La bataille d'Angleterre

Il y a des moments dans la vie d'un peuple ou il doit compter que sur ses propres moyens pour gagner une victoire cruciale pour son existence. C'était le cas de l'Angleterre durant l'été 1940. Les États-unis n'interviendront pas, ce qui signifie qu'elle sera toute seule devant Hitler. Tout comme à l'époque d'Élizabeth 1ère ou Bonaparte, le seul moyen que l'Angleterre dispose pour se protéger d'une invasion continentale repose sur la défense de la Mer du Nord et de la Manche. Lorsque Hitler envisage d'attaquer l'Angleterre en 1940, il sait qu'il est beaucoup plus faible militairement que ne l'était Napoléon 134 en 1805. Les pertes navales subies par la Kriegsmarine durant la campagne de Norvège ne lui laissaient pas des moyens suffisants pour assurer le transport et l'escorte d'une force d'invasion. La flotte allemande était réduite à un cuirassé de poche, 4 croiseurs et une douzainne de destroyers, nonobstant les submersibles. Elle ne pouvait même pas rêver croiser le fer avec la Royal Navy, dont la flotte, basée à Scapa Flow et au Firth of Forth, posait un obstacle apparamment insurmontalbe à un envahisseur. Cependant, force de la Royal Navy était contrebalancée par la supériorité aérienne de la Luftwaffe. S'ajoutait à cela le danger représenté par les vedettes rapides lance-torpilles allemandes. Cette menace frigorifia les amiraux britanniques qui considéraient la Mer du Nord et la Manche comme une zone trop dangereuse pour déployer la flotte, surtout à la lumière de l'expérience de Dunquerke.

_________

La posture britannique

Les stratèges allemands se demandaient si une défaite de la RAF permettrait à la Wehrmarcht de réussir un débarquement – comme l'envisageait une directive l'OKH émise le 27 Juillet 1940. Lors de l'Armistice français, l'armée britannique avait 26 divisions, dont une douzainne sont d'organisation récente et n'étaient pas entrainées. Les 13 divisions revenues de Dunkkerque avaient perdues presque toute leur artillerie et leurs armes antichars. Sur les 600 chars de la BEF envoyés en France, 25 furent ré-embarqués. Autour de Breighton, la 3ème Division de Montgomery avait 30 milles de plage à surveiller. Le général Brooke affirmait que l'armée de terre avait mis trop de temps – une fois le pays en guerre – à se secouer dans une posture de guerre. Ce n'était pas une exagération puisque des têtes commençaient déjà à rouler depuis la fin de l'affaire de Dunkerque: le général Ironside avait été limogé le 19 Juillet avec le grade de maréchal – une promotion de complaisance qui le fit tabletter à la Chambre des Lords. Son successeur, Dill, avait devant lui la tâche gigantesque de rebâtir cette armée sauvée mais vaincue. Dill et Brooke avaient des responsabilités trop imposantes pour les moyens disponibles; en bon Britanniques honorables, ils étaient parfaitement effrayés. On peut lire dans le carnet de Brooke le passage suivant: si les Allemands avaient tenté une invasion en Juillet, il n'y avait aucune commandement inter-service qui aurait pu coordonner l'armée, la marine et l'aviation pour défendre le pays. La structure militaire britannique faisait aussi en sorte que Brooke ne pouvait pas donner des ordres aux trois armes. Devant l'imminence d'une invasion, des mesures ponctuelles furent prises:

  1. Produire en vitesse des armes légères et des chars
  2. Accroitre l'achat d'armes et de munitions aux USA sous leur programme "Cash & Carry".
  3. Centrer la production d'avion uniquement sur les chasseurs Hurricane et Spitfire.
  4. Improviser rapidement des défenses côtières.

Le 17 Septembre 1940, Brooke aurait à sa disposition 29 divisions dotées aux 3/4 et 8 brigades indépendantes dont 6 blindées. Ces forces incluraient les 1ère et 2ème Divisions canadiennes. Sa petite armée affronterait une force d'invasion dans une infériorité de un contre cinq, et son déploiement laissait à désirer.

L'Opération Seelowe

Durant l'hiver de 1939-40, l'amiral Raeder ne voulait pas être pris de court par une requête d'Hitler pour un plan de guerre contre l'Angleterre. Il avait ordonné une étude de la part de son État-major pour savoir à quels problèmes il serait confronté s'il avait à transporter une armée d'invasion. Le 21 Mai 1940, Raeder fit part de son plan à Hitler, mais ce dernier était trop absorbé par la campagne de France pour s'en préoccuper. Le 20 Juin, Raeder n'avait pas encore reçu de réponse de la part d'Hitler. L'indifférence de ce dernier s'expliquait par son incertitude quant à son but de guerre après la victoire sur la France. Du 25 Juin au 5 Juillet, Hitler resta dans son train personnel dans la Forêt Noire, réfléchissant sur l'opportunité et la pertinence de s'en prendre à l'Empire britannique. Envahirait-il l'Angleterre? Est-ce que Churchill ferait un accomodement avec Hitler? Finalement, ce fut le 16 Juillet qu'Hitler signa sa Directive No.16 appelée Seelowe (Opération Lion de Mer) pour une invasion de l'Angleterre. L'examen du document révèle dans son préambule que même à cette date, Hitler ne considérait pas l'invasion comme inévitable, mais devant le silence du gouvernement britannique, il opta pour la préparation d'une vaste opération amphibie afin d'éliminer toute possibilité que l'Angleterre serve de tremplin futur pour une opération massive contre l'Europe allemande. L'Angleterre pourrait même être occupée complètement "si nécessaire".

_

Hitler et sa nouvelle brochette de maréchaux Le plan d'invasion allemand

Les Britanniques se demandaient where's the German army? En fait, Hitler revint en Allemagne pour être acceuilli triomphalement par la population. Berlin connut son plus gros mouvement de foule et sa plus grande parade militaire depuis 1871. Pour la première fois depuis cette date, l'armée fut autorisée à passer sous la Porte de Brandebourg. Les gens étaient en liesse pour louanger le furhrer et ses nouveaux maréchaux: Keitel, Rundstedt, Bock, List, Kluge, Brauchitsch, Wlitzleben et Reichenau. Hitler créea un grade spécial de "Reichmarshall" pour Goering, lui permettant ainsi de dominer tous ces nouveaux maréchaux. Le choix des récipiendaires variant de professionnels reconnus jusqu'aux fidèles du régime. Mais Hitler demeurait le seul propriétaire de tous leurs titres.. La bonne humeur régnait et tout le monde espérait une paix générale. Les préparatifs de démobilisation commençaient et les généraux avaient reçu une liste des divisions qui devaient rentrer en Allemagne pour y être démobilisées. Mais l'Angleterre ne manifestait aucun symptôme prouvant son désir de faire la paix. Durant le mois de Juillet, l'Angleterre profita du répit alloué par l'inaction allemande pour accroitre sa production d'avions de chasse. Churchill nomma un vieil ami conservateur, Lord Beaverbrook, comme ministre des Armements. Grâce à ce dernier, le Fighter Command de la RAF ne manquera jamais d'avions ni de pièces de rechange durant toute la bataille d'Angleterre. Cependant, la production industrielle se fit à un tel rythme que les usines durent cesser de tourner pendant dix jours à cause de l'épuisement des ouvriers. Le taux mensuel de production de Hurricanes et de Spitfires entre Juillet et Septembre était, en moyenne, de 240 exemplaires par mois.

Le 20 Juillet, Hitler adressa un ultimatum – maquillé en proposition de paix – à l'Angleterre. Londres ne répondit pas, ce qui força Hitler à exécuter l'Opération Seelowe. Le 27 Juillet, Brauchitsch et 12 autres officiers généraux de l'armée et de l'aviation, soumit un premier plan d'invasion à l'OKW. Il était ambitieux:

Raeder, qui serait responsable de la traversée de cette force d'invasion, s'opposa à ce plan car il le trouvait à la fois trop ambitieux et impossible à protéger en mer. La marine allemande avait beau travailler frénétiquement à préparer des embarcations de débarquement (image ci-bas), elle serait incapable d'en produire assez dans un délai pré-établi pour transporter la première vague de 13 divisions.

_

Commentaires d'Adolf Galland sur les plans d'invasion de l'Angleterre

De surcroit, la Kriegsmarine s'opposait à une attaque sur un front large. De leur côté, Brauchitsch et Halder ne voulaient pas engager les troupes sur un front trop étroit. Ce qui leur fit changer d'idée fut l'accroissement progressif des défenses côtières britanniques le long des plages convoitées. Un compromis fut accepté qui prévoyait une force de 27 divisions sur un front entre Folkestone et Breighton, appuyées par deux divisions aéroportées. Le Jour J étant fixé pour le 27 Septembre. L'OKW ne donna qu'une seule condition pour son accord: la maitrise du ciel. Devant Hitler et ses maréchaux, Goering était sûr de lui: parfait! Donnez-moi 15 jours de beau temps. Hitler signa la Directive No.17 prévoyant l'intensification des opérations aériennes et navales en guise de prélude à une invasion: Utilisant tous les moyens aériens disponibles, la Luftwaffe devra détruire les aérodromes militaires et détruite le plus d'avions dans le plus court délai possible. Les centres de commandement, d'approvisionnement ainsi que les avionneries seront frappées. La Lutwaffe concentrerait ses attaques sur les ports. Consigne importante: pas question de bombarder aucune ville pour terroriser les populations civiles. En particulier, les vols au-dessus de Londres seraient strictement interdits. A la lumière des plans esquissés, l'as allemand Adolf Galland était inquiet, et ne trouvait pas que les préparatifs conduits en hâte étaient "vraiment sérieux". L'armée de terre n'était pas entrainée pour mener des opérations amphibies; elle avait été structurée et entrainée en fonction d'actions purement continentales. Pour plusieurs officiers de l'armée et de la Luftwaffe, la bataille d'Angleterre serait perdue avant même qu'elle se soit commencée. Il faut ajouter également que les dispositions prises par la Royal Navy ne prévoyaient pas une intervention dans la Manche, de peur de tomber sous les coups de la Luftwaffe basée en France. Les amiraux britanniques craignaient autant la Luftwaffe que les amiraux allemands craignaient la Royal Navy… Qui plus est, la RAF presque décimée en France et devant Dunkerque était en voie de se reconstituer (lire plus bas dans la page). Rien d'étonnant que Hitler et ses généraux se laissent gagner par le doute de l'emporter contre l'Angleterre. Seul Goering et quelques-uns de ses adjoints se montraient d'un optimisme exagéré. Rien n'exprime mieux ce sentiment de malaise et de doute que la remarque cocasse du général Hadler dans son journal, et datée du 6 Août 1940: Nous nous trouvons dans une situation paraxoxale où la marine est en proie au doute, la Luftwaffe peu désireuse de prendre à bras le corps une opération qui, au départ, était exclusivement son affaire, et ou le Haut-commandement de l'armée (OKH) qui se trouve pour une fois en position de diriger une opération combinée, est aux abonnés absents…

_________

Les forces en présence

Les forces aériennes disponibles pour la bataille d'Angleterre avantagaient l'Allemagne. A la mi-Août 1940, la Luftwaffe disposait d'un inventaire de 2422 avions répartis comme suit:

969 bombardiers bimoteurs 336 avions d'attaque au sol Stuka 869 chasseurs Me-109 268 chasseurs bimoteurs lourds Me-110. Les pilotes de chasse allemands étaient expérimentés et hautement motivés. Certains s'étaient faits la main en Espagne dans la Légion Condor; d'autres avaient combattu dans les campagnes précédentes et cumulaient des dizainnes de victoires. Les équipages de bombardiers allemands étaient également bien formés. Ils disposaient de trois types de bombardiers bimoteurs – Heinkel 111, Dornier 17 et Junkers 88 –, ce dernier étant le bombardier le plus rapide de sa génération. mais ces appareils n'avaient pas été conçus pour faire du bombardement stratégique comme les futurs quadrimoteurs britanniques et américains. En revanche, la version E du chasseur Me-109, surnommé Émil, était beaucoup plus rapide que le Hurricane et presqu'autant que le Spitfire. Pour attaquer l'Angleterre, la Luftwaffe disposait de trois flottes aériennes:

Luftflotte V – commandée par le général Stumpf, et basée au Danemark et en Norvège.

Luftflotte II – commandée par le général Kesselring, et basée en Hollande et Belgique

Luftflotte III – commandée par le général Sperrle, et basée dans le nord de la France.

__

Le chasseur allemand Me-109E Le chasseur britannique Spitfire Mk.1 Goering sûr de lui

Quant aux Britanniques, ils centrèrent leur production surtout sur deux modèles d'avions de chasse. D'abord, sur le Hawker Hurricane, dont le prototype fut mis au point par Sydney Camm en 1933. Cet appareil fut le chasseur principal britannique durant la campagne de France ainsi que durant la bataille d'Angleterre. A partir de 1938, les escadrilles de chasse pouvaient compter sur une production limitée du Supermarine Spitfire, mis au point par l'ingénieur Réginald Mitchell. Depuis Juin 1940, le Fighter Command avait produit frénétiquement 496 chasseurs, en majorité des Hurricanes. Son déficit en chasseurs n'était plus aussi critique qu'en Avril. Il avait établi trois zones de défenses aériennes centrées sur les chasseurs. Le Groupe 10 couvrait la partie occidentale de l'Angleterre; le 11 couvrait Londres et le sud-est; et le 12 couvrait l'Écosse et les iles Shetland (image ci-bas).

Mais à la différence de la Pologne et de la France, l'Angleterre disposait de deux atouts pour se protéger d'une invasion

: La Manche – le plus grand fossé antichar d'Europe

. Le radar – Innovation technologique permettant la détection à distance d'aéronefs.Le radar est une de ces innovations technologiques sur laquelle beaucoup de chercheurs travaillaient en même temps. Les Britanniques Wilkins et Watson-Watt le mirent au point pour l'Angleterre, mais Kuhnhold le mit également au point pour l'Allemagne. En URSS, les scientifiques s'intéressaient à la détection aériennes depuis longtemps; en 1933, le groupe de Pavel Oshchepkov avait progressé dans la conception d'un appareil radar mais les travaux furent interrompus par les Purges de 1937-8. Au Japon, Okabe et Yagi de l'Université d'Osaka avaient mis au point un radar fonctionnel dès l'automne 1936, sans l'aide des travaux de recherche occidentaux. En Italie, Marconi démontra un appareil radar aux autorités fascistes. En Hollande, Von Weiler découvrit accidentellement que ses expériences sur les ondes courtes produisaient un rayonnement de détection. En France, Pierre David détecta un appareil volant à 15,000 pieds au-dessus du Bourget.

_

Antennes d'un réseau radar britannique

A partir de 1936, une première chaine d'antennes radar fut construite entre les îles Shetland et la ville de Cornwall. Lorsque d'autres fonds furent alloués, une autre chaine s'étendait dans le sud-est face à la Manche. La portée maximale du réseau radar britannique était de 122 milles, ce qui permettait d'obtenir de signaux au-dessus d'une partie du Nord-Ouest de la France, là où la Luftwaffe allait aménager un grand nombre de terrains. Les signaux de ces radars étaient envoyés par câble à un centre d'opérations située dans chaque groupe de défense. Les informations reçues étaient colligées dans une salle où les formations non-identifiées étaient marquées par des blocs sur une carte horizontale, déplacés par des auxiliaires féminins de la RAF à la manière de croupiers sur tables de blackjack (image ci-bas)..

_

La position des avions détectées était étalée sur cartes horizontales

Le cœur de ce système était le centre de filtrage des informations à Bentley Priory. Il colligeeait et évaluait la crédibilité des informations reçues avant de la communiquer aux groupes, qui la passe ensuite aux secteurs, qui à leur tour alertent les terrains d'aviation. La détection par radar permettait aux commandants de secteur d'économiser sur le temps des patrouilles aériennes, tout en maximalisant le temps de vol des chasseurs lors des interceptions. Le secteur menacé était immédiatement avisé, ce qui donnait un avantage tactique indéniable aux défenseurs en cas d'attaques aériennes. Lorsque la guerre éclata en 1939, il y avait 18 stations radar opérationnelles. Deux autres fonctionnaient mais elles n'étaient pas reliées au réseau de collation et de filtrage des informations. Les signaux de détection n'utilisaient qu'une longeur d'onde dans la bande étalée entre 22 à 27 mhz, ce qui signifiait que tout le réseau était très sensible au brouillage et aux interférences électriques. La chambre de filtrage des information à Bentley Priory était située à 10 pieds sous terre et protégée des attaques aériennes, mais ce qui n'était pas le cas des autres centres de contrôle des groupes. Les tours de transmission de 250 pieds de hauteur étaient bien exposées le long de la côte et seraient très vulnérables aux bombardements. Les Britanniques avaient complété leurs défenses radar par des moyens plus traditionnels d'observation au sol. L'Observer Corps était composé de civils, parfois âgés, engagés pour la durée de la guerre, de soldats territoriaux attitrés aux batteries anti-aériennes, ainsi que des auxiliaires féminins de l'armée. L'OC se servait de télémètres pour évaluer la hauteur et la direction des formations ennemies anticipées (image de gauche), ainsi que de gigantesques microphones sur affut pour capter le vrombrissement de ces mêmes formations. Il rapportait les informations aux centres d'opérations de leurs groupes respectifs par le biais de téléphones de campagne.

_

Capteurs sonores aériens Bevin, Churchill et Eden

Le dernier élément de la défense britannique était les agents de renseignement qui opéraient clandestinement en Europe de l'Ouest et qui pouvaient parfois fournir de l'information ponctuelle sur les mouvements aériens allemands. A la différence des autres victimes de l'Allemagne, l'Angleterre disposait non seulement d'avions mais d'un système de défense aérien dont les composantes étaient coordonnées. La Luftwaffe n'avait jamais vue rien de tel auparavant, et ne pratiquerait qu'une qu'une imprudente improvisation. Pour s'harmoniser avec toute la frénésie de production et d'organisation qui existait dans cette Angleterre qui se préparait à être envahie, le gouvernement Churchill se fit octroyer du Parlement des pouvoirs d'urgence beaucoup plus grands que ceux qui existaient depuis l'entrée en guerre. Ces pouvoirs donnaient au gouvernement un pouvoir total sur toutes les personnes et leurs propriétés: riches, pauvres, employeurs et salariés, hommes et femmes, ainsi que tous les moyens de production. En vertu de ces pouvoirs, le nouveau ministre du Travail Ernest Bevin, devait fournir la main-d'œuvre à toutes les industries. Il pouvait, en théorie, ordonner à n'importe qui de faire n'importe quel travail. La pensée politique libérale était remisée au vestiaire pour la durée de la guerre. Un dirigisme d'État prenait en mains tout l'effort de guerre.

Le gouvernement Churchill avait revisé sa politique de défense en prévision de subir la guerre toute seule. La mise au point d'une collaboration avec les pays du Commonwealth pouvait attendre. Il lui fallait aller au plus pressant: la survie nationale. L'essentiel était d'empêcher les Allemands d'assurer leur maîtrise du ciel au-dessus de l'Angleterre, ce qui leur permettrait de réussir un débarquement. Le gouvernement savait que les maigres effectifs semi-organisés britanniques ne seraient pas en mesure de tenir face aux troupes allemandes. Priorité sur l'aviation de chasse et en second lieu sur l'aviation de bombardement. Une défense du ciel réussie compromettrait tout débarquement allemand. La résolution britannique fut confirmée par sa volonté de neutraliser les navires français en Méditérannée, et d'interner tous les citoyens et ressortissants étrangers considérés comme "nuisibles".Après Dunquerke, le sort de l'Angleterre allait dépendre d'une poignée de pilotes volontaires. En 1939-40, pour résister à la machine de guerre allemande, il fallait un patriotisme farouche, entêté. Beaucoup d'étudiants aisés d'Oxford et de Cambridge qui auraient passé un été tranquille ont choisi de s'enrôler dans la RAF non pour défendre "le drapeau" ou un certain mode de conformisme social, mais par le refus du fanatisme. Avant de mourir grillé aux commandes de son Hurricane, un de ces pilotes, Richard Hillary, avait écrit un livre "Le Dernier Ennemi", où il parle de sa génération:

Hillary: Extrait de son livre Le dernier ennemi

_________

La phase 1

La bataille d'Angleterre s'est déroulée en trois phases:

  1. Du 10 Juillet au 12 Août = Attaque de navires et des ports. Du 13 au 29 Août = Attaque des aérodrômes et des radars.
  2. Du 7 Septembre au 1er Octobre = L'attaque de Londres et des villes anglaises.

Les historiens se sont presque tous concertés sur la date qui marqua le début de la bataille d'Angleterre, que les Britanniques appellent tout simplement "the Battle". Bien qu'à partir de 4 Juillet, des navires marchands furent ça et là attaqués par des Stukas, le 10 Juillet fut marqué par le début des opérations aériennes contre l'Angleterre. Il n'y eut aucune attaque massive de la part des Allemands avant cette date, à cause de trois facteurs:

 La météo – temps couvert et brumeux, impropre aux raids de bombardement.

 Impréparation – les Luftflottes 2 et 3 avaient besoin de temps pour se préparer à attaquer.

 Vide stratégique – Ni Hitler, ni Goering, ni l'OKW ne s'étaient concertés sur un plan d'ensemble.

A la suite de la chute de la France, Hitler et l'OKW considéraient les Britanniques comme "déjà morts". Le 25 Juillet, Kesselring envoya quelques vagues d'avions d'attaque au sol Ju-87 Stuka, escortés de chasseurs Me-109E, pour attaquer un convoi de navires marchands dans la Manche à son arrivée devant le port de Douvres.

__

Bombe de 550 lbs d'un Stuka Cargo touché par une bombe Charles Gardner, 25 Juillet 1940

Malgré que les Stuka ratèrent les navires à quelques reprises, les pilotes allemands coulèrent 8 cargos et en endommagèrent plusieurs autres. Un reporter de la BBC, Charles Gardner, se promenait au port de Douvres durant cette attaque allemande en compagnie d'un cinéaste et d'un preneur de son. Voici un extrait de son reportage sur le clip ci-haut:

Durant d'autres raids de Stukas, plusieurs autres navires marchands furent coulés, de même que deux destroyers.Ces attaques, en plus de nuire au traffic maritime britannique permettaient de faire coopérer en mer chasseurs et avions d'attaque au sol.Le but tactique recherché par la Luftwaffe par ses attaques de navires était d'attirer des chasseurs britanniques, chercher le combat, en un mot, vaincre la RAF. Ce furent les premiers duels aériens au-dessus de la Manche. Les qualités du chasseur allemand et son armement de canons-mitrailleurs de 20mm donnaient du fil à retordre aux Hurricanes et Spitfires. En revanche les chasseurs britanniques étaient beaucoup plus maniables à basse vitesse et devant cette maniabilité, les pilotes allemands évitaient de virer aussi serré que leurs adversaires dans les combats tournoyants. Une grande surprise des premiers combats aériens fut la faible performance du chasseur bimoteur Me-110. Le "destroyer" était à la fois trop lourd et pas assez maniable pour secouer un adversaire sur sa queue, et beaucoup furent perdus en Juillet. Quant au Ju-87 Stuka, bien que redoutable en piqué, il demeurait une proie facile pour n'importe quel chasseur ennemi s'il n'était pas escorté au combat. Entre le 10 et le 31 Juillet, le Fighter Command de la RAF perdit 69 chasseurs, mais abbatit 155 appareils ennemis, surtout des Stukas et des Me-110. Au cours de leurs attaques de convois, les pilotes allemands avaient coulé 22 cargos de jauges diverses et 4 destroyers. Ils avaient endommagé les installations portuaires de trois ports, dont Douvres, surnommé "Hellfire Corner". Ce mois de Juillet en avait été un de chocs initiaux et d'évaluation mutuelle pour chaque belligérant. La tenue au combat des pilotes britanniques ainsi que la qualité de leurs Spitfires furent une surprise pour la Luftwaffe. Habituée à faire des attaques aéro-terrestres coordonnées devant des adversaires qui s'amenuisaient rapidement, elle était dès lors confrontée à un adversaire qui évitait souvent le combat, qui semblait informé sur ses mouvements aériens, qui l'attaquait d'une manière coordonnée, et qui bénéficiait d'un espace-tampon de plus de 100 milles pour s'abriter. De plus, l'OKL mit du temps à identifier la nature des réseaux d'antennes britanniques égrainnées le long des côtes anglaises. La Luftwaffe savait dès lors que ses mouvements étaient épiés en altitude par la défense aérienne britannique.

La frappe aérienne

Le 12 Août, la Luftwaffe mit comme priorité la destruction de ces antennes de détection comme prélude à l'attaque des aérodrômes du Fighter Command. Les radars situés à Ventnor, sur l'île de Wight, seraient détruits pour ouvrir une "brèche" dans le bouclier radar britannique. La Luftwaffe confia le travail tactique à un pilote chevronné dans les attaques à basse altitude, Walter Rubensdoerffer. Vétéran d'Espagne et de la campagne de Pologne, il mit au point une technique d'attaque au sol à haute vitesse et à basse altitude: la frappe aérienne. Contrairement à l'attaque au sol pratiquée durant les autres campagnes, la frappe aérienne consister à cibler un ou deux objectifs restreints, à les bombarder, pour ensuite revenir le plus rapidement possible à la base: pas question de trainer à basse vitesse au-dessus des objectifs comme des charognards à la manière des Stukas dans l'appui des troupes au sol: frapper et déguerpir, tels sont les mots d'ordre. Rubensdoerffer établit un concept qui fera école tant dans la Luftwaffe que chez les aviateurs alliés: un nombre restreint d'appareils munis de quelques bombes volant en rase-mottes - ou au ras des vagues - et focalisés sur un seul type d'objectif. Pour frapper les radars anglais, il choisit l'appareil qui avait montré sa faiblesse durant les combats tournoyants de Juillet, mais suffisamment solide et autonome pour porter une charge totale de 1000 lbs de bombes sans tanguer: le bimoteur Me-110 (ci-bas).

_

Le Me-110 dit "Destroyer" Des Me-110 en action

Ce raid sur Ventnor serait le premier d'une série de radars à bousiller: Portland, Douvres, etc. Le concept de Rubensdoerffer fut appliqué une première fois par le kommodore Fisser de l'Escadrille 51. Il prit l'air pour la côte du Sussex avec une grappe de Me-110 et quelques Ju-88. Il traversa la Manche au ras des flots sans être détecté. Devant Portsmouth, il fut acceuilli par une DCA d'enfer mais passa vers l'île de Wight à 300 mph à une altitude de 70 pieds. Ses appareils étaient munis de quatre bombes de 250 lbs munis de détonateurs à retardement. Les avions montèrent à 900 pieds, piquèrent d'une angle de 45 degrés, larguèrent leurs bombes, puis déguerpirent. Vingt secondes plus tard, un énorme fracas se fit entendre: tous les radars de l'île de Wight furent neutralisés et les immeubles les avoisinant furent détruits. Les attaques aériennes allemandes contre les bateaux et les ports ne furent pas couronnées de succès. Bien que de nombreux navires furent perdus, le traffic maritime fut redirigé sur Liverpool et Belfast le temps que "les choses" se calment dans la Manche. La Luftwaffe n'a pas réussie à attirer un grand nombre d'appareils ennemis au-dessus de la Manche afin de les abbatre. Certes il y a eu des combats aériens, mais les Britanniques cherchaient surtout à éluder leurs adversaires plutôt que de trop insister à batailler, et à accroitre ainsi le risque de pertes de pilotes. Le Fighter Command préférait conserver ses pilotes pour affronter les gros raids ennemis anticipés. Le radar britannique fonctionnait très bien et permit de minimiser l'effet de surprise des attaques allemandes. Mais le réseau radar pouvait être perturbé lorsque certains de ses éléments étaient endommagés, permettant ainsi des "trouées" dans la détection. Les escadrilles du Fighter Command devaient composer avec la nécessité de coordonner leurs actions avec les renseignements obtenus des opérateurs radars. La grande trouvaille tactique aérienne fut celle de la frappe aérienne rapide à basse altitude. Elle serait adoptée par la Luftwaffe et, ultérieurement, par le Bomber Command britannique et l'USAAF.

_________

La phase 2

Dès que Goering apprit qu'une trouée radar britannique avait été réussie, il ordonna à toutes ses Luftflotte d'attaquer les terrains et aérodrômes britanniques: ce fut le Jour de l'Aigle: l'Adlertag . La première armada de bombardement était composée de 74 bombardiers Do-17 de l'Escadrille 2. Après s'être groupée au-dessus d'Amiens, la formation remonta l'estuaire de la Tamise à basse altitude sans être détectée par les radars de Douvres et Foreness. Quelques Hurricanes pilotés par des Polonais interceptèrent les bombardiers; un Dornier fut abbatu, mais les Polonais furent dispersés du ciel lorsque l'un de leurs pilotes, Brezina, fut abbatu. La base aérienne visée était celle de Manston. Elle fut sévèrement endommagée

_

Bombardiers Dornier 17 Bombardiers Junkers 88

Cette action ne servait que de diversion au gros de l'attaque, composée de 300 appareils – beaucoup de He-111 – qui avaient pour ordre de détruire les terrains du Groupe 10, ainsi que les installations portuaires de Southampton. Les défenseurs britanniques, partiellement "aveugles" par la destruction de nombreux radars, étaient confus et ne pouvaient "diriger" les défenseurs adéquatement. Deux escadrilles de Hurricane – la 257ème et la 43ème – furent dépêchées pour l'interception. Elles devaient se battre à un contre dix, et les pilotes britanniques ne purent faire autre chose que de distraire l'attention des pilotes. Southampton fut bombardé et il y eut de nombreux morts et blessés. Ironiquement, les bombardiers allemands n'ont pas frappé l'usine Woolston qui assemblait les chasseurs Spitfire. Passant dans la trouée radar de l'ile de Wight, une quarantaine de Stukas trouvèrent l'aéordrome de Delting. Ce fut la curée: toutes les installations furent détruites, car les baraquements et hangars – construits en bois – étaient concentrés dans un espace restreint. Deux abris furent touchés de plein fouet, et 23 chasseurs furent détruits au sol. La réserve de carburant d'avion fut flambée. Le commandant de l'aérodrome fut tué, tout comme ses subordonnés. La Luftwaffe ne perdit aucun appareil durant l'attaque de Delting, mais ailleurs durant ce Jour de l'Aigle, elle perdit 45 appareils et une quinzainne endommagés. Le Fighter Command perdit 13 chasseurs et trois tués.La Luftwaffe fit un raid sur l'usine de Spitfire de Birgmingham mais les dégâts furent légers, et les bimoteurs allemands furent acceuillis par des tirs anti-aériens nourris. Elle se permit même d'aller à Belfast pour endommager l'usine de quadrimoteurs Stirling. Devant le port de Douvres, de nombreux duels aériens impliquaient jusqu'à 200 appareils. Les pilotes britanniques avaient l'énorme avantage d'être à proximité de leurs bases d'où ils pouvaient réarmer et refaire le plein: ils maximalisaient leur temps de vol. Les pilotes allemands étaient légèrement éloignés du point de retour vers leurs bases; s'ils acceptaient de combattre, ils n'avaient que quelques minutes pour abattre un appareil ennemi avant de retourner en France, sinon, un voyant s'allumait sur le tableau de bord - la panne d'essence -, et c'était, au mieux, un bain forcé dans la Manche.

_

Rampants réarmant un chasseur Hurricane Des Ju-87 Stuka au-dessus de Douvres

Durant ce Jour de l'Aigle, les armuriers, machinistes et mécaniciens britanniques – surnommés les "rampants" – travaillaient d'arrache-pied pour réarmer et entretenir les chasseurs, et pouvaient être vus étendus sur le gazon pour récupérer de précieuses heures de sommeil perdues entre les duels aériens. Nombreux furent ceux qui travaillèrent sans arrêt durant quatre jours avant d'être hospitalisés pour épuisement. Le gouvernement britannique n'a pas reconnu officiellement le courage de ses rampants par le biais de citations ou de médailles, et plusieurs d'entre eux devinrent amers. Cependant, les pilotes furent unanimes à vanter leurs mérites et leur endurance, car ils dépendaient entièrement de la qualité et de la rapidité de leur travail au sol. Le Bomber Command de la RAF choisit ce moment pour faire un raid audacieux de bombardement nocturne sur Turin, essentiellement pour démontrer que l'esprit combattif britannique n'avait pas été atteint, ainsi que pour faire un pied de nez à la Luftwaffe. Une trentaine de Whitley traversèrent la France et les Alpes et frappèrent Milan et Turin. Le 15 Août, le tacticien Rubensdoerffer dirigea une frappe aérienne sur l'aérodrome de Martelsham, situé au nord de l'estuaire de la Tamise. Tandis qu'un raid de diversion était effectué sur Manston – déjà endommagé par un raid de Do-17 – Rubensdoerffer amena ses 16 Me-110 sur l'objectif; il était escorté de huit Me-109E. Chaque Me-110 portait soit deux bombes de 500 lbs ou une seule de 1000 lbs, et toutes frappèrent leur cibles. Plusieurs hangars furent détruits. Des avions d'attaque au sol Fairey Battle armés de bombes de 1000 lbs (destinés à détruire les barges de débarquement allemandes) furent souflés comme des allumettes anonymes. Une autre passe rapide en rase-mottes permit aux avions de Rubensdoerffer d'achever les autres avions au sol avec leurs canons-mitrailleurs de 20mm (image ci-bas). Puis, les bimoteurs allemands déguerpirent et rentrèrent sains et saufs. Les qualités du bimoteur Me-110 comme appareil de frappe rapide à basse altitude furent désormais confirmées.

_

Enclos de chasseurs frappés en rase-mottes à Manston Un Hurricane sur le ventre

La belle météo ragaillardit les ardeurs de la Luftwaffe dans sa détermination de briser une RAF tout aussi entêtée à lui résister. Les combats aériens au-dessus de Portsmouth et Portland furent les plus durs à être livrés jusque là par les belligérants. Il y eut des actes d'héroisme et des revers tragiques dans les deux camps: des mitrailleurs arrières de Stukas qui tiraient encore malgré que leurs appareils descendus plongeaient vers la mort; et des pilotes britanniques blessés qui ramenaient à leurs terrains des appareils déchiquetés qui tenaient à peine en l'air. Les Britanniques eurent des pertes, surtout parmis leurs instructeurs.

_

Un Me-110 abattu dans la Manche Un observateur avec peu de moyens

Beaucoup de pilotes de chasse allemands manquèrent d'essence et se posèrent en catastrophe sur les plages de Calais. D'autres furent perdus en mer. Certains ont été désorientés dans le feu de l'action: Richard Hardy, blessé durant un duel aérien au-dessus de la Manche, réussit à poser son Spitfire sur un terrain d'aviation en espérant avoir de l'aide; ses sauveteurs étaient revêtus de l'uniforme vert-olive de la Wehrmarcht.

Raid sur Croydon

Ravitaillés et réarmés, les avions de Rubensdoerffer redécollèrent pour une frappe sur le terrain de Croydon. Une imprudence dans la taille de la formation permit aux opérateurs radars britanniques de repérer la formation lorsque celle-ci prit une altitude de 10,000 pieds au-dessus de Dungeness avant de plonger vers sa cible. Les opérateurs avertirent Croydon de l'imminence du danger, et un groupe de Hurricanes prit l'air pour interception. Ils avaient anticipé correctement l'intention de Rubensdoerffer. Le piqué des Me-110 les amenèrent à une altitude de 800 pieds et ils frappèrent plusieurs bâtiments du terrain de Croydon – l'arsenal, l'atelier de réparation, quelques hangars et le bureau administratif . Mais l'intervention rapide des Hurricanes dispersa les attaquants qui furent forcés de lâcher ce qui leur restait de bombes au hasard. A ce moment, l'escorte des Me-109E retourna en France à court de carburant. Face aux essaims de Hurricanes, les Me-110 devenaient des proies lorsque dépourvus de leur escorte. Neuf d'entre eux furent ababtus, dont celui de Rubensdoerffer, surpris et troué au-dessus du village de Rothersfield. Durant les attaques aériennes allemandes, certaines observations ont été constatées

: Peu de terrains détruits – A l'exception de Manston et de Martelsham, aucun aérodrome et terrain d'aviation britanniques ne furent détruits, contrairement à ce qu'affirmait les renseignements allemands. Les terrains troués furent rapidement remis en état opérationnel

.Vulnérabilité du He-111 – Le principal bombardier allemand de la guerre, stable en vol, était sans défense contre la chasse anglaise lorsque non-escorté. Mais la faible autonomie du chasseur Me-109E lui interdisait de protéger les bombardiers durant toute la durée de leurs attaques, et ces bombardiers se firent sabrer (clip ci-bas).

_

La vulnérabilité du Heinkel 111 face aux chasseurs

 L'obsession des chasseursLe grand défaut des Britanniques.. Lorsqu'une formation de bombardiers était attaquée, les pilotes britanniques se bataillaient avec les chasseurs ennemis de l'escorte, et négligaient de s'en prendre aux bombardiers, dont plusieurs avaient le temps de filer et de lâcher leurs bombes sur leurs objectifs. Beaucoup de leaders d'escadrille ont crié la phrase suivante à leurs pilotes durant le feu de l'action: leave the bloody fighters, it's the bloody bombers we want!

 Amertume allemande – Les pilotes de chasse de la Luftwaffe s'attendaient à mettre leurs adversaires à genoux en une douzainne de jours. Un mois plus tard, ils étaient toujours en train de combattre des adversaires résolus qui semblaient disposer d'un stock inépuisable de machines. Ainsi, de nombreux vétérans zélés devinrent amers – dont Galland – et ne crurent plus en la victoire.

 Effets de l'usure – Malgré l'amertume ressentie par plusieurs pilotes et généraux allemands, la stratégie utilisée par la Luftwaffe demeurait valable: user la RAF était le pré-requis indispensable à tout projet de débarquement. Des chasseurs étaient perdus, certes, mais de nombreux exemplaires endommagés étaient raccomodés et revenaient en ligne. Le seul problème capital était celui des pilotes. Les instructeurs avaient été perdus, des vétérans étaient tués ou hospitalisés. Pour le commandant du Fighter Command, Hugh Dowding, l'équation était toute simple: find more pilots, or lose... Le Fighter Command était prêt à acceuillir tous les pilotes qui voulaient combattre aux côtés de l'Angleterre. Dès Juillet, la RAF "magasinait" aux Etats-Unis pour recruter des pilotes ayant 250 heures de vol certifiées, tel que le rapportait l'édition du New York Herald Tribune du 14 Juillet 1940. Les volontaires américains traversaient au Canada, passaient leur examen médical et signaient leurs engagements: no swearing an oath to the British Crown, leur disait-on pour les rassurer. Un des premiers pilotes américains fut James Davis, affecté à la 79ème Escadrille de Hurricane. Bill Fiske fut également un pilote de chasse américain très apprécié. Il y eut également une brochette de pilotes français. Cependant, les plus nombreux furent les Polonais et les Tchèques qui formèrent des escadrilles entièrement polonaises et qui avaient la réputation d'être sans merci pour les pilotes allemands.

_

No more Polish chit-chatts... Pilotes polonais de l'Escadrille 303

Bien que courageuses devant l'ennemi, les escadrilles polonaises étaient également remarquablement indisciplinées, et les officiers britanniques qui les encadraient eurent bien du mal à encadrer les interceptions. Dans le feu de l'action, les pilotes polonais utilisaient rarement l'anglais dans leurs conversations radio et engorgaient les fréquences. Mais les résultats qu'ils scorèrent sur les formations de bombardiers allemands les firent incorporer tout de go aux côtés des autres pilotes du Fighter Command. Le duc de Kent est venu rendre hommage à la bravoure des pilotes polonais, mais aussi pour leur rappeler "que la RAF n'est pas un cirque volant"… La contribution canadienne fut plus substantielle. Beaucoup de volontaires qui ne purent être admis dans la RCAF pour toutes sortes de raisons, signèrent un engagement dans la RAF. Ils se regroupèrent initialement dans l'Escadrille 242 du Fighter Command, commandée par François-Marie Gobeil. Le meilleur as canadien en 1940 était Willie McKnight avec un score de 16 victoires "et demi". La RCAF organisa une escadrille et achemina elle-même ses appareils en Angleterre. L'Escadrille No.1 vit son baptême du feu au-dessus de Northolt et perdit plusieurs avions, quoique peu de pilotes furent perdus. Pour maintenir le niveau des opérations aériennes défensives, le Fighter Command accéléra l'instruction des recrues et des volontaires. La moyenne d'heure de vol de ces recrues en Août variait entre 7 et 11 heures de vol. Les recrues volaient un moment en solitaire puis quelques sorties en escadrille. Le reste de leur entrainement devait se faire dans des conditions réelles – en se battant.

Raid sur Kenley et Biggin-Hill

Les 17-18 Août, la Luftwaffe fit un gros raid aérien sur l'aérodrome de Kenley. Les pilotes allemands utilisèrent à la fois la technique traditionnelle du bombardement en altitude, faite par les He-111 et les Ju-88, ainsi que la technique de la frappe aérienne rapide en rase-mottes par les Me-110 et les Do-17. L'aérodrome avait été garni de canons anti-aériens semi-automatiques Bofors de 40mm. Neuf Dorniers frappèrent les hangars de plein fouet pour aussitôt déguerpir, semant la mort et l'ébahissement chez les Britanniques. Par la suite, les He-111 tapissèrent le terrain de Biggin Hill, ses avions et ses baraquements. Pris de court, les chasseurs eurent tout juste le temps de décoller (clip ci-bas).

_

Tapissage du terrain de Biggin-Hill Spitfires endommagés

Les vagues de bombardiers allemands opéraient dans des formations en altitude de 12 à 15,000 pieds, escortés par une quarantaine de Me-109E à 18,000 pieds. Détectées, les vagues allemandes furent interceptées par les Spitfires, mais l'escorte veillait et une mêlée confuse éclata. Pour semer la confusion chez les attaquants, des Do-17 firent une frappe en rase-mottes à une altitude de 100 pieds et elle fut terriblement efficace. Cependant, l'efficacité du bombardement en altitude sur Biggin Hill fut amoindri par l'intervention des chasseurs britanniques. Une mêlée confuse s'en suivit et les bombes des Heinkels tombèrent plutôt sur la piste que sur les édifices et hangars garnis d'avions. Bien que sévèrement troué, les terrains de Biggin Hill furent calfeutrés en quelques jours.

Journées désespérantes

La période la plus désespérante pour les deux belligérants fut entre le 18 Août et le 9 Septembre. Les efforts exigés de part et d'autre pour atteindre des résultats accrurent l'usure des hommes et des machines dans une succession de raids ponctuées d'interceptions plus ou moins réussies. Chaque belligérant avait l'impression que l'autre ne céderait jamais. Les pilotes des deux camps volaient entre neuf et quinze heures par jour; ils étaient exténués. L'entretien des appareils laissait carrément à désirer durant cette courte mais cruciale période, et il y eut de nombreuses pertes de machines causées par des bris mécaniques. Les opérations furent ralenties quelque peu par la météo. La Luftwaffe se concentrait uniquement sur la destruction des chasseurs ennemis et les bombardements des terrains furent espacés. A chaque fois que les pilotes allemands effectuaient leurs sorties, ils étaient en supériorité numérique sur leurs adversaires. Les Britanniques n'avaient plus assez d'escadrilles complètes en état de voler pour servir de masse de manœuvre dans tout le sud-est de l'Angleterre. Pas question que le Fighter Command donne l'ordre d'interception aussi longtemps que la force et la direction des vagues ennemies n'avaient pas été identifiées. Les concentrations de chasseurs et de bombardiers allemands étaient interceptées par des demi-escadrilles contenant à peine une douzainne de chasseurs usés. Selon Galland (image gauche), la stratégie d'usure semblait donner des résultats, car il était rare que les appareils allemands n'arrivaient pas à trouver leurs cibles – si la météo était bonne. A partir du 22 Août, une formation de 80 chasseurs britanniques pouvait affronter jusqu'à 250 appareils allemands. L'usure se fit aux dépends des Britanniques: leur déficit de un contre cinq en Juin, était passé à un contre dix en Août.

La production des chasseurs britanniques se maintient

La Luftwaffe pouvait puiser dans ses réserves humaines et matérielles pour compenser ses pertes. La RAF avait des difficultés à remplacer à la fois les hommes et à raccomoder ses machines. Le 9 Août, le Fighter Command disposait de 289 Hurricanes et Spitfire en état de voler; le 23, il en restait 161.

_

Hurricane touché à l'arrière Debriefing d'un pilote allemand

Le Fighter Command avait 104 pilotes tués et presqu'autant hospitalisés. Les recrues devaient, pour rester en vie, se "coller" à leurs instructeurs. Durant ce mois d'Août, la division du travail d'interception s'opérait comme suit:

Les Hurricanes attaquaient surtout les bombardiers.

Les Spitfires s'en prenaient surtout aux chasseurs escortant ces bombardiers.

_

Hurricane attaquant un Ju-88 par l'arrière Un debriefing lors du retour

La technique d'interception était de se placer sur l'arrière du bombardier ennemi. Le pilote devait l'approcher par le dessous car cela compliquait la tâche du mitrailleur arrière, qui avait du mal à viser en hâte le chasseur qui le menaçait. Cela permettait également de toucher les bombes et de les faire détonner en vol. Le pilote de chasse devait éviter d'attaquer l'appareil par le dessus, car généralement, les mitrailleurs allemands étaient redoutables. Les pilotes britanniques devaient disperser la formation de bombardier ennemis dont les appareils seraient abbatus un à un. Si la formation était escortée, les Spitfires devaient – en théorie – intervenir pour affronter les chasseurs et laisser les Hurricanes faire leur boulot. Lorsque l'interception débutait, elle perdait souvent son caractère coordonnée et dégénérait en mêlées difficiles à contrôler.

_

Comparaisons principales entre le Spitfire et le Me-109E

A compétences égales, le sort d'un duel aérien entre chasseurs dépend surtout de l'expérience du pilote. Si l'adversaire se comporte avec hésitation, comme une recrue, il sera facile à abbatre. Si, au contraire, l'adversaire est alerte et semble utiliser son appareil à bon escient, vous avez affaire à un "vieux" de 25 ans. Dans ce cas, le pilote lui laissera commettre la première erreur pour ensuite le cribler de trous. De surcroit, si un pilote de chasse attaque seul une paire d'avions, il peut chercher des ennuis. Une cible solitaire n'est pas forcément toute seule. Le pilote doit toujours penser que ce "solitaire" peut être accompagné d'un ailier: toujours prendre garde à l'ailier, sinon, il se produira vraisemblement un incident qui ressemblera au clip ci-dessous:

_

Prends garde à l'aillier! Prisonniers, mais en vie...

Les pertes allemandes en équipages de bombardiers embarassaient la Luftwaffe: chaque fois qu'un appareil était abbatu au-dessus de l'Angleterre, l'équipage – rescapé ou non – était considéré comme perdu. Les pilotes britanniques qui s'abiment dans la Manche peuvent espérer être repêchés et reprendre l'air, parfois la journée même. Entretemps, l'agonie des escadrilles du Groupe 11 se poursuivait. A partir du 20 Août, des raids quotidiens frappèrent les terrains de Manston – encore – Kenley, Biggin Hill, ainsi que d'autres aérodromes du Kent, de l'Essex et du Surrey. Pour Dowding, Park et Leigh-Mallory, seul un Act of God, pourrait désormais sauver le Fighter Command de l'usure totale. Mais ce fut plutôt une "négligence du Diable" qui allait contribuer au revirement tant souhaité.

Une petite erreur couteuse

Dans la soirée du 23 Août, deux bombardiers He-111 désorientés dans la recherche de terrains d'aviation britanniques subissent soudainement des tirs anti-aériens. N'ayant pu trouver leurs objectifs, ces appareils lâchèrent leurs bombes immédiatement pour s'alléger et rentrèrent à la base pour éviter d'être à court de carburant. Mais il y eut un hic: leurs bombes tombèrent sur les docks de Londres. C'était la première fois que la capitale anglaise était frappée depuis 1918. De retour à leur base, les pilotes allemands furent réprimandés: angriff uber London sind verboten!, leur a-t'on martelé. Et ce fut vrai: les pilotes allemands avaient reçu des ordres très stricts d'éviter Londres. Churchill saisit la balle au bond, et ordonna au Bomber Command d'aller bombarder Berlin en représailles. En 1940, l'opération est insensée, mais elle réussit. Une trentaine de bimoteurs Hampdens et Wellington éparpillent au hasard des bombes au-dessus de la capitale allemande. Les dégâts sont mineurs. La population allemande fut très surprise car on l'avait rassurée sur l'impossibilité d'un tel geste. Goering, qui avait dit je veux bien m'appeler Meyer si un seul bombardier anglais arrive jusqu'à Berlin, est hors de lui. Son prestige personnel et celui de son patron étaient froissés. Le 4 Septembre, Hitler prit la parole dans un meeting nazi au Palais des Sports de Berlin devant l'association du Secours d'hiver, et affirma ses intentions. Le furhrer retira l'ordre de sauvegarder Londres et les villes anglaises, et manifesta son désir de répondre aux bombes anglaises par un plus fort tonnage de bombes allemandes, devant la foule devenue hystérique. Londres serait bombardée.Ce fut la plus grande erreur stratégique d'Hitler et de Goering dans cette bataille. Juste au moment où la chasse britannique était sur le point de craquer, les raids sur Londres donnèrent le répit nécessaire au Fighter Command pour réparer ses terrains d'aviation et ainsi lancer des escadrilles d'interception sur les vagues de bombardiers allemands anticipées. Mais des récriminations éclataient entre les officiers supérieurs allemands. Les responsables des opérations de bombardements accusant les responsables des avions de chasse de laisser massacrer les bombardiers sans escorte.

_

What's next? Dommages légers à Berlin

Les attaques aériennes allemandes sur les aérodromes et les radars étaient la solution stratégique appropriée pour s'assurer la maitrise du ciel d'Angleterre. Pour Kesselring et Speerle, il s'agissait de les frapper sans donner aucun répit au Fighter Command. Les Allemands furent stupéfaits de constater que les terrains étaient presque replâtrés au fur et à mesure qu'ils étaient troués, ce qui permettait aux chasseurs d'en redécoller pour exécuter d'autres interceptions. Sur le plan matériel, la seconde phase marqua le retrait définitif de l'avion d'attaque au sol Ju-87 Stuka à cause de sa trop grande vulnérabilité dans ce théâtre d'opération. Le 25 Août, une escadrille complète avait été presque exterminée.

Les bombardiers bimoteurs de la Luftwaffe n'avaient pas l'emport de bombes nécessaire ni l'armement défensif suffisant pour repousser des attaques de chasseurs.Les escadrilles allemandes furent également surprises quant au changement de stratégie en plein cœur d'une bataille, mais elles n'en firent pas de cas, car celles-ci étaient désireuses de se cramponner à toutes mesures pouvant les aider à vaincre le Fighter Command.

Le Fighter Command britannique était à la croisée des chemins à cause de ses pertes et du fait que le taux de destruction de ses chasseurs excédait sensiblement le taux de production/raccomodage de ses machines.

_________

La troisième phase

Ce changement de stratégie faisait également l'affaire de Goering qui commençait à trouver que l'offensive aérienne trainait en longueur. Avant le discours d'Hitler du 4 Septembre, les généraux de la Luftwaffe se réunirent à La Haye la veille pour discuter de ce changement stratégique. Malgré que Kesselring était d'accord pour accroitre les opérations militaires aux villes anglaises, Speerle s'y opposait. Il croyait que les défenses britanniques n'étaient pas suffisamment réduites. Il concluait que même si la Luftwaffe détruisait tous les terrains des Groupes 10 et 11, le Fighter Command pourrait s'opposer à la présence aérienne allemande via le Groupe 12. Le faible rayon d'action du chasseur allemand interdisait encore un tel changement de stratégie.  Kesselring lui répondit que si Londres et les villes anglaises étaient attaquées, les pilotes britanniques seraient bien obligés de faire des sorties en plus grand nombre pour les protéger. Dowding mit toutes ses énergies pour déployer des escadrilles du Groupe 12 le plus au sud possible, tout en restaurant partiellement les capacités opérationnelles diminuées des escadrilles du Groupe 11. Le 7 Septembre 1940, un raid massif fut lancé sur Londres, avec pour objectifs secondaires les terrains de Kenley et de Croydon. Goering et son État-major étaient réunis à Calais pour assister, vraisemblablement, au départ de la plus grande armada aérienne dirigée contre un seul objectif.

_

Goering et Galland passent en revue leurs pilotes L'attaque du 7 Septembre 1940

Mais cette fois, le réseau radar britannique fonctionnait à plein, les formations furent repérées et vectorisées.Cette armada se fractionna en groupes distincts, chacuns accompagnés de son escorte aérienne. La complexité de ces formations servait à confondre la détection britannique - visuelle et radar. Park envoya 10 escadrilles en l'air pour affronter les attaquants. Les bombardiers furent acceuillis par les batteries anti-aériennes de Medway. Quant aux escadrilles de Hurricanes, inférieures à un contre dix, elles se ruèrent sur les bombardiers et s'en prirent aux escortes. Elles se déployaient selon le système adopté par la chasse allemande grâce à Moelders: soit un groupe de quatre appareils appelés "Finger Four", composé d'un attaquant et de son ailier.Théoriquement, l'ailier n'était pas sensé intervenir directement contre une cible attaquée par l'attaquant, mais uniquement de le protéger. Les formations de He-111 et de Do-17 firent leur boulôt en lâchant leurs bombes de 500 et 1000 livres sur l'arsenal de Woowich et sur l'usine Harland Works. Les nombre de bombes au but se multiplièrent jusqu'au moment où les chasseurs Me-109 durent décrocher et rentrer pour ne pas tomber en panne de carburant. A ce moment, les vagues de bombardiers subirent des pertes de la part de 7 escadrilles des Groupes 11 et 12. Après de nombreuses passes effectuées par le dessous (image ci-bas) ), les pilotes britanniques et polonais abbatirent une quinzaine de bombardiers. La 73ème Escadrille de Douglas Bader eut un excellent succès durant cette journée, avec 18 He-111 abbatus. Le gros des combats se déroulait à une altitude de 15,000 pieds et les avions étaient à peine visible du sol. Des trainées de vapeur tournoyantes pouvaient être aperçues. Malgré leurs pertes, les vagues de bombardiers allemands frappèrent dans la zone la plus peuplée de Londres et larguèrent 333 tonnes de bombes brisantes et plus de 13,000 incendiaires. Bien groupées, les bombes firent beaucoup de dégâts dans le centre de la ville (image ci-bas). Un seul bombardier fut abbatu par les tirs anti-aériens. Le raid massif du 7 Septembre pouvait être considéré comme une réussite.

_

Deux He-111 interceptés par le dessous Londres brûle

La période allant du 8 au 14 Septembre fut considérée comme étant plutôt tranquille pour les belligérants. Les pilotes britanniques percevaient le raid sur Londres comme étant un préambule à une invasion. La RAF et Downing n'en revenaient tout simplement pas de l'opportunité qu'allait rater les Allemands en délaissant les raids sur les terrains britanniques au profit d'attaques sur Londres. Le Fighter Command était convaincu que les Allemands ne disposaient pas de bons renseigements sur son état pitoyable. Quant à la Luftwaffe, elle n'avait aucune difficulté à trouver Londres, grâce à ses aides de navigation, mais affrontait une défense ennemie de plus en plus rodée et en possession de ses moyens. Car les petits raids épisodiques diurnes sur Londres devenaient plus difficile, la chasse était toujours là, et les tirs anti-aériens mieux ajustés. Le Fighter Command exigeait des efforts presque surhumains de la part de ses "rampants" affectés à l'entretien des avions de chasse.

_

Canon semi-automatique Bofors de 40mm La deuxième attaque massive sur Londres

Au milieu de Septembre, le Fighter Command reprit confiance en lui-même. Il était désormais sorti de la salle des soins intensifs et était presque en état de faire subir un coup de boule à une Luftwaffe de plus en plus cynique vis-à-vis une bataille qu'elle croyait ne pas pouvoir gagner. Galland faisait déjà le bilan de l'échec. Selon lui, l'incapacité de la Luftwaffe d'obtenir des résultats crédibles, de changer ses ordres en cours d'exécution, d'être bien renseignée sur les mouvements et ressources ennemies, et d'accuser ses pilotes de chasse d'être "plutôt poltrons", avaient un effet démoralisateur certain sur les pilotes, déjà surmenés physiquement et psychiquement par des semaines presque incessantes de combats. Malgré ces semaines de combats, le général Kesselring ne comprenait pas tout à fait l'efficacité du radar britannique et ses conséquenses sur la bataille. Le 15 Septembre, la Luftwaffe avait amassé une force imposante de bombardiers pour, encore une fois, faire un raid massif diurne sur Londres et sur les terrains de Biggin Hill et de Gravesend.Mais cette fois, les Britanniques étaient prêts pour les recevoir. Beaucoup de chefs d,escadrilles gardaient quelques avions en marche sur leurs tarmacs, leurs pilotes ruisselant de sueurs en attendant l'ordre d'un décollage d'urgence. Le réseau radar repéra les formations au-dessus du territoire français, ce qui donna le temps au Fighter Command de s'ébranler et d'être en l'air dix minutes avant l'arrivée des avions allemands. Les formations allemandes prenaient 30 minutes pour couvrir la distance de 60 milles les séparant de leurs cibles au sud et à l'est de Londres. Environ 150 Hurricanes et Spitfires plongèrent sur les aissaillants. Tant et aussi longtemps que les Me-109 tenaient en l'air, les avions britanniques eurent beaucoup de mal à disperser leurs formations. Plusieurs Hurricanes furent cassés par le tir des canons-mitrailleurs allemands (image de gauche). L'arrivée de l'escadrille de Bader eut l'effet d'une salve d'artillerie contre de la cavalerie. Les vagues de bombardiers allemands furent prises entre deux machoires d'escadrilles de chasse qui leur fit perdre toute cohésion. Certains bombardiers ont largué leurs bombes avec succès, mais les autres se délestèrent au hasard et en vitesse pour tenter de revenir à leurs bases. Lorsque Galland vit que le Fighter Command britannique pouvait envoyer en l'air près de 200 avions de chasse contre son escadrille après deux mois de combats aériens, c'en fut trop pour lui.

__

Repos avant l'action Scramble!! Vague de bombardiers Ju-88

Plus de 100 bombardiers ont été abbatus, ainsi qu'une quarantaine de chasseurs. De nombreux équipages furent décimés et plusieurs autres faits prisonniers. Devant le prix à payer pour bombarder de jour, la Luftwaffe changea de tactiques. Londres serait bombardée de nuit: c'est le début du Blitz, mais cela fut une autre histoire.. L'absence de gros raids de bombardement diurnes depuis la débâcle du 15 Septembre confirmait le pressentiment de Dowding que le Fighter Command avait aquis, par l'usure, la maîtrise du ciel de jour au-dessus de l'Angleterre. Le dernier bombardement diurne allemand a eu lieu le 30 Septembre sur l'usine de la firme De Havilland à Hatfield qui terminait le prototype du bombardier léger Mosquito, conçu pour la frappe aérienne. Des Ju-88 volant en rase-mottes larguèrent leurs bombes dans l'usine, détruisant le prototype et tuant 100 ouvriers. Ces avions étaient escortés ô miracle par des Me-109 sur lesquels étaient fixé un réservoir auxiliaire largable un peu tard pour y penser dans le calendrier de la bataille d'Angleterre. Mais à partir du 1er Octobre, il n'était plus question pour les Allemands de tenter une invasion. L'Opération Seelowe avait préalablement été reportée au 27 Septembre, puis fut remise sine die. Pour Goering et Hitler, c'était leur premier échec de la Seconde Guerre mondiale.

_

Carcasses de Do-17 au sud de Londres Spitfires en patrouille

La troisième phase de la bataille d'Angleterre fut marqué par l'échec de la Luftwaffe d'assurer la maitrise du ciel de jour au-dessus de l'Angleterre. L'aviation allemande s'est avérée:

 Incapable de neutraliser les terrains d'aviation – Le changement de priorités stratégiques par Hitler et Goering ne pouvaient arriver qu'au plus mauvais moment = son succès dans la guerre d'usure.

 Incapable de neutraliser la chasse anglaise – En fait, les chasseurs allemands furent débordés dans leur rôle d'avoir à protéger les bombardiers et à se disputer avec les chasseurs britanniques

. Handicapée par de mauvais renseignements – La Luftwaffe a toujours surestimée l'importance des pertes qu'elle avait fait subir aux Britanniques.

 Incapable de motiver ses pilotes – Ces derniers partent "faire leur boulôt", en étant convaincus qu'ils ne feraient pas la différence. Goering les accusaient de manquer de motivation. Goering demanda à Galland s'il pouvait faire quelque chose pour lui. Ce dernier répondit: donnez-moi des Spitfires monsieur le maréchal!D'autres facteurs plus ponctuels ont expliqué l'échec de la Luftwaffe durant la bataille d'Angleterre:

  1. La Manche, bras de mer menaçant pouvant "avaler" tous les appareils endommagés à leur retour.
  2. La surconfiance des pilotes Grisés de leurs succès en France, celle-ci fut érodée au fil des mois.
  3. La qualité de la défense La Luftwaffe n'était pas assez puissante pour briser la ténacité de leurs adversaires, et composer avec leur système de défense aérienne.

L'histoire fut ingrate pour beaucoup de protagonistes de cette bataille d'Angleterre. Hugh Dowding, le commandant du Fighter Command, fut limogé à cause de rivalités internes mesquines. Son adjoint, le vice-maréchal Park, fut relégué sur la tablette des forces d'entrainement. Pour l'Angleterre, la maison était sauvée; il est temps de "s'occuper des écuries": pour Churchill, la voie était libre pour acheminer des renforts terrestres et aériens au Moyen-Orient. Churchill dira de ses pilotes du Fighter Command: Jamais le sort d'un aussi grand nombre d'hommes n'a dépendu autant d'un si petit nombre d'entre eux…La victoire de ce "si petit nombre" fut mince. Durant les mois d'Août et Septembre, le Fighter Command perdit un total de 832 chasseurs, et la Luftwaffe 668. Ce qui a fait la différence fut la perte d'environ 600 bombardiers de la Luftwaffe. Devant cet échec de s'attaquer à un ennemi capable de défendre son espace aérien, il n'est plus question pour Hitler d'envisager un débarquement en Angleterre. Le mémorandum préparé par le général Jodl pour Hitler va dans ce sens: Si le débarquement était un échec, il mettra en péril tout ce qui a pu être obtenu depuis le début de la guerre. L'invasion ne devait donc avoir lieu que s'il n'existait pas d'autre moyen de mettre l'Angleterre à genoux. On peut atteindre cet objectif en attaquant ses possessions en Méditerranée, comme Gibraltar, Malte et le canal de Suez. Pour Hitler, ce rapport était du petit lait. A partir de ce moment, le projet d'invasion est abandonné Le franchissement de la Manche s'est avéré impossible pour la Wehrmarcht. Dès lors, les Britanniques seront obligés à mener une guerre longue dans les airs, sur les mers, ainsi que dans des régions périphériques comme l'Afrique du Nord et les Balkans jusqu'en 1944.

___________________________

© Sites JPA, 2024