L'année 1943

Au début de 1943, les ruines causées par les bombardements anglo-américains commencent à s'accumuler en Allemagne. Le Bomber Command de la RAF et la 8th Air Force étaient épaulées par la 15th Air Force opérant à partir de Foggia. Le plus grand changement avec les années précédentes est que les bombardements seront menés en rotation de jour et de nuit dans un effort concerté entre les deux aviations alliées. A la conférence de Casablanca de Janvier 1943, Roosevelt et Churchill ont convenu d'accorder une priorité importante aux bombardements stratégiques et de les appliquer sur une liste d'objectifs cités ci-dessous en ordre de priorité: Les ports et les chantiers navals quiassemblent et entretiennent les submersibles; tout le secteur de l'aéronautique, et plus particulièrement les usines qui fabriquent des moteurs d'avion; les transports ferroviaires qui acheminent les matières premièeres aux usines, mais aussi les troupes et leurs matérieils en zones de combat. Cependant, cet ordre de priorités ne reflétaient pas les réalités appliquées durant les précédents bombardements. La directive émise durant la conférence de Casablanca stipulait que "l'objectif stratégique de cette offensive aérienne vise à la fois la destruction de l'industrie allemande et l'érosion du moral de la population ennemie". Cependant, les nombreux échecs subis par les deux aviations alliées en 1942 illustraient que les techniques de bombardement devraient être revues, ou tout au moins, que l'effort allié devrait se concentrer sur des cibles plus faciles. Heureusement pour Churchill et Roosevelt, la menace sous-marine allait être résolue décisivement à l'été 1943.

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Efforts coordonnés

Les perceptions et priorités stratégiques anglo-américaines n'avaient pas très bien cohabitées en 1942, surtout en ce qui concerne le meilleur moyen de mettre à profit la 8th USAAF. Rappelons que le premier quadrimoteur B-17 s'est posé en Angleterre le 1er Juillet 1942 à Prestwick, en Écosse. Selon le maréchal de l'Air Portal, les escadrilles américaines devaient participer aux raids nocturnes menés par le Bomber Command. La raison invoquée était la difficulté croissante de faire des raids aériens de jour au-dessus de l'Europe occupée. Le général américain Eaker n'était pas d'accord. Il disait à Portal que la visibilité minimale ne permettait à peine de s'approcher d'un objectif, et encore moins de le frapper. Il ajoutait que l'armement défensif des bombardiers américains permettrait à la fois une meilleur pénétration de l'espace aérien ennemi et une meilleure défense contre la chasse allemande. Nous avons vu que cela fut vrai à l'automne 1942, contre des objectifs situés en France; mais ce sera très différent au-dessus de l'Allemagne.

Rotations et tactiques

Churchill aurait voulu lui-aussi que les escadrilles américaines attaquent de nuit avec le Bomber Command, et n'aimait pas voir l'USAAF faire ses raids de jour en négligeant de concerter ses efforts avec le Bomber Command. Il aura fallu huit mois pour le persuader qu'il serait préférable, désormais, de faire alterner les raids anglo-américains - il acquiesce en Mai 1943. Ce fut tout un exploit que de lui faire comprendre que les deux aviations s'encombreraient sur leurs terrains respectifs en n'opérant que la nuit. Leur rotation maximaliserait à la fois l'effet de choc et contribuerait à ne donner aucun répit aux Allemands – ce qui userait, à terme, leurs défenses. L'autre avantage que ne disait pas Eaker et son supérieur Arnold, c'était que les Américains pourraient conserver leur autonomie opérationnelle tout en participant à cet effort commun de bombardement. Cette "division du travail" était justifiée parce que l'USAAF et le Bomber Command utilisaient des procédures totalement différentes l'une de l'autre. Le jour, la 8th Air Force s'organise ses efforts pour favoriser les bombardements de précision. Elle définit certains objectifs restreints qui entrent dans la catégorie des "cibles désignées" durant la conférence de Casablanca. Elle veut tout faire pour épargner les civils. Cependant, les équipages américains fabulent toujours sur le degré de précision qu'ils peuvent obtenir avec leur sacro-saint viseur Norden. Cet appareil était considéré comme l'outil de visée nec-plus-ultra de l'équipement de vol de l'USAAF. Il était considéré comme "secret défense". Avant une mission, un aviateur technicien escorté de deux prévots installait l'appareil sur le bombardier. Au retour de mission, il était désinstallé et rangé dans un lieu gardé. Il était composé de gyroscopes et de roulettes calculatrices qui avaient pour fonction de stabiliser le ventre du bombardier tout en compensant pour la dérive des bombes au largage. Le navigateur-bombardier regardait dans un rond de plexiglas pour viser. Mais l'expérience de l'automne 1942 a montré que ce viseur fonctionnait très mal dans le ciel européen, ombragé et souvent brumeux. Le viseur Norden ne fonctionnait que par très beau temps.

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Le viseur Norden: un outil à la réputation très exagérée – Officiers juniors de l'USAAF à Bassingbourn

La nuit, le Bomber Command ne pouvait espérer que des résultats très partiels contre des objectifs désignés, et continuait sa stratégie de bombardement de zone en tapissant celle-ci de bombes. N'en déplaise à Eaker, Harris privilégiait les villes, sur lesquelles il déversait des bombes explosives et incendiaires – certaines de ces dernières avaient un mélange gélatineux pour un effet pyrophorique plus horrifiant. Cette fois, les Britanniques disposeront de nouveaux outils et tactiques qui – en plus du poids croissant de l'USAAF en Angleterre – permettront une meilleure réussite des raids aériens. Les Anglo-Américains disposent de nombreux atouts pour lancer leur offensive aérienne en 1943:

1- L'expérience britannique acquise depuis le début de la guerre

2- Un nombre plus important d'escadrilles et de groupes aériens de combat.

3- De moyens de détection améliorés

4- Et un grand nombre de navigateurs, dont certains formés au Canada

5- De meilleurs renseignements en Europe, grâce aux réseaux de résistance.

6- L'utilisation de leurres pour brouiller les radars ennemis.

Les Britanniques vont disposer d'un nombre croissant de quadrimoteurs Lancaster. Ils délaissent les modèles de bombardiers moins réussis que sont les Stirlings et Halifax au profit de ce nouvel appareil. Plus de 16,000 exemplaires de Lancaster seront construits, dont plusieurs milliers au Canada. Leur armement défensif demeure insuffisant – cela explique pourquoi le Bomber Command préfère les utiliser de nuit, en se fiant sur les aides électroniques. En plus de porter le récepteur gonio Gee, les Lancasters sont munis d'un radar air-sol appelé H2S, capable de détecter le terrain et de suivre le relief en pleine obscurité et au-travers des nuages. ;Les ingénieurs mettent au point un système de pointage de cibles appelé Oboe. Il comprend des stations au sol dont les antennes émettent un signal de référence semblable au Gee, et dont les bombardiers se servent pour se guider sur leurs cibles. Le navigateur n'avait qu'à suivre les faisceaux émis par ces stations terrestres; dès que deux lignes convergaient vers un même point, le bombardier éclaireur muni d'un récepteur Oboe pouvait dire aux autres de larguer leurs bombes sur l'objectif ainsi vectorisé. Ce système fut utile pour bombarder dans des conditions très nuageuses. Il avait une précision de 600 mètres par rapport à la cible visée. Oboe fut testé pour la première fois en 1942, au-dessus de Lorient et de St-Nazaire. Son seul problème était celui de sa portée: il pouvait baliser le bassin industriel de la Ruhr, mais pas au-delà.

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Le pointeur Oboe – Uniforme d'un officier de la R.A.F

Non seulement les Alliés font des progrès avec leurs radars de vol, mais inventent des moyens de brouiller les radars de leurs ennemis. Les ingénieurs britanniques mettent au point un leurre nommé Window. Il consiste à larguer des dizainnes de milliers de minces paillettes d'aluminium qui brouillent le signal émetteur des radars allemands Freya et Wursburg, ainsi que certains types de radars de vol allemands. Window sera utilisé pour la première fois durant les raids sur Hambourg. Les opérateurs radios britanniques réussissent à se verrouiller sur certaines fréquences radio de la Luftwaffe; ils parviennent ainsi à perturber le traffic aérien en envoyant – en allemand – de faux ordres qui détournent de nombreux avions de leurs lieux de destination. Cette tactique sera efficace durant le bombardement allié sur Kassel, les 22-23 Juillet.

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Le récepteur GEE – Le radar air-sol H2S

Pour baliser les cibles au sol, les Britanniques organisent des escadrilles d'éclaireurs - Pathfinders - chargés de lancer des grappes de fusées de différentes couleurs autour de l'objectif, et des fusées éclairantes au-dessus de ce dernier afin de le dévoiler aux bombardiers. Cette technique avait été utilisée avec succès en 1942 et conservée par le Bomber Command en 1943. Initialement, les éclaireurs utilisaient surtout le bimoteur Wellington; mais en 1943, ils utiliseront le chasseur-bombardier Mosquito dans ce rôle. Cet avion qui fut utilisé comme chasseur de nuit à partir de l'été 1941 s'est révélé très polyvalentet moins coûteux à fabriquer unitairement que le Beaufighter tout-métal. Le Bomber Command va l'utiliser comme appareil de frappe pour faire du "ciblage" rapide en basse altitude, ainsi que de la reconnaissance photographique – atout majeur dans une offensive aérienne. Il fera des frappes sur les installations radar statiques, des dépôts de carburant, des PC de combat de la Wehrmarcht, et quelques aérodromes. Le Mosquito sera l'équivalent tactique du Me-110 allemand, mais en mieux. Il sera très redouté par la Luftwaffe (cip ci-contre). En revanche, la RAF ne dispose pas d'aucun avion de chasse monomoteur capable d'escorter ses formations de bombardiers en Europe. Bien que les Spitfire VII et IX ont prouvé leur supériorité sur des adversaires allemands de même gabarit, ils n'ont pas l'autonomie requise pour escorter les bombardiers en Allemagne. Seuls les Mosquitos en version de chasseur de nuit peuvent faire ce travail; mais le Fighter Command les gardent en Angleterre comme outil défensif.

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Le Mosquito: l'appareil polyvalent de la R.A.F – Repérer la ville de Dortmund par l'odeur...

Mais ce sera l'affirmation de la puissance aérienne américaine en Europe qui sera le facteur déterminant de la poursuite de l'offensive aérienne. L'USAAF perdra 1261 quadrimoteurs durant la seule année 1943, mais disposera encore d'un nombre résiduel de B-17 et de B-24 pour continuer les bombardements - ce ne sera plus le cas pour le Bomber Command. Au grand dam du maréchal de l'Air Portal et de son subordonné Harris, l'effort de guerre aérien dépend essentiellement de la capacité industrielle américaine. Durant l'année 1943, le nombre de groupes aériens américains s'illustre comme suit:

Groupes

B-17

B-24

Janvier

5

2

Avril

5

2

Juillet

11

-

Octobre

17

4

Décembre

19

7

Cet inventaire illustre le nombre de quadrimoteurs américains mis à la disposition du général Doolittle, le successeur de Eaker à la tête de la 8th Air Force: soit, une triple augmentation depuis l'automne 1942. De ce fait, le nombre de sorties opérationnelles croîtra constamment:

Mois

Sorties

Janvier

279

Avril

379

Juillet

2334

Octobre

2159

Décembre

5618

En plus du quadrimoteur B-17, l'USAAF reçoit un nombre important de bombardiers B-24 Liberator, si convoités par les Alliés pour patrouiller les routes maritimes de l'Atlantique Nord. C'est un appareil plus large et caverneux que le B-17, et pouvait porter une charge maximale de 5000 livres de bombes. Plus de 3100 furent construits en deux versions – le bombardier, et l'avion cargo (appelé C-24). Cependant, l'usinage de l'appareil laissait à désirer, et son fuselage n'était pas aussi résistant aux tirs ennemis et aux atterrissages forcés que celui du B-17. Il exigeait un plus grand nombre d'heures d'entretien. Néanmoins, la 8th Air Force utilisera le B-24 durant toute la durée de la guerre européenne. Ils feront 343 missions et largueront 18,900 bombes de 125 et 250 livres jusqu'au 27 Avril 1945. Les mitrailleurs de B-24 abatteront 330 chasseurs allemands. En revanche, 192 B-24 seront abattus. L'USAAF avait remarqué avec intérêt le succès des premières frappes aériennes britanniques à basse altitude effectuées avec le Mosquito. Deux de ses escadrilles furent munies de cet appareil; mais à partir du printemps 1943, le général Doolittle ordonne le transfert en Angleterre du 319th Groupe de bombardement basé en Tunisie; il était équipé d'un bimoteur tactique controversé, le B-26 Marauder, destiné à remplacé l'avion de frappe A-20 Boston. C'est avec les B-26l que Doolittle fera ses premières frappes à basse altitude en 1943 sur des sites désignés. Bien que difficile à utiliser au combat de la part d'équipage souvent sous-expérimentés, le B-26 sera utilisé à la fois comme appareil de frappe et comme bombardier classique en moyenne altitude. Ses résultats seront considérés très acceptables: 1580 sorties contre 80 exemplaires abattus. Bien qu'il s'est montré aussi utile dans les frappes en Europe qu'en Méditérannée, cet appareil sera progressivement remplacé en 1944 par bimoteur beaucoup mieux construit et plus fiable, le B-25 Mitchell – que connaît bien le général Doolittle.

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Un des nombreux B-24 Liberator américains au-dessus de l'Europe – Le B-26 Marauder: un appareil de frappe en Europe

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Efforts défensifs allemands

nutile de dire que les Allemands ne sont pas resté les bras croisés devant ce qui leur apparaissait comme étant une menace aérienne de plus en plus percutante. La Luftwaffe et les différentes organisations de travail du Reich ont élaborés des moyens pour essayer de parer les coups les plus sérieux leur portent les Alliés dans les airs. Ils ont généralisé l'utilisation du camouflage pour dissimuler la vue des usines au renseignement allié par le biais de filets très ingénieux ainsi que des barils de produits fumigènes. La Luftwaffe reçoit des versions courantes de chasseurs mais modifiés pour jouer le rôle d'intercepteurs de bombardiers. Ceux-ci sont munis de radars passifs qui permettent de repérer les signaux radars émis depuis les bombardiers alliés en vol. Les Allemands généralisent une technique qu'ils ont pratiqué avec succès dans certaines de leurs villes portuaires, soit les masquer par des générateurs d'écrans de fumée. Les bombardiers britanniques, déjà handicapés d'avoir à voler de nuit vers un objectif, avaient souvent de la difficulté à déterminer où larguer leurs colis à cause de cette fumée émise volontairement. Ces écrans étaient encore plus efficace par temps couvert et brumeux. Le brouillage életronique servait à la fois à gêner les transmissions radio sur les fréquences utilisées par la RAF et l'USAAF, tout en neutralisant le système de guidage Gee des Britanniques. Au fur et à mesure que les Alliés accroissent leurs efforts de bombardement, le responsable allemand de la branche des chasseurs, le général Galland, fait pression sur Goering pour qu'il transfère des escadrilles de chasse afin de défendre l'espace aérien allemand. De surcroit, il fait accroitre le nombre d'escadrilles spécialisées dans la chasse de nuit. A partir du printemps 1943, la division du travail de la Luftwaffe s'effectuera comme suit:

1- La défense diurne sera effectuée par des chasseurs monomoteurs guidés du sol.

2- La dédense nocturne sera effectuée par des chasseurs bimoteurs portant leurs propres moyens de détection.

Dans un premier temps, les Allemands vont adapter des modèles existants pour intercepter les bombardiers britanniques. L'inévitable bimoteur Me-110 sera équipé d'une nouvelle avionique comprenant un récepteur gonio et un récepteur radar SN2. Une nouvelle version du Junker 88, le Ju-88G, a été conçue spécifiquement pour la chasse de nuit (image ci-bas). Il possède également le radar passif SN2 – reconnaissable à son antenne externe – ainsi qu'un affut double Oerlikon spécial de 20mm appelé Schragenmusik. Cet affut permettait à un appareil allemand volant en-dessous d'un bombardier ennemi de le tirer par le haut tout en restant en vol horizontal; il fut testé avec succès durant l'automne 1942. L'antenne SN2 a été conçue par la firme Telefunken. Elle sera testée sur un nombre réduit de chasseurs de nuit allemands durant l'année 1943; mais, elle ne sera pas produite en série avant le mois de Septembre. La particularité de ce radar était qu'il ne pouvait pas être brouillé par des leurres en paillettes Window. Il pouvait repérer le signal émis par le radar air-sol britannique H2S, ce qui permettait à l'avion allemand d'être guidé comme par la main directement sur lui – ce qui facilitait l'interception. Le SN2 était composé de deux antennes, semblables à des cornes de cervidés, qui acheminaient les signaux britanniques à une console gonio interne. Le SN2 opérait entre les fréquences de 17 et de 118 mhz. Ce type de récepteur radar sera amélioré durant l'année 1944 avec une meilleure portée et une plus grande gamme de fréquences. Il sera porté également sur d'autres appareils bimoteurs, y compris certains Me-262 réactés.

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L'intercepteur Ju-88G – Les antennes SN2 montées sur un Me-110

Au printemps 1943, Telefunken mit au point un émetteur radar de vol, le FuG 212. C'est, en fait, un viseur radar qui permettait aux Me-110 et Ju-88G d'aligner leurs armements sur une cible, surtout de nuit ou par mauvaise visibilité. Sa portée de détection était entre 200 et 6000 mètres, sur une longueur d'onde variant de 91 à 480 mhz. Ce radar aérien causera beaucoup d'ennuis aux Alliés, particulièrement au Bomber Command, car il sera responsable du fort taux de pertes de ses quadrimoteurs. Cependant, les ingénieurs alliés trouveront le moyen de brouiller ses signaux. Rendu inopérant par les contremesures alliées, le FuG 212 sera discontinué en Novembre 1943. La Luftwaffe aurait pu bénéficier d'un appareil bimoteur pour l'interception de nuit, le He-219. C'est un chasseur de nuit muni d'antennes radar passives et actives. Son prototype fonctionnel a été testé avec succès durant le printemps de 1943. Cependant, aucun plan n'avait été prévu pour le produire en série durant l'été 1943. Des officiers de la Luftwaffe ont mis au point des tactiques pour affronter les quadrimoteurs ennemis.

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La console SN2 – La console FuG 212 – Un PC de combat régional de la Luftwaffe

Un pilote de bombardier allemand, le major Hermann, proposa à l'OKL une technique d'interception qui permet aux chasseurs allemands de se laisser guider par le signal émis par le radar de vol britannique H2S. Cela aurait pour effet d'éviter d'utiliser les projecteurs pour illuminer le ciel, et ainsi d'alerter le bombardier britannique. Cette tactique reposait sur l'utilisation d'antennes réceptrices radar basées au sol, et qui vectoriseraient les chasseurs allemands - des monomoteurs Me-109 et FW-190 - sur les avions à intercepter. Goering approuva cette tactique, et ordonna aux monomoteurs allemands de faire des rotations de patrouille autour des villes allemandes, et éviter ainsi de se faire détruire au sol par des quelconque Mosquitos ou Beaufighters.

La Ruhr

Lorsque les Alliés commencent à attaquer des cibles dans le bassin industriel de la Ruhr, leur taux de pertes va augmenter considérablement. Le Bomber Command perdra près de 1000 avions entre Mars et Septembre 1943 - soit abattus par les Allemands ou écrasés au retour en Angleterre. Les aviateurs apprendront à haïr la densité bien organisée des défenses allemandes de la "Happy Valley". De surcroit, comme il s'agira de naviguer dans un couloir aérien étroit, les bombardiers sont sans cesse sur le qui-vive, à cause du danger croissant de collisions. Harris débuta ses bombardements dans la Ruhr en bombardant la grande ville industrielle de Essen, le 5 Mars. Deux stations émettrices Oboe avaient tracé un X au-dessus de cette ville. Le Bomber Command fait décoller 443 bombardiers, précédés de 8 Mosquitos munis de récepteurs Oboe. Les apapreils transportaient une dotation d'un tiers de bombes explosives et de deux tiers de bombes incendiaires. Harris avait jugé qu'il était plus rentable de brûler les villes que de leur balancer des explosifs. La coordination du raid aérien est excellente: 153 bombardiers ont largués leurs bombes à moins de trois milles du point d'impact ciblé par Oboe. Cependant, 14 appareils furent abattus, surtout par des tirs anti-aériens nourris; 160 acres de la ville furent réduits en cendres. Les aviateurs britanniques ont été surpris par l'organisation des positions anti-aériennes allemandes, et revinrent à leurs bases "passablement secoués" de cette expérience.

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Essen: des dégâts industriels limités – Des tirs anti-aériens – Uniforme d'officier de la Lufwaffe

Nuremberg et Munich

Le 8 Mars 1943, le Bomber Command fait un autre raid sur la ville symbolisant le nazisme: Nuremberg. Cette ville provinciale qui était relativement peu industrialisée avant 1935, avait connue une expansion industrielle importante via la firme MAN qui manufacturait des affuts auto-propulsés, des camions et des chars. Harris envoie 402 appareils dans des formations bien coordonnées au-dessus de cette ville. Cependant, les dégâts sont moins importants, car les chasseurs de nuit allemands sont au rendez-vous, ce qui forçait beaucoup de bombardiers à larguer leurs bombes précipitamment afin de décrocher et retourner en Angleterre. Le lendemain, le Bomber Command remet ça, mais sur la ville de Munich - bien au-delà de la portée des faisceaux émis par les stations Oboe. Pour la première fois, Harris "nageait dans l'inconnu". Les formations de bombardiers devaient parcourir un trajet plus long. Ils étaient suivis avec incrédulité par les radars allemands qui eurent tout le temps de prévenir les escadrilles de la Luftwaffe. Munich ne reçut que quelques grappes de bombes. La chasse allemande réussit à disperser les bombardiers, et 24 d'entre eux furent abattus – plusieurs d'entre eux s'écrasèrent lors du retour sur leurs terrains. La nouvelle fit mauvaise presse, et Harris fut blâmé pour cet échec.

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Un quartier de Nuremberg est dévasté – Les usines tchèques Skoda sont à peines touchées

Le 7 Avril, le Bomber Command se permet même un raid risqué sur les usines Skoda à Pilsen, en Slovaquie: Now, I'm sure to get the chop, se disait le pilote canadien Mortensen. Encore une fois, les radars allemands de la Ligne Kammhuber détectent la formation de 377 bombardiers. Les chasseurs de nuit allemands, avec leurs propres antennes actives et passives, verrouillent leurs tirs sur les bombardiers et réussissent à les disperser. Le raid fut un échec. Les éclaireurs britanniques à bord de leurs Mosquitos éclairent ce qui leur semble l'usine à viser, mais il s'agissait d'un asile psychiatrique. Ils ordonnent aux bombardiers encore à leurs côtés de larguer leurs bombes – qui tombèrent à 4 milles autour de ce gros édifice (ci-contre). Les pertes sont moins importantes. Beaucoup de bombardiers endommagés retournèrent sur leurs terrains; mais trois d'entre eux furent abattus – l'un d'entre eux était piloté par Mortensen.

Stettin et Essen

Le 20 Avril, le Bomber Command essaie une nouvelle tactique de navigation dans un raid sur Stettin. Pour éviter de se faire repérer par les radars allemands, les appareils naviguent en basse altitude, presqu'au ras des flots de la mer du Nord, à la manière des raids de Mosquitos et de B-26. Les bombardiers prennent ensuite leur altitude pour ensuite lâcher leurs bombes sur la ville et le port. Le raid fut un succès, car les radars allemands ont été trompés. Le 30 Avril, un raid du même genre fut mené avec succès au-dessus de Essen. Les bombardiers volèrent presque en rase-mottes, sous la ligne de détection des radars, pour ensuite reprendre de l'altitude et bombarder la ville. Les dégâts furent importants. Deux appareils sont perdus, dont un Mosquito à cause d'une collision avec un colline escarpée (ci-bas).

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Ce Mosquito n'a pas eu de chance – Les usines Krupp à Essen ont été peu endommagées

L'opinion publique britannique demeurait ambivalente quant à sa perception des bombardements nocturnes au-dessus de l'Allemagne. Il lui semblait que les résultats accomplis étaient en-deça des efforts et risques entrepris par leurs aviateurs. Certains articles de journaux – même à demi-censurés – laissaient voir un certain malaise dans la population. L'efficacité des raids du Bomber Command avait également un écho ambivalent aux Etats-Unis. Harris se laissa convaincre d'organiser un raid de précision sur les barrages de la vallée de la Ruhr. Il serait peut-être plus facile de perturber la production industrielle allemande de la Ruhr en la privant d'électricité que d'attaquer directement les usines; d'où l'idée de frapper ces barrages. Cependant, il était hors de question d'utiliser un grand nombre de bombardiers pour faire un tel raid, à cause de la vigilance des radars allemands. Seuls quelques appareils pourraient passer en rase-mottes. Il était hors de question d'utiliser des bombes classiques contre ces barrages parce que l'eau amortirait la plus grande partie des vibrations de l'explosion. Pas question également d'utiliser des torpilles car les Allemands avaient installé des filets anti-torpilles. L'ingénieur britannique Barnes Wallis avait inventé une bombe circulaire bondissante (clip ci-haut) qui promettait de donner de bons résultats. Il affirmait que si une bombe pouvait bondir sur l'eau sans exploser pour ensuite détonner sur les barrages, l'opération pourrait réussir. La bombe de Wallis devait être larguée à 60 pieds du plan d'eau et à la vitesse de 230 mph. Le double système de détonation lui permettait soit d'exploser à l'impact d'une structure solide, ou à une immersion pré-réglée.

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La bombe bondissante Wallis lancée sur un barrage de la Ruhr – Le barrage sur la Mohlne

Harris confia l'organisation et l'exécution du raid au commandant de l'Escadrille No.617, Gibson, qui sélectionna les meilleurs équipages de bombardiers du Bomber Command pour la réaliser. Cette mission a été menée aprce qu’elle pouvait se réaliser, et non pas parce qu’elle était indispensable ou vitale à l’effort de guerre allié. Gibson (ci-contre au centre) leur fit un entrainement rigoureux de quelques semaines pour exécuter cette mission qui tenait à la fois du spectaculaire et du prestige - pour Harris, évidemment. Gibson choisit le quadrimoteur Lancaster, car c'était le seul appareil assez puissant pour porter la bombe Wallis. Afin de larguer la bombe de nuit à la hauteur requise, deux phares sont installés en parallèle de la soute à bombe des Lancasters. Lorsque le rayonnement des deux phares ne forment plus qu'un, cela permet au pilote de confirmer que son appareil est à la bonne altitude. Gibson devait détruire les barrages sur les rivières Eder, Mohne, Sorpe, Lister et Schwelme. Gibson lance son raid dans la nuit du 16 au 17 Mai 1943. Ses 19 Lancasters na viguent en rase-mottes au-dessus des vagues de la mer du Nord dans un silence radio total. L'appareil de Gibson survole le Mohlne et lâche sa bombe: elle bondit sur l'eau, telle que prévue, mais elle explose prématurément à 75 verges du barrage. Les défenseurs allemands sont alertés et les appareils subissent des tirs anti-aériens. Un autre Lancaster essaie d'attaquer: sa bombe bondit sur l'eau et passe au-dessus du parapet; l'appareil est atteint par des tirs qui lui font perdre son aile gauche. Deux autres Lancaster essaient encore de crever le barrage, mais ils échouent. Un cinquième Lancaster lâche sa bombe exactement à la hauteur prévue, sous les tirs antiaériens allemands. La bombe Wallis bondit à quelques reprises pour ensuite frapper le parapet du barrage – elle coula à la profondeur prévue et explosa. Une heure plus tard, les Lancasters crèvent le barrage sur l'Eder. Au retour, ils sont attaqués par les chasseurs allemands. Sur le 19 bombardiers participants, 8 sont abattus – dont 6 par la chasse de nuit; 53 aviateurs expérimentés périrent et 3 furent capturés. Gibson fut décoré de la Croix de Victoria. Le raid sur les barrages ne donna pas les résultats escomptés. La production industrielle de la Ruhr ne fut pas affectée, car elle n'est ralentie que de quelques jours. Les seules personnes qui ont souffert du raid furent les prisonniers britanniques d'un camp d'internement situé à proximité de l'un des barrages. Pour que le raid ait eu l'effet désiré, il aurait fallu que tous les barrages aient été détruits. Pour Harris, ce raid à demi-réussi fut une bonne affaire, et pour deux raisons:

1- Il rehaussa le moral de la population et de la presse britannique par son effet-spectacle.

2- Il prouva que les bombardements de précision n'étaient pas au point = faut poursuivre les bombardements de zone par le tapissage des villes allemandes.

Devant l'échec du raid sur les barrages, Speer s’aperçoit que les Alliés étaient aussi incapables qu’Hitler pour évaluer la faiblesse de la machine de guerre allemande. Bien que la RAF avait étudié la possibilité de bombarders les centres énergétiques allemands depuis les années 30, le Bomber Command n’a pas entrepris aucun effort soutenu pour les détruire après ce-dit raid. Ce sera les villes d'Essen et de Wuppertal qui en feront les frais. A Essen, le complexe Gustav des usines Krupp fut ciblé par un raid de quadrimoteurs 472 Lancaster prirent part au raid leurs bombes à moins de 3 milles du point d'impact visé par le systèem Oboe. Le résultat fut décevant: la grande majorité des bombes ont tombé sur les quartiers ouvriers entourant les usines et seuls quelques établissements industriels furent détruits. On dénombra 2300 victimes et plus de 118,000 sans-abris. La production industrielle fut perturbée durant un mois.

Hambourg

Le bombardement de Hambourg fut la première opération concertée anglo-américaine à être menée contre une ville allemande. Nom de code: Ghomorre... Il n'y a que les Brits pour avoir l'esprit aussi tordu pour donner un nom pareil à un assaut massif contre une population civile. Hambourg est la deuxième plus grande ville d'Allemagne; elle est au cœur d'un vaste réseau de communications routier, aérien, ferroviaire et maritime. Elle abrite les principaux chantiers aéroportuaires allemands, dont ceux de la célèbre firme Blohm & Voss – qui a lancé le Bismarck, le Tirpitz, ainsi que de nombreux submersibles. Hambourg est un quartier-général régional pour la Kriegsmarine et la Luftwaffe. La ville avait déjà été attaquée 98 fois des airs depuis Septembre 1939, et elle possédait un imposant dispositif de défense anti-aérien chapeauté par 20 sites Himmelbelt reliés à la Ligne Kammhuber. Ces sites géraient plusieurs escadrilles de chasseurs de nuit bimoteurs. Cependant, la Luftwaffe avait jugé que les défenses Himmelbelt étaient insuffisantes, et avait accepté l'ajout d'escadrilles de chasseurs monomoteurs pour la chasse de nuit, dans le cadre de la tactique dite Truie sauvage. La ville était également entourée de gros générateurs d'écrans de fumée – tout comme à Brême – ainsi que d'une cinquantaine de batteries de Flak contrôlées par radar. our mener la mission sur Hambourg, le Bomber Command utilise pour la première fois le leurre Window dans une tentative de déjouer les radars allemands sans que les avions soient obligés de voler à trop basse altitude. Harris ne voulait pas essayer ce gadjet plus tôt; mais il avait tellement perdu d'avions qu'il était désormais disposé à tenter cette expérience – surtout qu'il était bousculé par Churchill qui lui dit: let us open the window. La mission aura un volet multiple: les Britanniques débuteront les raids de nuit; et ils se poursuivront de jour par l'USAAF, avant d'être relayée de nuit par le Bomber Command. Harris ne voulait pas donner de répit aux défenseurs allemands et maximaliser ses chances de dévaster la plus grande superficie possible de la ville. L'opération est appelée Gomohrre – en prévision de l'apocalypse anticipé.

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Un équipage de Lancaster se prépare à décoller – Le trajet des quadrimoteurs alliés vers Hambourg

La première vague d'avions britannique s'élança dans la soirée du 24 Juillet à 22H00. Elle comprenait 791 appareils, dont un certain nombre de bimoteurs Mosquito en éclaireurs afin de baliser la zone à bombarder. Cependant, les Allemands savaient déjà depuis la matinée qu'un grand raid se préparait contre Hambourg car ils avaient épié les signaux radio de la RAF. Après avoir décollé de plusieurs terrains, les bombardiers se groupaient au-dessus de la mer du Nord. Ce ne fut pas une navigation facile: 45 quadrimoteurs durent revenir à leurs bases à cause d'ennuis mécaniques. Une station radar Freya allemande près d'Ostende détecta les premiers bombardiers. L'Escadrille de Nuit No.3 allemande décolla pour les intercepter avec leurs Me-110. Au même moment où les avions allemands décollent, les radars allemands semblent mal fonctionner; en fait, il s'agissait des leurres Window qui avaient été larguées par les éclaireurs (pathfinders). Les paillettes brouillèrent complètement les signaux émis par les radars allemands, et il fut très difficile pour les contrôleurs au sol de suivre les bombardiers britanniques et de les intercepter. Ces paillettes représentaient l'équivalent de plus de 11,000 réflexions de bombardiers détectés… Les antennes radar actives Lichtenstein des Me-110 ne fonctionnèrent pas.

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Représentation de la surface frapper par les Britanniques – Une tempête de feu

Les Britanniques arrivèrent par le nord-ouest sans encombre - les paillettes Window avaient également perturbé l'appareillage de pointage radar des batteries anti-aériennes. Les Mosquito et Wellington balisèrent la zone de leurs grappes de fusées rouges et vertes à 0H57, pour ensuite illuminer l'intérieur de celle-ci avec d'autres gerbes de fusées éclairantes blanches, réglées pour éclater à des hauteurs différentes. L'attaque nocturne fut un succès complet car très peu de bombardiers ont été abattus par les chasseurs de nuit. Le radar air-sol H2S porté par les Lancaster fonctionna parfaitement: l'écho du sol est grossièrement reproduit sur les indicateurs de cible jaunatres de la console. Une fois la zone entièrement balisée et éclairée, le gros des bombardiers larguèrent leurs bombes à 1H05. Les bombes explosives Cookies ouvrent le bal meutrier, suivi par les grappes d'incendiaires. Lorsque certains pilotes s'aperçevaientt que les incendies font rage ça et là dans la ville, ils n'avaient qu'à "faire du feu là où il n'y en avait pas"... Comme le raid s'effectuait dans la canicule de Juillet, les incendies provoqués par le déversement de bombes incendiaires provoquèrent une tempête de feu. Au centre de la zone incandescente, la température a dépassé les 1000 degrés C, et s'attisait de lui-même par la dépression barométrique qu'il provoque, provoquant de grands vents qui arrachent les arbres. Une partie de Hambourg fut transformé en un gigantesque crématoire ou la population civile était calcinée comme dans un four. Les fuyards qui se jetaient par la rivière pour échapper aux flammes mourraient ébouillantés.

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Cette Allemande a vécu des moments terribles – Une famille se cherche...

Les autres quartiers visés n'étaient plus que des pans d'immeubles en flammes (ci-contre). Le succès du Bomber Command durant cette première nuit se confirma par le peu de pertes: 12 bombardiers abattus. Quant aux autres, 306 des 731 appareils de la mission ont réussi à larguer leurs bombes dans un cercle inférieur à 3 milles du point d'impact établi (voir carte ci-haut). Dans cette même journée, la 8th Air Force de Doolittle envoya 235 B-17 pour déverser un autre lot d'incendiaires sur Hambourg – ce qui épuisa les efforts des pompiers et secours allemands. Le 26, le Bomber Command remet ça dans la nuit avec 699 appareils; le jour, l'USAAF revient avec 210 appareils pour attiser les incendies.. .Le 27, le Bomber Command fit un autre gros raid: 787 appareils naviguèrent vers la ville par une route différente de celle du 24, afin de tromper la défense allemande; 325 bombardiers larguèrent leurs bombes à moins de 3 milles du point de visée. Une bonne partie de ces munitions consistait en des bombes de 250 et 500 livres dont l'effet brisant cassait les immeubles.

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Civils tués à Hambourg – Hambourg est détruite

La Luftwaffe trouva rapidement une parade aux leurres Window, grâce à l'aide de leurs scientifiques. De surcroit, elle utilisa la tactique de la Truie sauvage avec beaucoup d'efficacité. Dans la seule nuit du 27, 21 quadrimoteurs furent abbatus, de même que 10 Mosquitos. Les pilotes de Me-109G et de FW-190 étaient parmi les meilleurs encore en service actif. Les Britanniques essayèrent de simuler des raids de diversion pour disperser les chasseurs allemands, mais sans succès. Le 28, l'USAAF fit un autre raid de 200 quadrimoteurs qui provoqua une autre tempête de feu. En plus des pertes directement reliées aux incendies, les pompiers de Hambourg constatent que plusieurs milliers de civils ont été tués par la désydratation rapide couplée à l'axphysie - car le feu consume rapidement l'oxygène à la périphérie immédiate d'une surface incendiée. De surcroit, les bombardiers américains détruisent la grande usine Fieseler, ainsi que sa succursale de Bettenhausen qui construisait le chasseur-bombardier FW-190. Cependant, 22 bombardiers furent abattus contre 7 chasseurs allemands. Le 29, le Bomber Command y retourne encore avec 777 appareils. Mais cette fois, la chasse de nuit met le paquet et 32 quadrimoteurs sont abattus et une trentaine d'autres endommagés – certains s'écrasent au retour dans la mer du Nord. La Luftwaffe commençait à avoir le dessus sur les leurres Window. Le 2 Août, les Alliés firent leur dernier raid: 740 quadrimoteurs naviguent vers la ville dans une météo mauvaise. La chasse de nuit allemande en abat 30 autres.

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Fais du feu là où il n'y en a pas… – Après les raids

Harris a eu le triomphe qu'il voulait: 50% de la ville de Hambourg avait été dévasté. L'effort porté sur la production industrielle a été réussi puisqu'elle a été arrêtée pendant sept semaines: 580 usines ainsi que 2000 ateliers détruits. Ailleurs, les destructions sont imposantes: 40,000 immeubles, 277 écoles, 24 hôpitaux, 76 édifices publics et 12 ponts furent détruits/incendiés. Les pertes civiles se chiffraient à 43,000 personnes, ce qui équivaut grosso modo à 37% des pertes civiles qui mourront à Hiroshima en 1945. Pour Goebbels, les raids sur Hambourg furent "der catastrophe", une commotion qui secoua la population d'une manière durable. Mais il n'y a pas que Goebbels qui fut impressionné. Le régime nazi était extrêmement inquiets de la capacité appréhendée des Alliés à renouveler de tels raids à de courts intervalles.Le ministre des armements, Speer, confirme l'étendue des dommages à la fois sur l'effort industriel et le moral de la population (commentaire ci-bas). Le Bomber Command avait réussi pour la première fois à ébranler le leadership de l'Allemagne nazie. Le général Milch avoua que l’Allemagne n’était plus sur l’offensive mais sur la defensive. Sa mission nécessita 3000 sorties de bombardiers, et ces derniers déversèrent 9000 tonnes de bombes. Le prix à payer fut 91 appareils abattus et 174 endommagés. De surcroît, 552 aviateurs alliés ont été tués. Les Britanniques ont langué l'essentiel du tonnage meurtrier, soit 8344 tonnes de bombes. Les raids diurnes américains de l'USAAF ont été plus modestes avec 300 tonnes de bombes larguées.

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Speer: D'autres raids consécutifs nous auraient fait capituler – Des civils évacués et commotionnés

Selon l'historien britannique Keith Lowe, le bombardement de Hambourg est une illustration parfaite de la guere totale menée surtout contre une population civile, tout comme l'aurait antérieurement imaginé Douhet. Dans un livre récent, il affirme que la guerre ne peut se réduire à un affrontement de valeurs ; c’est autre chose qu’une fabrique partisane de héros et de martyrs. La dévastation de Hambourg racontée ici est une histoire de tâtonnements et d’approximations tout à fait humaines – qu’elles soient du fait du commandement comme des exécutants. C’est une valse faite de courage, d’abnégation, d’hésitations et de trouille. C’est une histoire tragique de survie, dans les airs, comme sur terre. En nous proposant autre chose qu’une lecture glorieuse ou anecdotique d’un fait de guerre.

Schweinfurt

Entretemps, l'USAAF n'arrivait pas à faire mieux que les Britanniques dans leurs efforts de bombardement. Eaker et Doolittle s'étaient gargarisés en déclarant à la presse que le rôle de la 8th Air Force était de "frapper la jugulaire" allemande en détruisant son industrie de guerre -notamment, les cinq usines de roulements à billes de Schweinfurt. Malgré la participation des quadrimoteurs américains aux raids sur Hambourg, l'USAAF n'avait pas abandonné l'idée de frapper un dur coup à l'industrie allemande. Cependant, le Bomber Command refusa d'emboiter le pas aux intentions américaines, car le prix à payer en avions et en équipages serait trop élevé. Les aviateurs américains étaient satisfaits des performances de leurs quadrimoteurs B-17 et B-24. Leur armement défensif leur avait permis de repousser plusieurs attaques de chasseurs allemands. Mais les raids entrepris jusque là par l'USAAF avaient été menés contre des objectifs relativement proches des côtes de la mer du Nord. Les raids en France, sur Brême, Wilhemshaven et Hambourg entretenaient l'illusion que les bombardiers américains pouvaient refouler la plupart des attaques défensives allemandes et accomplir leurs missions avec un taux de pertes dit raisonnable. Mais, pour la première fois, il serait question de bombarder des objectifs situés profondément en territoire allemand.

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Eisenhower examine les détails du plan visant Schweinfurt – La route aller-retour vers Schweinfurt

Le plan d'attaque sur Schweinfurt comprenait deux éléments: deux feintes et un bombardement principal. D'abord, un premier groupe de 147 quadrimoteurs ayant une dotation minimale de bombes et maximale en carburant ferait une attaque de diversion sur les usines Messerschmitt de Régensburg, et filerait ensuite vers l'Afrique du Nord. Un second groupe de 35 bimoteurs B-26, escorté de chasseurs-bombardiers, ferait un petit raid de diversion sur l'aérodrome allemand près d'Arras afin d'occuper la chasse allemande. Le troisième groupe de 376 quadrimoteurs ayant une dotation presque maximale de bombes profiterait de la diversion pour effectuer le raid principal sur les importantes usines de roulement à billes de Schweinfurt. Eaker et Doolittle espéraient que le premier raid ferait sortir la chasse allemande le plus longtemps possible pour harceler les assaillants, ce qui permettrait à la force principale d'arriver sur leurs objectifs au moment où les pilotes de la Luftwaffe se poseraient pour refaire le plein. Cette force aurait alors les Allemands sur leurs talons – après qu'elle aura déversé ses bombes. L'exécution du raid était prévu pour le 17 Août. Le 4ème Groupe de bombardiers serait chargé des efforts de diversion. L'effort principal serait fait par le 2ème Groupe de bombardiers.

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Le bombardier quadrimoteur B-17 – Le tableau de bord du cockpit

Quatre types de bombardiers ont été utilisés par l'USAAF durant les bombardements stratégiques en Europe. Mais aucun d'entre eux ne s'est gagné une notoriété aussi importante que le quadrimoteur Boeing B-17. Le plafond maximal de cet appareil était de 35,000 pieds. Cependant, l'altitude de croisière était de 22,000 pieds; quoique plusieurs missions ont été menées à des altitudes plus basses, ce qui faisait rager les aviateurs. Le handicap majeur de ce bombardier était son absence de chauffage, et les engelures furent les principales causes de blessures au combat: les aviateurs américains gelaient dans ces carlingues. Malgré qu'il soit lent, les équipages qui revenaient de mission vénéraient la résistance de l'appareil, lorsque celui-ci était percé durant les combats. Plusieurs équipages allaient même jusqu'à leur donner des noms de femme (Lulu Belle, My Zita, Memphis Belle, etc). La personnalisation de la décoration d'un B-17 était même permise, surtout pour maintenir le moral des équipages: on parlait alors de "nose art", et elle fut pratiquée sur de nombreux types d'appareils américains, dont les Boeing B-17 (ci-haut). Comme tous les quadrimoteurs alliés de la guerre, le B-17 restait un avion étroit à l'intérieur duquel il n'était pas facile de se déplacer. La division du travail à bord d'un B-17 ressemble à celle des autres appareils de même gabarit, comme le Lancaster britannique: Le pilote = celui qui manoeuvre l'appareil, qui prend les décisions à bord et qui gère tout car il est le seul, selon lui, à posséder le right stuff. Tous les équipiers lui acheminent l'information pour fins d'approbation. Lors d'une sortie, il doit maintenir son appareil à l'altitude prescite par le responsable du raid de bombardement. Le pilote est assis sur le côté gauche du cockpit. Le co-pilote = est le navigateur qui a pour fonction d'aider le pilote à manoeuver son appareil tout en étant en charge de certaines commandes de vol. Comme il a lui-aussi une formation de pilote, il peut au besoin remplacer un pilote blessé ou tué et ramener l'appareil à sa base. Le navigateur a aussi la fonction de tenir le journal de bord, tout en manipulant les deux mitrailleuses frontales.

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Un passage étroit, le Catwalk, traverse la soute à bombes – L'équipement radio d'un B-17

L'ingénieur = l'équipier qui fait les réparations à bord. Il manie également la tourelle dorsale du bombardier, munie de ses deux mitrailleuses Browning M2 air-cooled de calibre .50. L'opérateur radio = l'équipier chargé d'utiliser la radio de bord. Il peut, au besoin, servir de mitrailleur. Deux équipiers manoeuvrent les mitrailleuses Browning M2 latérales et un autre est enfermé dans une tourelle ventrale à roulements à billes appelée la "morgue" peu populaire auprès des aviateurs car elle était la plus exposée aux attaques des chasseurs ennemis qui préféraient approcher par-dessous. Finalement, le mitrailleur de queue, qui devait rester à plat-ventre durant toute la durée du vol – qui pouvait parfois durer plus de sept heures. Il était, après le mitrailleur ventral, l'équipier le plus vulnérable aux tirs des avions allemands.

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La morgue: une tourelle peu prisée des équipiers – Le "tail gunner" d'un B-17

La 8ème USAAF naviguait un formations serrées comprenant plusieurs "carrés de combat" (combat boxes). Trois appareils formaient un premier triangle - un appareil de tête et deux légèrement en survol sur son arrière; trois groupes de triangle - un de tête et deux légèrement en survol sur son arrière – formaient une "aile"; trois ailes formaient une "combat box" (ci-haut) qui devait voler en formation serrée. L'avantage de la formation serrée, tel que perçu par l'USAAF permettait à la fois de la protéger par un rideau de feu venant des tirs de mitrailleuses. Le B-17 pouvait porter jusqu'à 12 mitrailleuses – d'où son surnom de "Forteresse volante". L'autre avantage était celui de pouvoir larguer des grappes de bombes en paquets serrés, et espérer ainsi détruire plus efficacement la cible visée. Lorsqu'il veut bombarder, il doit s'efforcer de ralentir son appareil à 110 mph afin de permettre au navigateur-bombardier d'utiliser son viseur. Les équipages de quadrimoteurs américains étaient dirigés en vol par un commandant de mission, dont la fonction était de préserver l'intégrité de la formation serrée et de la faire naviguer au-dessus de l'objectif. Ce commandant était dans l'avion qui faisait partie du triangle de tête. Le navigateur-bombardier de l'appareil de tête avait une énorme responsabilité: déterminer le lieu de larguage des bombes de toute la formation. A son signal, il déversait son stock de bombes, geste aussitôt imité par les autres bombardiers. Une fois délestés, les quadrimoteurs devaient retourner le plus rapidement possible à leurs bases en Angleterre – personne ne se faisait prier pour rester au-dessus de la zone de combat une fois les bombes larguées.

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Une illustration d'une "combat box" américaine – Opérateurs d'un radar Wurzburg

Les Allemands avaient eu tout le temps de fortifier les deux complexes industriels visés par des ceintures de canons anti-aériens guidés par radar. Qui plus est, la région située entre Schweinfurt et Régensburg disposait de quatre bases aériennes de chasseurs dotés d'un contrôle radar au sol. ainsi que de plusieurs escadrilles expérimentées - certaines d'entre elles ayant été transférées de Russie pour défendre le ciel allemand. Chaque batterie moyenne de flak allemande était composé de huit pièces de 88mm et deux de 105mm orientées par radar et télémètre. D'autres batteries étaient munies d'affuts quadruples Oerlikon de 20mm ou de canons semi-automatique de 37mm. En Juillet 1943, le responsable allemand des chasseurs de la Luftwaffe était le major-général Galland, un as de la bataille d'Angleterre. Il avait reçu plusieurs suggestions de la part de ses subordonnés sur comment détruire les formations de bombardiers alliés. L'une d'entre elles lui fut présentée par le major Von Kornatzki: son escadrille se portait volontaire pour éperonner les avions alliés. Galland n'était pas d'accord car il ne croyait pas car ses chasseurs auraient, vraisemblamement, à affornter l'écran de chasseurs d'escorte avant de frapper les bombardiers. Galland voulait que ses pilotes abattent des avions et survivent afin d'en abattre d'autres ultérieurement. Néanmoins Kornatzki réussit à convaincre Galland de former une escadrille dite de choc utilisant une version lourdement armée du FW-190 et qui, en dernier recours, pourrait éperonner l'ennemi. L'autre avantage du FW-190 était ses canons-mitrailleurs et paniers de roquettes air-air qui leur permettaient de faire feu contre les quadrimoteurs sans trop s'approcher pour être gênés par les tirs des Browning américaines.

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Le major Kornatzki a du succès contre les B-17 – Interceptions de B-17 par la Luwfwaffe

Galland ordonna à ses escadrilles de pratiquer les mêmes tactiques d'interception que celles des Me-110 et Ju-88G contre les bombardiers britanniques durant les attaques de nuit: obliger les avions à se disperser et les abattre individuellement. Tout devait être entrepris pour disperser les formations serrées d'avions américains, en attaquant par le haut et par le bas. Galland insista toujours sur le point suivant: tout faire pour abattre l'avion de tête, car c'est lui qui porte le viseur Norden et qui donne le signal aux autres de larguer leurs bombes. La mission américaine débute le 17 Août, par le décollage des deux premières vagues chargées de faire des attaques de diversion. Une escadrille de nouveaux chasseurs-bombardiers P-47 munis d'un réservoir auxiliaire larguble frappe l'aérodrome d'Arras et détruit plusieurs chasseurs FW-190 au sol, de même que certains autres au décollage (peinture ci-contre). De surcroit, 39 autres chasseurs allemands sont dispersés. Mais une mission de combat ne se déroule jamais comme prévu – c'est-à-dire selon le plan pré-établi; car, il y a toujours des facteurs impondérables qui gênent les attaquants et les obligent à faire de leur mieux avec leurs moyens dans la conjoncture qui leur est imposée. La deuxième formation de diversion vole en rase-mottes pour économiser l'essence, mais elle est gênée par le mauvais temps brumeux qui sévit sur l'Europe du Nord-Ouest. Elle ne pouvait pas être escortée par les P-47 en Allemagne. Néanmoins, elle réussit à larguer ses bombes au-dessus de l'usine Messerschmitt de Régensburg à midi. Tel qu'anticipé par les planificateurs de la mission, la Luftwaffe intercepte les 147 quadrimoteurs et en abat 27. Les autres larguent leurs bombes sur leurs cibles et fuient vers l'Afrique du Nord. So far so good

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Une formation de B-17 – Une partie du comité d'acceuil – Adolf Galland

Cependant, le temps brumeux avait retardé le décollage du gros de la force de bombardement allouée pour Schweinfurt. Ce délai permet aux chasseurs allemands qui avaient intercepté le premier raid de se poser sur leurs terrains pour se réarmer et refaire le plein. Lorsque les Américains s'approcheront de Schweinfurt, la Luftwaffe sera prête pour l'intercepter avec toutes ses forces. Les radars allemands suivent encore une fois avec incrédulité le trajet de ces 376 bombardiers américains naviguant en formation serrée vers le cœur de l'Allemagne. Des chasseurs FW-190 interceptent et abattent trois d'entre eux au-dessus du Luxembourg (voir carte), et neuf autres avant d'arriver sur l'objectif. Les pilotes et mitrailleurs américains sont nerveux: déjà il y a des pertes avant même que l'objectif principal ne soit atteint. Le 379ème Groupe de bombardement du colonel Preston se fait attaquer tout azimut par les chasseurs allemands. La compétence et la détermination des pilotes de la Luftwaffe étonne les aviateurs américains. Les formations serrées triangulaires américaines sont tour à tour dispersées et livrées aux canons-mitrailleurs ennemis. Les tirs nourris des mitrailleuses américaines n'eurent pas l'effet escompté: ils endommagèrent même plusieurs de leurs propres bombardiers. Au nord-est de Schweinfurt, les chasseurs allemands arrivent de tous les angles – des FW-190, Me-109, et même des bimoteurs Me-110 – et ce fut la curée: 48 bombardiers furent abattus contre 7 FW-190. Trois quadrimoteurs furent éperonnés - deux pilotes allemands survécurent. La chasse avait égrainé le dispositif offensif des Américains. Lorsque les autres bombardiers arrivent au-dessus des usines, ils sont cannonés par les batteries de Flak guidées au radar: 8 autres appareils furent abattus et une trentaine d'autres endommagés.Le moral des pilotes allemands fut ragaillardi par leurs succès, et au retour, ils échangent les trucs qu'ils ont appliqué pour abattre les bombardiers (ci-contre à droite). Les appareils endommagés devaient se délester de leurs bombes pour s'alléger et rentrer à leurs bases – souvent sur deux moteurs (clip ci-bas). De tous les appareils américains ayant participé aux raids sur Schweinfurt, 19% atteignent leurs cibles; les autres ont été soit abbatus ou dispersés. Les attaques en basse altitude des B-26 Marauder sur les batteries de Flak n'ont pas été couronnées de succès: 3 appareils furent perdus par des tirs anti-aériens.

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Les usines de Schweinfurt sont atteintes – Allégeons l'avions pour revenir au bercail...

N'empêche, les dommages aux usines Schweinfurt sont importants, car la production de roulements à billes a été perturbée pendant de nombreuses semaines. Cependant, ce complexe industriel fut remis en état de fonctionner, mais son taux mensuel de production a été réduit de 30%. Un second raid sera tenté en Octobre, mais il connaitra un échec aussi cuisant: 60 quadrimoteurs et bimoteurs américains seront abattus et une centaine lourdement endommagés. Les escadrilles allemandes n'ont aucune difficulté, là encore, à disperser les formations de B-17 et et les abattre (ci-bas à droite). Les pilotes allemands qui font leur boulot sous le feu des mitrailleuses américaines ne sont pas des "monstres" mais des héros aux yeux de leurs concitoyens éprouvés par les bombardements. Leur réputation est vénérée en Allemagne au même titre que celle des pilotes de chasse britanniques durant la bataille d'Angleterre. De nombreux aviateurs américains doivent leur vie à la solidité du fuselage du B-17; car bon nombre de ces appareils ont pu revenir se poser en Angleterre malgré des dégâts importants (image ci-bas). Le général Galland qualifia la mission américaine de désastre important pour l'ennemi. Il avait raison, car la capacité opérationnelle de la 8th Air Force fut très affaiblie – beaucoup de pilotes devinrent amers et ne pensèrent qu'à compléter leurs 25 missions et de "rentrer chez eux". Qui plus est, les Allemands purent s'approvisionner en lingots métalliques via la Suède et la Suisse, grâce aux efforts du ministre Speer et de ses principaux subordonnés. Speer entreprit de décentraliser la production de guerre allemande pour la rendre moins vulnérable aux tapissages alliés. Les raids sur Schweinfurt ont eu un impact désapprobateur dans la presse américaine. L'opinion publique fut choquée par le taux de pertes sans grand résultat apparent. Mais Eaker et Doolittle demeuraient déterminés à poursuivre leurs opérations de bombardements diurnes, malgré les succès de la défense aérienne allemande – ci-contre à gauche, un tir anti-aérien fait perdre un moteur à ce B-26.

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Ce B-17 frappé de plein fouet a regagné sa base et a atterri – Les défenseurs allemands font leur boulot

Eaker comprend alors que le seul moyen de réussir à faire un bombardement diurne réussi en Allemagne était de protéger ses bombardiers par des chasseurs. Cependant, il n'y avait pas aucun appareil en nombre suffisant capable de faire ce travail – les bimoteurs P-38 Lightning étaient déployés soit dans le Pacifique ou en Méditérannée. Quant aux très résistants chasseurs-bombardiers P-47, ils n'avaient pas encore l'autonomie requise pour escorter les bombardiers au-delà du Luxembourg. Durant l'été 1943, l'USAAF fera quatre autres grands raids diurnes sur Marienburg, Dantzig, et Munster. Ils causeront des dégâts limités et les pertes seront encore plus importantes: 80 bimoteurs et quadrimoteurs. En revanche, les mitrailleurs américains réussissent à abattre 71 appareils allemands et en écorcher une vingtainne d'autres. Si les Alliés avaient ré-attaqués Schweinfurt de nouveau, ils auraient pu détruire complètement ce complexe industriel. Mais Schwweinfurt ne sera pas bombardée avant 1944. L'USAAF était groggy. Quant au Bomber Command de Harris, il ne voulait rien savoir des opérations diurnes menées par les Américains. Harris affirma que les bombardements "de précision" américains n'étaient pas autre chose qu'une "panacea-mongering" – de la bravade.

Peenenmude

Malgré ses pertes, l'USAAF oriente ses efforts de bombardement de précision en ciblant l'aéronautique allemande, surtout les usines fabriquant les moteurs d'avion. Eaker et Doolittle sont dans une conjoncture défavorable. PeenemundeLeurs bombardiers étaient engagés dans une bataille d'usure avec la Luftwaffe: il leur fallait détruire la production aéronautique avant que la chasse allemande détruise les dernières escadrilles opérationelles américaines. Il faut briser la terreur par la terreur, disait Hitler en Juillet 1943. Le furhrer ne parlait pas d'utiliser les bombardiers contre ses ennemis, mais des armes dites "de terreur" ou de "vengeance" contre une alliance déterminée à raser les villes allemandes. Ces armes de vengeance étaient testées dans un complexe industriel et scientifique aménagé sur la côte balte à Peenemunde. Il était dirigé par le général allemand Dornberger, reponsable du développement des fusées d'artillerie de l'armée allemande. Les services secrets alliés connaissaient la nature des travaux entrepris dans ce complexe depuis Janvier 1943. Churchill écrit dans ses mémoires qu'Hitler avait glosé sur l'efficacité hypothétique de certaines des armes qui y étaient étudiées: à la fin de 1943, Londres sera détruite et l'Angleterre forcée de capituler. Churchill jugea la remarque comme absurde. Cependant, lorsque le groupe propulseur d'une fusée balistique appelée A4 fut mis au point, Hitler ordonna sa production en 30,000 exemplaires. Le ministre Speer disait que cela serait un effort douteux; car, chaque fusée prendrait autant d'heures de travail à assembler que six chasseurs – alors qu'Hitler, dans son ridicule, exigeait que la production de chasseurs passe à 180,000 exemplaires par mois…Néanmoins, Hitler s'accroche à sa chimère et ordonne le transfert de 1500 ingénieurs et techniciens au complexe de Peenemunde – ce qui ralentit la production d'avions de chasse.

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La fusée balistique A4 – La fusée V1 sur son traîneau

Parmi les ingénieurs allemands travaillant à Peenemunde, il y avait Verner Von Braun, rapidement promu directeur scientifique de la recherche sur les fusées depuis 1937. Malgré les progrès importants accomplis depuis 1940 dans la mise au point de prototypes de turbines et de fusées, ceux-ci furent ralentis par l'interférence constante d'Hitler – ce qui rendit service à l'effort de guerre allié. Cependant, lorsque la menace d'une attaque par fusées devint de plus en plus crédible, Churchill confia à son beau-fils, Duncan Hill, la tâche de receuillir tous les renseignements relatifs à cette base. Les nombreux tirs d'essais – ratés ou non – rapportés par les renseignements alliés convainquirent Duncan qu'un raid contre Peenemunde devait être mené dans les meilleurs délais. En plus des roquettes Nebelwerfer produites pour l'artillerie allemande, Peenemunde testait deux prototypes de fusées:

1- Le V1 – qui est l'ancêtre du missile de croisière d'aujourd'hui

2- Le V2 – qui est l'ancêtre du missile balistique d'aujourd'hui

Ces deux engins avaient une portée inférieure à 400 milles, mais ils pouvaient être lancés sur Londres et sur le sud de l'Angleterre lorsque basés sur la côte française ou hollandaise. Le raid est lancé dans la nuit du 16-17 Août 1943 par 597 quadrimoteurs balisés par des éclaireurs en Mosquito. Le Bomber Command ordonna à ses pilotes de larguer leurs stocks de bombes à une altitude de 8000 pieds afin de maximaliser les destructions. Un petit bombardement sur Berlin avait été mené pour faire diversion, et il réussit à détourner la plupart des chasseurs de nuit allemands – ce qui permit au raid de réussir. Les Britanniques larguèrent 1500 tonnes de bombes sur Peenemunde.

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Une aire de lancement: avant et après le bombardement – Walter Thiel à Peenemunde

Les dégâts furent très importants. De nombreux bâtiments industriels sont détruits, et 800 personnes trouvèrent la mort; entre autres, le docteur Walter Thiel, principal concepteur du groupe propulseur de la fusée V-2. Cependant, 40 bombardiers sont abattus durant leur retour par la chasse de nuit. Ce raid aura pour effet de retarder d'un an non pas la conception mais l'entrée en service opérationel des fusées V-1 et V-2. Les premières attaques de V-1 débuteront en Juin 1944, quelques jours après le débarquement de Normandie. Les attaques de V-2 débuteront en Septembre de la même année. Qui plus est, la production de fusées allemande sera décentralisée pour éviter qu'elle soit de nouveau exposée aux bombardements alliés. L'assemblage se fera désormais dans plusieurs sites séparés, dont celui situé dans les montagnes du Hartz, près du camp de concentration de Nordhausen.

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Une Luftwaffe essoufflée

Durant l’été 1943, il n’y avait pas plus de 350 chasseurs en était de voler pour defender le ciel allemand. Ils étaient répartis dans six geschwaders de 5 escadrilles chacune. Dans une belle nuit d’été, ils ne pouvaient faire que 250 sorties par jour/nuit.A partir de l’automne, la Luftwaffe perd près de 1000 avions par mois. Lorsque la 8th Air Force fut aidée par la 15th Air Force, la pression sur la Luftwaffe devint intolerable: il aurait fallu 500 sorties pour contrer les quadrimoteurs allies, au lieu des 300. Alors que l’Allemagne commence à montrer des signes d’essouflement, notamment dans son approvisionnement en carburant, Speer fut stupéfait du caractère épisodique et inconsistent de l’offensive aérienne alliée; car, il dit que la clé du succès aérien allié repose sur des raids massifs répétés à de brèves intervalles. Il rassure ses subordonnés en leur disant que les Américains ne perséveront que pendant quelques semaines avant de changer leurs tactiques: les généraux américains sont nos meilleurs allies. Il a raison, car après les raids à venir sur Berlin, les Alliés ne lanceront pas d’autre offensive aérienne avant six mois. La Luftwaffe avait le désavantage d'être commandée par un synchopante indolent qui prenait plus de plaisir à savourer les avantages du pouvoir et de la richesse que de commander la branche la plus moderne des forces armées allemandes. Le patron de la Luftwaffe, le reichmarshall Goering, affiche un pessimisme de plus en plus contagieux dans les rangs de la hiérarchie nazie. Il perdit de sa prééminence à partir du printemps 1941. Il n'a jamais été enthousiaste à l'idée de faire la guerre à l'URSS et fut pour un temps considéré comme un des artisans de l'échec allemand à Stalingrad. Lorsque les bombardements stratégiques alliés commencèrent, Goering s'isola de toutes les réalités qui lui apparaissaient déplaisantes. Quand il apprit la nouvelle du raid sur Cologne en Mai 1942, il refusa d'y croire et jeta au panier tous les rapports qui lui étaient présentés. Dans sa demeure cossue à Veldenstein, Goering repoussa tous les rapports présentés par ses principaux subordonnés: Milch, Moelders, Galland et Kammhuber – désireux d'accoitre la production de chasseurs et la formation d'escadrilles opérant en Allemagne. Tout le poids de la responsabilité opérationnelle de la Luftwaffe reposait dès lors sur le chef d'État-major de Goering, le général Jeschonnek. Mais ce dernier se suicida, incapable de supporter la pression reliée à son job. Malgré les attaques répétées sur l'industrie aéronautique allemande, Hitler et Goering limogèrent le général Kammhuber lorsque ce dernier présenta un plan pour la constitution d'une nouvelle grille de radars défensifs.

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Dégâts importants sur l'usine Focke Wulf de Marienburg – Goering avec Galland et Speer

Il est presque ironique que les chasseurs de nuit de la Luftwaffe aient presque été amenés à la défaite tactique devant les missions du Bomber Command, alors que les chasseurs opérant de jour achevaient pratiquement de vaincre la 8th Air Force au-dessus de Berlin.

Berlin

Le vice-maréchal de l'Air Harris reçoit l'ordre de mener des raids sur Berlin. Il est enchanté par cette mission; Harris a la conviction qu'il peut raser la capitale du Reich en un mois, avec l'aide de l'USAAF. Mais les groupes de bombardiers américains avaient subi des pertes importantes durant tout l'été 1943, et ils n'étaient pas assez remis de leurs blessures pour accompagner les Britanniques à Berlin. Le Bomber Command sera obligé d'y aller seul. L'effort ordonné ne durera pas quatre semaines, mais quatre mois. Dès que les aviateurs britanniques apprirent qu'ils allaient bombarder Berlin, ce fut un éclatement de joie: tous avaient hâte d'allumer un feu dans le ventre de l'ennemi (ci-contre). Le Bomber Command débute ses raids dans la nuit du 3 au 4 Septembre: 306 Lancesters balisés par 4 Mosquitos approchèrent Berlin par le nord-est. C'était un trajet encore plus long et périlleux que celui des Américains sur Schweinfurt. Les formations de bombardiers britanniques furent traquées et interceptées à plusieurs reprises par la chasse allemande guidée au radar. Un quartier industriel et deux quartiers résidentiels sont frappés. Pour la première fois, la capitale fut privée d'électricité à cause de bris dans les centrales. Berlin perd également ses brasseries.., dur coup pour le moral de la population: 442 personnes périrent – la moitié étant des civils – durant ce premier raid. Cependant, 22 Lancaster et un Mosquito furent abattus. Les avantages tactiques britanniques qui ont prévalu lors des raids sur Hambourg ne servent plus à rien; la défense aérienne est prête, bien rodée, et les artilleurs anti-aériens (jeunes et vieux) très motivés à faire le coup de feu.

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Bande d'actualité britannique commentant le raid sur Berlin – Un quartier berlinois dévasté

Les raids britanniques se poursuivent. Berlin, ainsi que d'autres villes comme Mannheim et Hagen, sont sérieusement endommagées. Mais les pertes britanniques augmentent elles-aussi, surtout causées par les tirs anti-aériens des canons de Flak. Mais le plus grand inconvénient qui a gêné les aviateurs britanniques était la météo maussade de l'automne: les brouillards pluvieux réduisaient la visibilité ainsi que les efforts de visée. Les Britanniques essaient d'utiliser un nouveau gadget contre les radars de vol allemands des Me-110 et Ju-88G, le Serrate. Cependant, peu de Mosquitos en furent équipés, et le gadjet ne contribua pas à faire réduire les pertes de Lancasters. Malgré les dévastations, la plupart des édifices publics et quartiers-généraux allemands de Berlin étaient intacts et leurs occupants vaguaient à leurs occupations. Le système de transport fut partiellement endommagé et le nombre de morts et blessés continuaient à croitre. Cependant, le moral de la population ne fut pas atteint. Les civils marchaient, silencieux, dans les rues comme des automates et continuaient à travailler. Nombreux furent ceux qui ont même été ragaillardis dans leurs efforts de continuer à résister – ce fait sera attesté deux ans plus tard par l'étude entreprise par le U.S Bombing Survey sur les effets des bombardements stratégiques durant la guerre. Certains dignitaires nazis firent même l'effort d'aller se montrer en public – comme Goebbels – afin d'essayer de soutenir le moral de la population. Tout comme durant la bataille d'Angleterre, la population civile allemande s'est montrée moins outragée que ses dirigeants devant les bombardements; elle parvenait à "tenir le coup", même lorsqu'elle vivait des moments forts déplaisants. Tout comme dans Londres bombardée, les Berlinois se terraient dans les caves et autres abris de fortune, ainsi que dans le métro. Des secours ont été organisés, et tous les efforts sont entrepris pour garder les bars et les cinémas ouvert - pour maintenir un semblant de normalité dans la capitale.

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Démineurs allemands receuillant une bombe non-explosée – Goebbels constate les dégâts du raid aérien

À la fin de Décembre 1943, Harris n'avait pas réussi à détruire Berlin. Les dégâts causés sont très importants, certes, mais le Bomber Command n'a pas réussi à la fois à faire plier le régime nazi, à paralyser son industrie de guerre, et à pousser la population à exiger la paix. Harris n'était plus en mesure de refaire de tels raids, car il avait perdu 1087 Lancasters, soit la fine fleur de ses équipages de bombardiers. De surcroit, 416 appareils étaient revenus en Angleterre dans un piteux état, et ils devaient être réparés. Les défenses anti-aériennes étaient trop denses et la chasse de nuit trop compétente pour que le Bomber Command réussise de nouveau à percer le rideau anti-aérien allemand. Cependant, bien qu'épuisé, Harris ne s'avouait pas vaincu, même si la presse britannique lui recommende de se modérer (citation ci-contre).

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L'effet des bombardements stratégiques

La validité militaire des bombardements stratégiques restait toujours à prouver. Les usines allemandes – de plus en plus décentralisées et cachées sous terre – continuaient toujours d'approvisionner les forces armées qui combattaient en URSS et en Italie. Le moral de la population ne fut pas trop atteint – pas assez pour contester la légitimité du régime nazi. Ils ont, sans doute, encouragé un certain courant de desillusion et de conspiration au sein de la Wehrmarcht; mais, il n'était pas suffisamment organisé pour nuire aux nazis. La véritable contribution des bombardements stratégiques fut non pas de ruiner l'Allemagne, mais d'obliger la Luftwaffe à retirer de nombreuses escadrille de chasse des fronts russes et méditéranéens pour les transférer en Allemagne – privant ainsi de nombreuses unités d'une couverture aérienne indispensable à la bonne marche de leurs opérations défensives.

Le taux de retrait des chasseurs allemands de Russie et d'Italie

L'autre conséquence de ces bombardements sur l'Allemagne a été de forcer la mobilisation de nouvelles troupes pour augmenter la défense anti-aérienne sur le sol allemand . Près d'un demi-million d'hommes – et de femmes – furent conscrits pour servir sous les drapeaux. En fait, selon le ministre allemand des armements, Speer, le deuxième front européen existait déjà, soit au-dessus de l'Allemagne" Pour les Anglo-Américains, les bombardements ont prouvé leur capacité à ralentir la production de guerre mais constatent amèrement qu'ils ne peuvent pas èa eux-seuls forcer leur ennemi à capituler. Les bombardements cessent d'être une panacée destinée à remplacer une action militaire terrestre. ll faudra une implication accrue des forces terrestres pour ouvrir un véritable front sur le sol européen.

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