaient été confiées. Ces unités avaient été rappelées en Angleterre pour se rééquiper et ré-entrainer.

    Pour exécuter le premier volet de Market Garden, Brereton confia le travail à son 1er Corps aéroporté, commandé par le général Browning. Cette unité comprenait:

     La 101ème Division US du général Taylor – qui doit prendre Eindhoven et les ponts du Canal Wilhelmine, et ceux du Dommel et de Willems.

     La 82ème Division US du général Gavin – qui doit prendre le pont de Grave sur la Maas et le pont de Nimègue sur le Rhin.

     La 1ère Division aéroportée britannique du général Urquhart qui doit prendre les ponts de la branche nord du Rhin, dont celui d'Arnhem.

     La 1ère Brigade aéroportée polonaise du général Sosabowski qui sera larguée pour renforcer Urquhart à Arnhem.

    Le nombre total de parachutistes à être largués était d'environ 35,000 hommes. C'était du jamais vu durant la Seconde Guerre mondiale.

    Les objectifs des aéroportés

    © Courtoisie de Roel Kerkhoff

    C'est dans ce corridor ouvert par les parachutistes que s'ébranlera le 30ème Corps de Horrocks, formé des unités suivantes:

  • La division blindée des Grenadiers Guards.
  • La 43ème Division blindée britannique.
  • La 50ème Division mécanisée britannique.
  • Ces unités motorisées et blindées ne devaient pas perdre de temps. Elles devaient progresser sur une voie unique pour parcourir les 64 milles vers Arnhem. Elles totalisaient environ 20,000 véhicules de tous types.

    La route que doit prendre le 30ème Corps

    © Courtoisie de Roel Kerkhoff

     Appréhensions et improvisation

    Dès que l'opération fut approuvée, le général Browning avisa ses subordonnés qu'ils avaient à peine sept jours pour la préparer. Les attributions d'avions de transport furent surtout allouées aux unités américaines. Il fallait en effet tenir compte du fait que c'était à elles que revenait la charge de s'emparer des ponts de Nimègue et des hautes terres environnantes, faute de quoi le 30ème Corps n'aurait aucune chance de rejoindre Arnhem. Mais il ne restait à Urquhart que de quoi transporter qu'une seule de ses trois brigades, une partie de brigade en planeurs, soit le tiers de ses moyens. Pour pallier à ce désavantage, la RAF suggéra de déposer les troupes dans l'obscurité du petit matin avant les brouillards de l'aube. Pour le reste, toutes les préparations furent accélérées et revêtaient un caractère improvisé.

    Depuis Août 1944, la situation militaire des Allemands à l'Ouest demeurait précaire. Les troupes allemandes avaient connu un revers militaire cuisant en Normandie, et se repliaient vers l'Alsace et la Hollande. La hiérarchie militaire à l'Ouest avait été affectée par une succesion de maréchaux:

  • Rommel blessé, est invalidé en Allemagne.
  • Von Rundstedt et limogé, remplacé par Von Kluge.
  • Von Kluge est limogé après le désastre de Falaise; il se suicide, et est remplacé par Model.
  • Model est limogé, et remplacé par Von Rundstedt.
  •  Effectifs

    Le 4 Septembre, l'OKW aurait été bien embarrassé pour dire à Hitler où l'on pourrait trouver ne fut-ce qu'une division fraiche – surtout depuis les pertes allemandes sur le front russe depuis Bagration. Il n'était pas question d'en rappeler de l'Est. Des unités allemandes avaient déjà été retirées d'Italie. Certaines division blindées hachées sur le front de l'Est avaient été reformées comme brigades, mais n'avaient plus assez de blindés et de véhicules pour se mouvoir. En Allemagne, l'OKH en était réduite à enrôler des vieux et des jeunes dans des unités appelées Volksgrenadiers – soldats du peuple. En désespoir de cause, il fut décidé d'envoyer ces "soldats" comme renforts à l'Ouest: l'équivalent d'infanterie de 25 divisions, totalisant 148,000 hommes.

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    Le général Student inspecte ses parachutistes Von Rundstedt en visite d'inspection sur le terrain

    Les effectifs allemands envoyés en renfort à l'Ouest étaient composés à la fois de troupes expérimentées et de tous les Volksgrenadiers et convalescents que l'OKH a pu racler. C'est avec de tels effectifs que les trous furent bouchés à l'Ouest, dès le 8 Septembre. La ligne de front devenait continue sur tout le nord-ouest européen, entre la Hollande et l'Allemagne. Le canal Albert était gardé par le 76ème Division allemand depuis Anvers jusqu'à Maastricht, au Luxembourg; mais, c'est un rideau plutôt mince. Si l'un de ses régiments n'était composé que de jeunes recrues, l'autre était le 6ème Régiment de parachutistes, une unité d'élite commandée par le baron Von der Heyte: la meilleure que possédait Student. Depuis l'entrée des Britanniques à Bruxelles, les généraux allemands s'attendaient à voir la Hollande envahie à tout moment. Devant la progression britannique, Student jugea plus prudent d'abandonner le canal Albert à l'est d'Herentals, pour se replier de nuit derrière l'Escaut. Le gouverneur allemand en Hollande, le général Christiansen, ne perdit pas de temps à rameuter certaines unités disparates. En dix jours, il récupéra 3000 hommes de toutes armes qui furent regroupés en unités: des jeunes panzergrenadiers d'une école de SS, aux marins et aviateurs. Entretemps, Rundstedt et Model conférèrent sur une attaque éventuelle des Alliés en Sarre menée par Patton. Pour parer à celle-ci, il envoya deux divisions blindées SS venues de Pologne et de Normandie. Model déploya la 9ème derrière la ville d'Arnhem, et la 10ème sur la Ligne Siegfried pour repousser une petite avant-garde américaine qui était entrée au Luxembourg. Dès le 11 Septembre, Model et son supérieur, Rundstedt, commencèrent à redouter un débarquement allié en Hollande, et ils furent surpris d'apprendre qu'Hitler avait re-transféré l'une des deux divisions blindées SS sur le front de l'Est. Model et Rundstedt endigueraient les Alliés avec un nombre insuffisant de blindés.

     Négligence alliée

    La reconnaissance aérienne prit de nombreuses photos de la Hollande durant l'été 1944. Les services de renseignement alliés ne se trompaient pas quand ils faisaient état d'un "petit nombre d'unités mises sur pieds à la hâte" qui, selon lui, "ne dépassaient pas les effectifs d'une brigade". Cependant, la présence d'unités SS n'avait pas échappé à la résistance hollandaise. Elle identifia à peu près correctement le nombre d'unités et de véhicules, et achemina les renseignements aux services de renseignement du SHAEF. Son patron lui donna son accord pour rencontrer Montgomery pour lui faire par des redéploiements allemands. Le général Bedell-Smith, le chef d'État-major d'Eisenhower, s'alarma en apprenant la nouvelle, suivie de précisions supplémentaires de la résistance hollandaise. Cependant, la résistance hollandaise a été infiltrée partiellement par le renseignement allemand, dès lors, les Britanniques doutaient de la validité des informations hollandaises, et croyait que les blindés repérés à Arnhem étaient peu nombreux. Montgomery balaya d'un geste négligent toutes les objections de Bedell-Smith. Il semble que de bonnes raisons avaient poussé Montgomery – au moment où les préparatifs étaient si avancés – à s'en tenir à son plan pré-établi sans le modifier et, en particulier, à ne pas en retarder l'exécution: the game is on.

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    Émetteur clandestin hollandais Le plan "étroit" de Montgomery

    Cet emportement dans la préparationthe game is on – inhiba l'esprit critique chez de nombreux officiers subordonnés alliés. Des egos sont en jeu; des affectations aussi... Ils avaient remarqué une série de déficiences matérielles, mais aucun d'entre eux n'intervinrent auprès de leurs supérieurs afin apporter des correctifs, de crainte d'être réprimandés ou limogés, et de ne pas participer à cette grande opération. Leur comportement peut s'illustrer dans le dicton anglo-saxon que voici: if anyone is going to rock the boat, it is not going to be me.

    Toutes les opérations militaires comportent un risque. Il semble que la réussite de l'Opération Market Garden allait dépendre de ce que Fédérick II appelait "Sa Majesté la Chance". Pour Montgomery, les préparatifs alliés avaient tenu compte de ce risque au maximum. Désormais, ce n'était plus qu'une question de météo. Que le temps soit favorable, et l'Opération Market Garden serait déclenchée. Son succès ou son échec déterminerait le cours de la guerre pour les alliés occidentaux.

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     Ardennes

     Une idée d'Hitler

    La veille du déclenchement de l'Opération Market Garden, Hitler avait émis l'idée de lancer une contre-offensive générale à l'Ouest dans les Ardennes belges, le lieu de ses exploits de 1940. Hitler savait qu'il devait agir promptement contre les alliés occidentaux, surtout depuis leur échec devant Arnhem. Le 11 Novembre, dans un rapport à Hitler, Albert Speer a montré la paralysie qui menace la Ruhr par les bombardements alliés sur les communications, et prévient que la continuation de la guerre sera impossible si une solution n'est pas trouvée dans le plus bref délai pour tenir les Alliés à bout de bras. Hitler avait demandé des hypothèses de travail à l'OKH dans le plus grand secret. Une trentaine de divisions dont 12 blindées et des brigades indépendantes devraient être gardées pour un grand coup. L'idée d'Hitler était de mettre tous ses œufs dans le même panier par une fuite en avant à l'Ouest. Il désirait se faufiler entre les forces britanniques et américaines pour reprendre le port d'Anvers, capturé par les Canadiens. Une telle offensive aurait non seulement pour effet de reprendre un port important, mais de déstabiliser la progression alliée vers les frontières de l'Allemagne. Hitler était certain qu'Eisenhower n'attaquerait jamais en Sarre et en Alsace s'il y avait la moindre possibilité que ses troupes attaquent dans les Ardennes. Il espérait asséner un tel coup aux Alliés qu'ils seraient plus réceptifs à l'idée de négocier une paix séparée qui aurait l'avantage à la fois de sauver son régime et de se mettre dans une meilleure posture pour affronter les Soviétiques. Cette offensive a porté à tord le nom "d'offensive Rundstedt". En fait, Von Rundstedt n'a pas eu grand chose à voir avec ce projet de fuite en avant si ce n'est que d'illustrer certaines options. Un autre maréchal, Model, n'aime pas ce plan car il le trouve trop ambitieux compte tenu des effectifs disponibles et de leur niveau d'entraînement: il serait plus approprié de donner un coup de boutoir plus limité devant la Meuse et de protéger la mère-patrie, conclut-il. Un de ses subordonnés, le général Manteuffel, partage cet avis. Sauf que l'idée d'attaquer dans les Ardennes venait du boss: vous reprendrez Anvers, dit Hitler à ses généraux, stupéfaits. Rundstedt, lui, grommelait: Anvers?? Mais arrivés à la Meuse, si nous l'atteignons, nous serons sur les genoux et nous remercierons Dieu! Devant l'indifférence d'Hitler face à cette remarque, Rundstedt retourne chez lui pour lire ses romans policiers... En fait, Hitler avait surtout comme priorité de fragiliser l'alliance anglo-américaine et de la faire patauger sur place, plutôt que d'espérer prendre Anvers (clip ci-bas).

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    Hitler avec Sepp Dietrich – Model n'aime pas le plan d'Hitler

     L'opération devait se dérouler suivant le schéma classique de l'attaque rapide.

  • Une violente préparation d'artillerie.
  • Les troupes d'assaut rompraient les lignes américaines en une douzainne de points.
  • Les colonnes blindées s'engouffraient dans les brèches sans se préocupper de leurs flancs.

  • Atteindre la Meuse, s'y consolider temporairement, et bondir vers Anvers
  •  Le résultat anticipé serait que les forces Alliées en Europe seraient coupées en deux, et les armées du nord 1ère et 9ème Armées US, 1ère Armée canadienne et 2ème Armée britannique – pourraient être tour à tour isolées et détruites. C'est un Model ronchognard qui va s'appliquer à mettre en branle ce plan de fou ordonné par Hitler. Il sait qu'il devra attaquer en hiver un secteur de collines boisées peu propices à de grandes unités. L'arme blindée n'est efficace qu'en terrain découvert, comme en Afrique du Nord, dans les steppes de Russie ou sur la plaine polonaise. Dans les Ardennes, les chars et autres véhicules blindés devront s'égrainer le long des routes boueuses flanquées par des boisés, ce qui limitera la vitesse de leurs progressions. Des pièges peuvent être tendus: arbres renversés, mines dissimulées... Si la neige se met à tomber, les véhicules seront encore plus lents. Une colonne motorisée et blindée de 200 véhicules peut s'égrainer sur 15 km. Si celle-ci ne progresse que sur une seule route, il suffira que les deux premiers blindés d'une telle colonne soient mis hors de combat pour bloquer tous les autres. La colonne ankylosée sera rapidement détruite par les chasseurs-bombardiers alliés, si elle est repérée. Model sait aussi que les Alliés ont une supériorité matérielle et aérienne pouvant briser tout avancée massive. Il devra donc miser sur la vitesse, la surprise et le mauvais temps s'il veut réussir à atteindre la Meuse. La consigne: ses soldats devront progresser rapidement. N'empêche que rééditer l'exploit de 1940 sera très risqué dans cette région car l'hiver approche. En Mai 1940, les blindés allemands étaient légers tandis que ceux de 1944 sont trop lourds et défoncent souvent les routes. De surcroît, il est très difficile d'acheminer 250,000 hommes près du front sans éveiller les soupcons des Alliés.

     Plans et préparatifs 

    Rundstedt, bien installé sur son sofa, est très clair sur la qualité des unités disponibles: les soi-disantes unités de Volksgrenadiers ne valent pas cher, dit-il. Model partagait son avis. Au début de Décembre, nous avons souligné qu'il proposait un plan un peu plus conforme aux moyens encore disponibles: il voulait se contenter d'atteindre la Meuse et de s'emparer de Liège – la grande base que les Américains jugeaient indispensable pour envahir l'Allemagne. Rundstedt proposait deux attaques convergentes: l'une partant du Luxembourg et l'autre de la Roer. Cela n'intéressait pas Hitler. Dès lors, ce serait le quartier général d'Hitler – l'OKW – qui traiterait directement avec le commandant du Groupe d'armées B, par-dessus la tête de Rundstedt. En fait, Hitler avait décidé d'opter pour le secret dès Octobre 1944 pour préparer "son" offensive. Silence radio à l'ouest sauf quelques signaux Enigma... Depuis l'attentat de Juillet 1944, Hitler se croyait entouré d'espions, si bien que peu d'officiers généraux savaient ce qu'il manigançait, sauf le général Manteuffel – un jeune. Lorsque ce dernier inspecta la portion du front prévu pour cette seconde attaque dans les Ardennes, il s'aperçcoit que les unités américaines sont très dispersées et facilement infiltrables. Manteuffel croit que les Voklsgrenadiers peuvent être utiles pour attaquer en première ligne car les front était trèes ténu. Cela lui permettrait de ménager ses vétérans qui pourraient ainsi consolider les gains peu après les assats. Manteuffel avait remarqué que plusieurs patrouilles de GI's avaient déjà marché à plusieurs reprises l'intérieur du territoire frontalier allemand et sont revenues à leurs cantonnements. Manteuffel se dit: nous n'aurons pas besoin d'un barrage d'artillerie comme à Koursk pourpercer le front ennemi. Tout ce que nous aurons à faire est d'infiltrer les lignes ennemies ténues et de cueillir ces gars-là à leur petit déjeuner.

     

    Le plan d'Hitler pour une contre-offensive dans les Ardennes

    C'est le Groupe d'armées B qui effectuera l'offensive des Ardennes. Encadrées par les 15ème et le reste de la 7ème Armée, les deux armées de Model effectueront, au point faible, la rupture du front américain:

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    Au centre, le maréchal Model qui commande le Groupe d'armées B Au centre, le général Von Manteuffel

     La 6ème Armée blindée SS commandée par le général Sepp Dietrich, au nord, sera chargée de l'effort principal. Elle poussera en direction de la Meuse de part et d'autre de Liège:

  • Elle dispersera les forces alliées en deux tronçons.

  • Elle attaquera Anvers, ce qui isolera le 21ème Groupe d'armées de Montgomery.
  •  ; 5ème Armée blindée, commandée par le général Von Manteuffel, poussera au coude-à-coude avec la 6ème Armée au sud de celle-ci:

  • Elle poussera droit sur la Meuse qu'elle franchira entre Huy et Givet
  • Elle continuera sa route sur Bruxelles et attaquera toute unité de réserve ennemie.
  • La 7ème Armée; du général Branderberger, attaquera dans le Luxembourg et couvrira l'ensemble de ses opérations

     La 15ème Armée commandée par le général Von Zangen aura pour tâche de fixer le 7ème Corps US et couvrira le flanc nord de la 6ème Armée blindée SS. 

    Toute l'opération sera subordonnée à la surprise et à la vitesse. Pour réaliser la surprise, les mesures les plus dures sont imposées aux soldats et officiers:

    Un plan de déception est soigneusement établi pour tromper l'ennemi sur l'objectif poursuivi.

    La peine de mort est assurée à quiconque commetterait la plus élémentaire indiscrétion.

    La 6ème Armée blindée SS est rassemblée entre Hanovre et le Weser pour faire croire qu'elle pourrait contre-attaquer dans la région de la Roer – et ça va marcher. Si la possibilité d'une offensive allemande ne constituait pas une surprise pour les Alliés, le moment choisi et la puissance de celle-ci les surprendront complètement. Le début de l'offensive serait prévu pour le 27 Novembre, mais elle sera de nombreuses fois retardées à cause de problèmes d'organisation et de transport. L'offensive est reportée au 16 Décembre. Un seul problème ponctuel important crispait les généraux allemands: la supériorité aérienne alliée. Pour la nier, les météorogistes allemands prévoyaient quinze jours de brume sur l'Ardenne à partir de ce jour. Hitler avait fait transférer plusieurs unités blindées du front oriental pour lancer son attaque dans les Ardennes: des chars PZKW-V et VI, des automoteurs StuG, ainsi que des lances-roquettes Nebelwerfer. L'ennui était que les ponts sur l'Eifel et la Meuse n'étaient pas assez solides ni assez larges pour supporter le poids des PZKW-VIb (Tigre 2). Autre problème: les blindés allemands ont peu d'essence, et cela explique la priorité de capturer le dépôt d'essence américain près de Stavelot afin de poursuivre leur offensive. Qui plus est, en Décembre 1944, les Allemands reçoivent en grande quantité des fusils d'assaut MP-44 (clip ci-bas) pour leur donner une puissance de feu supérieure à celles de leurs habituelles carabines Mauser 98K et mitraillettes MP-40. Un petit lot de ces armes avaient été testées avec succès à Koursk, un an plus tôt. De nombreux soldats allemands n'hésiteront pas à utiliser les petites carabines semi-automatiques M1 américaines (ci-bas) peu puissantes pour augmenter leur puissance de feu au niveau de la section.

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    Le fusil d'assaut MP-44 est prometteur Parachutiste allemand armé d'une Carbine M1

    Une première réussite: les préparatifs. La majorité des unités ont été choisies et rassemblées dans la plus grande discrétion. Le matériel d'assaut a été acheminé et camouflé dans des zones de stockage près de la ligne de front. L'utilisation de la météorologie permettra aux Allemands de planifier une fenêtre d'attaque. Les submersibles allemands encore en service dans l'Atlantique sont obligés de faire surface pour transmettre des informations météo. De ce fait, un front atmosphérique de tempête prenda trois jours avant d'affecter les conditions météo en Europe de l'Ouest. Les Allemands utiliseront la météo à leur avantage. Seconde réussite: la tromperie. Pour laisser croire aux Alliés que l'offensive ne visait pas les Ardennes mais plutôt la Sarre, celle-ci est baptisée la "garde du Rhin". Une courte correspondance fictive entre officiers allemands a été effectuée en utilisant un code que les Alliés avaient déjà déchiffré. Pendant plusieurs semaines, l'attention anglo-américaine sera dirigée vers la Sarre plutôt que dans les Ardennes. Mais il y a eu plusieurs bévues: Indiscrétions japonaises dans les conversations diplomatiques Enigma avec la Wilhemstrasse, décodées par les Britanniques à Betcherly. Des mots-clé apparamment anodins éveillent les soupsons. Une intensification des communications radio le 5 décembre suggère une préparation en cours. Les officiers allemands qui vont commander les unités durant cette offensive n'ont qu'une connaissance partielle du plan. Quant aux Alliés, ils n'ont pas de photographies aériennes récentes du secteur des Ardennes. La météo brumeuse de la mi-décembre clouait au sol les avions de reconnaissance. Seul le général Patton, commandant la IIIè Armée US qui se prépare à entrer en Sarre, exprime un petit malaise de constater que ce "secteur fantôme" sur sa gauche est anormalement tranquille: et si les Allemands décidaient d'attaquer par là un jour?, écrit-il à Eisenhower. Patton émet des directives pour préparer son armée à bifurquer vers le nord s'il y a une offensive dans les Ardennes. En bon boutefeux, il dit au général Bradley: La météo est moche, nous sommes un peu essouflés, le secteur des Ardennes est tranquille, avec peu de troupes alliées, alors c'est par là qu'ils pourraient passer... Bradley n'en croit pas un mot.

     Les forces en présence 

    En Décembre 1944, les Allemands ont 68 divisions contre 61 sur le front de l'Ouest. Mais, par une stricte économie dans des zones non propices aux attaques, ils pourront frapper au centre avec 29 divisions dont 12 blindées, sur les 8 divisions alliées, dont une blindée, des 5ème et 8ème Corps américains. Eisenhower dispose de deux divisions dans la région de Rheims: les 82ème et 101ème Divisions aéroportées. Il peut également compter sur la 6ème Division aéroportée britannique, ainsi que la nouvelle 17ème Division aéroportée US qui se réorganisent en Angleterre. Il attend deux nouvelles division de recrues arrivant des Etats-Unis. Eisenhower ne peut compter sur les unités terrestres britanniques qui ont été malmenées durant Market Garden, et qui auraient été utiles en cas d'attaque allemande en Ardenne, comme le 30ème Corps blindé de Horrocks.

     La 1ère Armée US commandée par le général Hodges tient 200 kilomètres de front depuis Aix-la-Chapelle jusqu'au sud du Luxembourg avec ses trois corps d'armées:

    1. Le 7ème Corps commandé par le général Collins devant la Roer.
    2. Le 8ème Corps commandé par le général Middleton = le plus étiré et vulnérable.
    3. Le 5ème Corps commandé par le général Gerow, comme élément de soutien.

     Fait à remarquer, aucun de ces corps ne peuvent s'appuyer mutuellement dans la topographie belge. Seulement trois divisions américaines sont composées de vétérans aguerris. Les autres n'ont qu'une expérience superficielle du feu, et les deux nouvelles divisions arrivées des Etats-Unis sont des recrues qui arriveront six jours avant le début de l'offensive allemande. Pour Eisenhower, Hodges tient un secteur jugé calme qui protège le flanc gauche de ce que sera l'effort principal américain: l'entrée de la 3ème Armée US de Patton en Sarre, prévue pour le 18 Décembre. Eisenhower ne pouvait pas se permettre d'être prépondérant partout sur sa ligne de front. Il préférait miser son poids offensive sur l'armée de Patton.

     Du côté allemand, le ministre de l'Armement, Speer, proposait de faire des économies massives d'hommes en Norvège et en Italie et de puiser des hommes dans la marine et l'aviation. Il y aurait effectiement plusieurs unités disparates qui attaqueront dans les Ardennes. Mais le plus sérieux, c'est qu'il manque beaucoup de soldats aguerris dans les divisions allemandes sous-dotées (62%). Hitler compense ce manque en les dotant de Volksgrenadiers peu expérimentés. Le général Galland propose ce qui lui reste en terme d'avions opérationnels à l'Ouest: 2500 avions, dont plusieurs chasseurs à réaction. Cependant, le facteur aérien allemand sera minimal, étant donné que le plafond serait bas.

     Tous les généraux allemands, Rundstedt en tête, savaient que l'Allemagne jouait sa dernière carte à l'Ouest. Le jeu était risqué et lourd de conséquenses. Si l'offensive des Ardennes atteignait – même partiellement – son objectif, elle pourrait peut-être gagner un peu de temps pour se ressaisir contre les Russes. Pour eux, c'est bien à l'Ouest qu'il faut frapper, pensaient-ils, tout comme Hitler: si nous détruisons 30 divisions d'Eisenhower, la situation de ce dernier sera intenable militairement et politiquement; tandis que si nous détruisons 30 divisions soviétiques, il s'en trouvera 30 nouvelles peu après. Mais si l'offensive échoue, ce sera la fin pour l'armée allemande à l'Ouest. Celle-ci se trouvera forcée de se battre avec de pauvres moyens derrière le Rhin, et tenaillée par les Soviétiques.

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